Par Vusala Aliyeva
Plus de 3 millions de réfugiés dont près de 1 million de Juifs recueillis en 1941
Lors d’une soirée exceptionnelle au Cercle Interallié à Paris un hommage a été rendu au pays qui a accueilli avec une humanité incroyable, les « évacués de l’Ouest » devenus des « réfugiés dans l’Est » de l’immense Union Soviétique envahie par la Wehrmacht de Hitler.
C’était à un moment décisif de la seconde guerre mondiale avec la rupture, en juin 1941, du pacte Germano-soviétique signé en août 1939.
La poussée allemande. Les réfugiés passent à l’Est de la Caspienne.
L’invasion militaire allemande de Juin 1941 a provoqué l’évacuation en masse des citoyens soviétiques de l’Ouest comme celle de ses industries vers les régions de l’Est de l’URSS. Près de 19 millions de civils ont été ainsi évacués vers l’Asie Centrale, le Caucase, la Sibérie et l’Oural, venant de la partie européenne de l’URSS, des pays baltes et de l’Est de la Pologne avant la fin de 1941.
« Dernier été d’enfant »
L’événement dans l’événement et son point d’appui fut la présentation du film « Dernier été d’enfant » par son auteur Vyacheslav Shlomo Shatokhin ( photo) consacré à l’accueil des enfants juifs par le peuple ouzbek.
Quelques personnes d’origine polonaise, dont Marek Halter, Waldemar Kobryner, et Henri Bielasiak, qui ont été évacués en Ouzbékistan et ont ainsi pu être sauvés, étaient là pour nous raconter leurs souvenirs d’enfance à la fois émouvants et riches en enseignement à méditer aujourd’hui. Cela s’est passé dans ce qui était alors la République Soviétique d’Ouzbékistan , au cœur de l’Asie centrale.
Un véritable mouvement d’adoption
« C’était un train qui roulait lentement. Pendant 3-4 jours, notre wagon est resté fermé. On ne voyait rien, on ne pouvait pas sortir. Pendant ce temps, ils nous ont amené à manger dans des seaux. Il n y avait pas de cabine de toilette. On a roulé pendant 17 jours », nous raconte Waldemar Kobryner, un des nos témoins née en 1929.(à droite sur la photo)
Dans le centre de Tachkent (la capitale de l’Ouzbékistan), il y a un monument de Shaahmed Shamakhmudov, d’un forgeron, avec sa famille. Avec son épouse, ils ont adopté 15 enfants qui ont perdu leurs parents biologiques à cause de la guerre. Parmi eux il y avait les allemands, biélorusses, ouzbeks etc.
L’une de ces pages de l’histoire de l’Asie Centrale est étroitement liée à la plus grande tragédie vécue par le peuple juif.
L’Ouzbékistan a connu dans cette sombre période des histoires remplies d’humanité faite de compassion et de bienveillance active. Elle en est devenue la destination préférée des réfugiés.
Pendant la deuxième guerre mondiale, le pays a accueilli plus de 3 millions de réfugiés de différentes origines ethniques dont environ 1 million de Juifs parmi lesquels environ 300 mille enfants orphelins. Des centaines de milliers de réfugiés ont été acceptés par les familles ouzbeks dans leurs maisons où on leur a donné volontairement la nourriture… et de l’argent aux orphelinats qui ont adopté des milliers d’orphelins.
Un véritable mouvement d’adoption est né durant ces années de guerre. Ainsi des centaines de milliers d’enfants et d’adolescents sans famille ont trouvé là un foyer. Les Ouzbeks qui avaient déjà des familles nombreuses à l’époque ont redoublé d’efforts pour se donner les moyens d’aider les réfugiés. Ils montrèrent ainsi leur détermination à en accueillir le plus grand nombre possible.
« Si aujourd’hui, en 2020 je me tiens ici devant vous, c’est grâce aux Ouzbeks qui ont sauvé la famille de ma mère en août 1941. Je suis né en Ouzbekistan. Ce pays est mon pays et ma patrie.», déclare Vyacheslav Shatokhin , l’auteur a ému toute la salle, ce soir-là.
