par Gervaise Thirion
A Nancy, deux expositions réunies sous le titre « Lorraine sans frontières » racontent la Lorraine, terre de migrations et de passages.
Au delà de la question qui est posée « Lorrains qui sommes nous? », l’évènement invite à une réflexion sur le phénomène migratoire, le grand débat actuel ! Qu’on aille donc chercher dans sa généalogie approfondie d’indigène pour s’apercevoir qu’on y trouve des migrants à profusion, venant de courtes distances comme d’autres continents.
« C’est notre histoire » jusqu’au 2 avril 2018
Au Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain, l’exposition visite l’Histoire au fil des évènements qui ont ballotté cette contrée frontalière. La démarche est double, historique et anthropologique. Elle s’intéresse à la Lorraine, à la fois carrefour et frontière, territoire d’échanges et de refuge, lieu de passage et de transition. Un grand nombre d’objets et de documents d’archives, souvent fournis par la population, mettent en scène les acteurs politiques et économiques qui, avec les hommes et les femmes de terrain, ont façonné le visage de la Lorraine d’aujourd’hui.
Poteau-frontière de l’empire allemand, 1889
Un rappel étymologique : le radical migrer implique le déplacement. Le migrant qui quitte sa base émigre « le préfixe est : ex-hors de ». Mais comme il faut bien qu’il se pose ailleurs, il immigre « le préfixe est in : dans » La même personne est donc émigré de son lieu d’origine et immigré dans son lieu d’accueil. Ainsi M et Mme X sont immigrés en France venant du Maghreb dont ils ont émigré. Notion simpliste ? Oui, mais nécessaire pour beaucoup de gens. Nos réfugiés sont donc forcément des immigrés, venant de…
Débarquement de l’armée française à Sidi-Ferruch, P.J Gilbert, 1836
Ainsi au cours des époques plus ou moins prospères, les Lorrains ont été, tour à tour, émigrés à la recherche d’une vie meilleure ailleurs ou immigrés quand la région est devenue un « eldorado ». Les industries du charbon et du fer « gourmandes » en main d’oeuvre ont en effet attiré un grand nombre de « bras » polonais, italiens, maghrébins… Cela ne s’est pas fait sans difficultés, mais cela s’est fait quand même et positivement.
De ces brassages multiples est issue une population « majoritairement de sang mêlé ». Didier Hemardinquer, journaliste, ose la formule dans son édito du hors-série édité par l’Est Républicain et catalogue de la manifestation. Un document passionnant, abondamment illustré, qu’il faut se procurer … Les Alsaciens ont un peu de mal à le trouver en kiosque. Difficile pour une revue régionale de passer d’une région à l’autre au 21ème siècle ! Peut-être en passant par Paris.
Au 19ème siècle, avec la colonisation et son cortège de douleurs et de prospérité mêlées, des Lorrains sont partis en Amérique ou au Maghreb…
« Les Couleurs de l’Orient » au Musée des Beaux-Arts de Nancy jusqu’au 4 février 2018.
« D’où vient ce singulier et irrésistible attrait que l’Orient a exercé et continue d’exercer sur les consciences occidentales depuis 2000 ans ? » interroge Gérard-Georges Lemaire dans son bel ouvrage « L’univers des orientalistes » (Editions Place des Victoires, 2000)
Depuis la Renaissance, le mythe de l’Orient a poussé les voyageurs à l’explorer et les peintres à le représenter. Mystérieux, sensuel, exotique, au 19ème Siècle, l’Orient est devenu « une sorte de préoccupation générale » (Victor Hugo, Les Orientales, 1829)
Théophile Gauthier relate en 1861 que « le voyage d’Alger devient pour les peintres aussi indispensable que le pèlerinage en Italie : ils vont apprendre le soleil, étudier la lumière, chercher des types originaux, des mœurs et des attitudes primitives et bibliques »
Delacroix, Ingres, Chassériau, Fromentin, Gérôme… On retient ces grands noms comme les représentants de l’Orientalisme du 19ème siècle. Et pourtant…il y en a d’autres particulièrement en Lorraine.
