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Chili : l’extrême droite au seuil du pouvoir

Climato-sceptique et rétrograde, José Antonio Kast est le favori du scrutin présidentiel prévu ce dimanche. Une première depuis la dictature d’Augusto Pinochet.

par Aliénor Bierer et Alice Ferber

« Tranquille, tout ira bien ». Avec sa voix suave et ses lunettes de pilote, José Antonio Kast se met en scène à moto sur son compte TikTok suivi par 288 000 abonnés. Confiant, le candidat du mouvement d’extrême droite Action républicaine est donné en tête des intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle, avec environ 25 %. Dimanche 21 novembre, les Chiliens devront départager cet avocat de 55 ans, fils d’un ancien officier de la Wehrmacht immigré au Chili après la Seconde Guerre mondiale, et Gabriel Boric, candidat de la Gauche. José Antonio Kast, surnommé « JAK », fait campagne sur la sécurité, les traditions et la lutte contre l’immigration.

© José Luis Saavedra/AP. José Antonio Last parle à ses partisans pendant sa campagne à Valdivia, au Chili, le 17 novembre

Vieux routier de la politique

Ce fervent catholique a entamé sa carrière politique à l’UDI, un parti d’extrême droite sensible à l’héritage du dictateur Pinochet. Carlos Herrera, professeur en droit public spécialiste de l’Amérique latine, rappelle qu’une « partie des Chiliens reste attachée à l’époque de la dictature [1973-1990, ndlr], associée à la modernisation du pays »« Pinochet aurait voté pour moi », clamait Kast lors de l’élection présidentielle 2017. Carlos Herrera compare la percée de « JAK » à celle de Jair Bolsonaro, l’actuel président brésilien : « Député depuis 2002, il est arrivé quatrième en 2017, Kast appartient au paysage politique chilien, il était à l’époque perçu comme un candidat marginal, à qui les élites n’oseraient pas confier le pouvoir ».

Cinq ans plus tard, dans un contexte de vifs débats sur l’immigration, les propositions sécuritaires de Kast ont séduit la frange conservatrice et bourgeoise de la population. Sa mesure phare : creuser un fossé à la frontière avec la Bolivie pour arrêter les migrants et le trafic de drogue. Selon Juan Carlos Baeza Soto, professeur de civilisation ibéro-américaine à Sciences Po Saint-Germain, « le Chili est devenu un important récepteur d’immigrés haïtiens, colombiens et vénézuéliens, ce qui a renforcé les discours racistes déjà présents dans la société à l’égard des minorités, comme les Mapuche ».

Une main de fer dans un gant de fer

Les soutiens de Kast apprécient sa rhétorique musclée. Alberto, fonctionnaire de 26 ans, affirme que « lui seul peut endiguer l’instabilité politique chronique au Chili »« La rédaction de la nouvelle Constitution, la crise économique liée à la pandémie et les violences de 2019 ont créé un climat politique très polarisé, explique Juan Carlos Baeza Soto. Si « JAK » se qualifie pour le second tour, Alberto espère cependant que Kast se montrera plus souple sur l’avortement, le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels.

Fernando, 27 ans, ajoute que le candidat d’extrême droite ne croit pas « à la diversité sexuelle et ethnique, au changement climatique ni à l’Etat-providence ». José Antonio Kast propose même de supprimer le ministère de la Femme, une mesure défendue publiquement par son épouse, l’avocate María Pía Adriasola. Cette posture conservatrice inquiète Agustín, étudiant en marketing de 27 ans originaire de Santiago. Pour lui, le candidat incarne « la droite traditionnelle qui veut garder ses privilèges, au risque de renforcer les inégalités ». Si le Chili est le pays au revenu par habitant le plus élevé d’Amérique latine, il est aussi celui où les inégalités sont les plus fortes.

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