Vyacheslav Shatokhin, né en 1961 d’une mère évacuée vers l’Ouzbékistan pendant la grande guerre patriotique, vient d’une famille qui avait décidé de demeurer en Asie centrale après le conflit. Avant d’arriver à Tachkent, la mère de Shatokhin, Nazarovna Hotimlyanskaya, née en 1930, était passée par Ferghana (au Nord-Est de l’Ouzbékistan), accompagnée de sa propre mère et de sa tante, en provenance de Poltava (Ukraine), alors que son grand père, Nazar avait été tué dans les combats de l’année 1941.
« Ce n’est pas la galette qui m’a sauvé la vie mais le geste »
Marek Halter avec un ami
« A Almaty[1], j’ai vu le premier geste de solidarité. Je mourrais de faim et je marchais. Un vieux kazakh m’a appelé « malchik, malchik » (garcon) vient ici ». Il m’a tendu une « lepyochka », une petite galette et m’a dit « mange sinon tu vas mourir ». Ce n’est pas la galette qui m’a sauvé la vie mais le geste », nous raconte Marek Halter, un de nos témoins. Ainsi lors de la soirée, nous avons eu la chance de rencontrer en personne l’écrivain français, juif d’origine polonaise, Marek Halter, qui nous a raconté ses souvenirs d’enfance entachés par la guerre la plus meurtrière de l’humanité.
Le père de Marek Halter était imprimeur et sa mère une poétesse écrivant en yiddish. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses parents fuirent Varsovie occupée par les allemands et passèrent dans la partie orientale de la Pologne, occupée par l’Union soviétique. À la suite de l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne nazie le 22 juin 1941, ses parents, qui se trouvaient alors à Moscou, furent évacués en République socialiste soviétique d’Ouzbékistan à Kokand, une ville de 300 000 habitants où se trouvaient un million de réfugiés.
« Il y avait de plus en plus de réfugiés à Almaty(1). Ils nous ont envoyé en Ouzbekistan, à Tachkent. La ville était pleine. Ils nous ont envoyé a Kokand, dans la vallée de Ferghana et même là-bas, il n y avait plus de place, les gens dormaient dans les rues, dans les squares. Il n y avait presque plus d’hommes. Ils étaient tous partis à la guerre », – se souvient Marek Halter. Bérénice, sa sœur cadette, âgée de trois ans, mourra de faim et ses parents seront frappés par la dysenterie. Alors qu’il n’avait pas encore six ans, Marek fit alors tout ce qu’il put pour les sauver.
« Il fallait que je sauve mes parents. Ils étaient à l’hôpital, il fallait des antibiotiques ( sic). Le seul moyen de trouver de l’argent était de voler. Les Ouzbeks transportaient du riz. Il fallait faire un trou dans le sac du riz, en prendre et courir vite. Cà je savais faire mais je ne savais pas courir vite. Je me faisais bien souvent rattraper et tabasser, jusqu’au jour où il y a eu une vraie bande de voleurs qui m’arrêta. En vérité, ils me libérèrent. Ils étaient plus âgés que moi. J’avais déjà 9 ans. Ils me demandèrent ce qui m’arrivait et je leur racontai tout. Ils me dirent que je ne savais pas voler et me demandèrent ce que je savais faire d’autre. Je leur dit que je pouvais raconter des histoires. Ils me donnèrent rendez vous là où toute la bande se réunissait pour raconter des histoires. Je finis par leur raconter « Les trois mousquetaires » d’Alexandra Dumas. Je l’avais lu en russe dans une édition pour enfants. Cà leur plut énormément. J’ai reçu une leçon de morale à Kokand. Je me rendis compte que tout individu rêve d’un monde meilleur, même celui qui est violent, même celui qui tue rêve d’un monde où il n’y a pas d’assassin. Pourquoi « Les trois mousquetaires » leur a-t-il plu? Parce que il y a de la solidarité: un pour tous, tous pour un », – nous témoigne Marek Halter. En 1946, à l’âge de dix ans, le jeune Marek retourna en Pologne, où il résidait avec sa famille jusqu’à son départ pour Paris en 1950.