Nurmahal, Victor Prouvé, 1886
Victor, Emile, Jacques et les autres : l’apport des Lorrains à l’Orientalisme
L’exposition nancéienne révèle que les artistes lorrains n’ont pas été épargnés par la fascination de l’Orient et ils y ont succombé nous montrant ici, en trois volets, des œuvres qui n’ont rien à envier à celles des maîtres plus reconnus.
Longtemps l’Orient fut fantasmé : Henri-Léopold Lévy ne s’est rendu que tardivement en Afrique du Nord, bien après avoir peint son « Hérodiade » 1872 . Idem pour Emile Friant et sa « Présentation des odalisques au sultan » (1881). Etrange offrande !
Hérodiade, H.L Lévy, 1872
Charles Cournault, ami de Delacroix, avait été le premier à partir. De ses voyages en Algérie entre 1840 et 1846, il avait rapporté de remarquables dessins et aquarelles décrivant le pays.
Mais, pour certains, la visite de l’Orient n’a eu lieu que vers la fin du siècle grâce au développement des moyens de transport et à l’expansion du projet colonial. De nombreux artistes ont été entraînés au Maroc pour participer au projet politique, économique et culturel voulu par la France et in situ par le Maréchal Lyautey, nancéien lui aussi.
Victor Prouvé, Jacques Majorelle (fils de Louis, le grand ébéniste de l’art nouveau), Jules-Aimé Morot (gendre de J.L Gérôme)… ont connu directement ces pays « d’or, d’azur et d’argent » (Théophile Gauthier) qui ont révolutionné leurs palettes et renouvelé leurs motifs.
Etude pour la caravane en marche, V. Prouvé, 1888
L’Orient a été, par ricochet, une source d’inspiration pour les artistes de l’Ecole de Nancy. Même s’il n’a pas fait le voyage, Emile Gallé a élaboré un registre décoratif innovant en puisant dans ce répertoire de formes, de couleurs et de décors venus du Moyen-Orient, du Maghreb ou d’Extrême-Orient. Les cristalleries Daum ont également mis à profit ces apports pour la création de vases.
Vase lampe orientale, E. Gallé, 1884
Histoire de l’art, Histoire par l’art.
L’histoire coloniale se digère mal. Est-ce la raison pour laquelle cette période de l’histoire de l’art, toujours suspecte, s’est trouvée quelque peu occultée et ses acteurs mal connus? L’exposition présentée au Musée des Beaux-arts de Nancy vient combler cette lacune.
La guerre de 1870 et l’annexion de l’Alsace-Lorraine ont aussi été des éléments déclencheurs de cette échappée vers de nouveaux horizons.
Pour les artistes qui ont fait le voyage, l’aventure était avant tout esthétique. Le renouvellement décoratif inspiré de l’Orient est visible dans de nombreuses créations : peinture, gravure, mobilier, affiches, architecture (la « Douëra » de Charles Cournault à Malzéville) , reliure…Victor Prouvé, en collaboration avec Camille Martin et René Wiener, est le concepteur de la magnifique reliure du « Salammbô de Gustave Flaubert » visible au Musée des Beaux-arts
Jacques Majorelle est un peu la figure emblématique du mouvement. En 1917, il décida de se fixer au Maroc, à Marrakech. Sa fascination pour ce pays a nourri une oeuvre riche tant par la variété des techniques picturales que par l’étendue des champs artistiques. En témoignent les séries de tableaux « les kasbahs de l’Atlas », « les négresses nues« , les affiches touristiques ou le Cabinet en cuir et bois inspiré de l’artisanat marocain.
Cabinet, Jacques Majorelle, 1925
Il est le reflet de l’effervescence artistique qui se produisit aux 19ème et 20ème siècles à Nancy grâce aux échanges entretenus entre la Lorraine et l’Orient.
Le souk des tapis, J. Majorelle, 1924
« C’est dans le respect mutuel et en acceptant de s’ouvrir aux autres que l’Homme se grandit » déclare Lucienne Redercher dans l’introduction au catalogue. Beau message ! On souhaite qu’il porte le plus loin possible.
Gervaise Thirion
Catégories :Sainte Sophie Istambul, Société
excellent compte-rendu qui donne envie de « migrer » vers Nancy
les lorrains recevront-ils cette immigrée alsacienne?
Pas d’inquiétude ! les lorrains savent être accueillants, leur cuisine aussi…