Le Musée de l’évacuation à Tachkent
« Etant donné que c’était rattaché a la Union Soviétique, les gens originaires de la région avaient automatiquement la citoyenneté soviétique, alors qu’aux réfugiés comme nous, ils ont demandé de la prendre aussi. Si nous ne voulions pas la prendre nous devions signer qu’on ne voulait pas. Dans ce cas, ils allaient nous renvoyer de nouveau, de l’autre coté de la frontière. Ce n’est pas qu’on ne voulait pas prendre la citoyenne soviétique, mais si on la prenait, on ne pourrait jamais quitter le pays, puisque à cette époque c’était la norme », – nous révèle Waldemar Kobryner.
Un grand nombre de juifs évacués sont demeurés en Ouzbekistan après le conflit parce qu’ils n’avaient nulle part où aller. Tachkent a longtemps eu la réputation d’être un refuge pour les étrangers et la générosité des habitants de la ville était légendaire. Cette ville a reçu non seulement les évacuées pendant la deuxième guerre mondiale, mais aussi de nombreux réfugiées pendant la première guerre mondiale, ainsi que les nationalités déportées comme les Coréens en 1937, les Tatars de la Crimée et Allemands de la Volga en 1944.
Le Musée de l’évacuation est en construction, actuellement à Tachkent, dans la capitale de l’Ouzbékistan, la ville qui a reçu le plus grand nombre de réfugiés durant la grande guerre patriotique. Le musée se situera à coté de la gare centrale où les réfugiés sont arrivés et exposera l’humanité et la bravoure du peuple ouzbek.
Une autre exposition sur l’Ouzbekistan est en cours d’organisation , celle-ci à Paris. Pour la première fois, des chefs-d’œuvre d’art et des objets rares de l’Ouzbékistan seront exposés au musée du Louvre, ce qui donnera une occasion aux visiteurs français mais également au monde entier de contempler le grand patrimoine de la route de la Soie. Cette exposition montrera à des millions de visiteurs l’importance historique de ce pays en tant que centre des civilisations de l’Antiquité au monde moderne, au carrefour de la route de la Soie. Du point de vue politique et géographique, il était et demeure une partie essentielle de l’Asie Centrale et dans cette région. Là s’est créée une des plus anciennes civilisations du monde. L’Ouzbékistan antique était un carrefour entre l’Orient et l’Occident, par conséquent, un lieu de rencontre entre le Bouddhisme, le Zoroastrisme, le Christianisme, l’Islam et, mais aussi un pôle de convergence entre les cultures orientales et occidentales, les différentes langues et nations. C’est ainsi que tout au long de son Histoire et encore de nos jours, l’Ouzbékistan est un pays multinational, polyglotte, multiconfessionnel et multiculturel. Il est le pays d’Asie centrale le plus peuplé avec plus de 31 millions d’habitants. Les Ouzbeks constituent officiellement près de 80 % de la population, les Russes 6 %, les Tadjiks 5,5 %, les Kazakhs 4 %, les Tatars 4 %, les Karakalpaks 1,9 %, les Coréens 1 %. On y trouve des Kirghizes et les Turcs meskhètes et d’autres. La connaissance de cet héritage du passé est très importante, non seulement pour nous du point de vue culturel et historique, mais également pour le monde entier, car elle aidera à comprendre la fragilité du monde dans lequel nous coexistons, contribuera à la paix et à la compréhension mutuelle entre les peuples inspirées par le modèle ouzbek.
1-Almaty, appelée Alma-Ata pendant la période soviétique, est la principale ville du Kazakhstan et son ancienne capitale, de 1929 à 1997
Vusala Aliyeva
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