par Han-Ul CHANG
A l’heure où les médias sont grandement occupés par les problèmes de l’agriculture, une des filières nous a paru plus réjouissante : c’est la viticulture, à laquelle nous consacrons cette petite enquête pour une récréation. Nous avons trouvé au hasard d’une rencontre un viticulteur prestigieux en France, en Alsace, et dans le Haut-Rhin à Westhalten. Nous avons donc enquêté dans une exploitation viticole de référence. C’est donc le Domaine Léon Boesch que nous avons choisi à l’issue de contacts téléphoniques afin de mieux comprendre les enjeux et les méthodes utilisées face au réchauffement climatique.
En Alsace comme dans tout le pays, le patrimoine viticole est un héritage souvent ancien. Au fil du temps, les viticulteurs ont su apprivoiser, cultiver et protéger ces précieux hectares à raisin. Mais comme toute culture, elle demande un soin tout particulier. Pinot Noir, Riesling, Gewurztraminer, etc… autant de cépages qui incarnent la personnalité et l’Histoire des terres viticoles alsaciennes. Ils pourraient devenir prochainement des vestiges du passé. L’auteure Colette disait que « seul le vin nous rend intelligible aux sources de la terre ». Le vin étant le sang de la terre, ne nous déconnectons pas d’elle, et de son cœur. L’Alsace possède un bel héritage, avec des vignobles qui ont permis à nombre de ses vins d’obtenir la certification d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC). C’est cela le patrimoine viticole alsacien ! Cela signifie des vignes et un savoir-faire qui sont propres à la région Alsace. Un patrimoine qui pourrait bien être mis à rude épreuve avec les effets du réchauffement climatique. Un défi auquel les viticulteurs et vignerons doivent se tenir prêts et s’adapter pour préserver toute la richesse des vins alsaciens.
L’homme et la nature
Le terme ‘changement climatique’ est devenu, selon Matthieu Boesch, propriétaire du Domaine, une expression “fourre-tout” dans laquelle se concentre toutes les déconvenues subies sur la terre agricole. Or, ce serait faire abstraction de l’impact causé par plus de 50 ans d’industrialisation de l’agriculture. Ces terres ont été également fragilisées par des actions humaines dans leur volonté d’avoir davantage de rendement et de produire plus vite. Car les produits utilisés dans l’agriculture industrielle ne possèdent pas les mêmes propriétés et avantages que peuvent procurer une agriculture biologique. Certaines périodes de sécheresse peuvent parfois être la conséquence de cette industrialisation par l’utilisation de granulés ou d’engrais dont la structure et les effets ont asséché les sols.
Matthieu Boesch explique également qu’il préférait utiliser le terme de ‘réchauffement climatique’ plutôt que celui de ‘dérèglement climatique’,qu’il trouve moins pertinent au vu de l’Histoire. Dans l’ouvrage 800 ans de viticulture en Haute-Alsace, le livre répertorie des notes sur la qualité de la récolte et la météo. Matthieu Boesch raconte, par exemple, une période où la grêle était tombée plusieurs fois au cours d’une semaine, aléa météorologique violent et fatal pour l’époque (même aujourd’hui, si cela se produisait). De plus, à travers son expérience, il ressent davantage la répercussion d’un réchauffement, que celle d’un véritable ‘dérèglement’. La météo, capricieuse, serait-elle aussi par elle-même un aléa naturel ?
Adaptation aux enjeux climatiques
En Alsace, le réchauffement climatique ne bouleverse, pour l’instant, pas les habitudes des vignerons de la région. Car il y a dans la fabrication d’un vin, cette conception que chaque millésime est unique, et qu’une forme de variation est constante. Chaque millésime demande, ainsi, une part d’adaptation selon les saisons. Si, par exemple, la chaleur du soleil est trop importante, il y aura une tendance à plutôt garder les feuilles de la vigne pour protéger le raisin des rayons du soleil. Toutefois, la situation en Alsace reste moins alarmante que pour les viticulteurs du Sud de la France, notamment dans la région Aquitaine, qui font face à des chaleurs plus brutales qui assèchent les vignes et agressent les cépages. Le pire pour la vigne serait définitivement l’installation d’un climat tropical, chaud et humide.
Une autre manière de se préparer aux hausses de températures qui pourraient toucher l’Alsace dans les prochaines années, c’est de planter d’autres cépages qui sont plus adaptés à ces types de climat comme la Syrah (cépage des Côtes du Rhône). Une stratégie déjà adoptée par certains viticulteurs alsaciens. Là encore, il faut raison garder, car il s’agit d’une action qui pourrait avoir des répercussions notables dans le futur, en particulier concernant les sols alsaciens. Ceux-ci ne sont pas nécessairement aménagés pour ce type de cépage. Et rien, potentiellement, nous dit que, dans 20-30 ans, la Syrah rhodanienne ne sera déjà plus un cépage qui convient aux caractéristiques des terres alsaciennes. De même qu’appliquer des techniques de viticulture utilisées dans le Sud comme le Gobelet (type de taille courte qui permet à la végétation retombante de protéger les grappes du soleil) n’est pas une solution viable. Si cette technique avait été appliquée il y a quelques années, les vignes de l’année 2021 auraient pour la plupart disparu, le climat ayant été très pluvieux et moins chaud que les années précédentes. Une météo dramatique pour ce type de taillage. Lorsqu’une décision est prise, elle ne doit pas être la résultante d’une solution temporaire à un instant T, mais bien le fruit d’une vision d’avenir pour préserver au mieux l’héritage viticole alsacien. Dans cette optique, le Domaine Léon Boesch a pris la décision, il y a maintenant quelques années, de s’engager dans une agriculture biodynamique. Cela consiste en l’utilisation de 3 préparations qui vont permettre de créer une certaine alchimie biologique pour le sol :
- La première préparation consiste à de la bouse de vache mise en corne pou (re)structurer le sol
- La deuxième préparation est l’ajout de silice en été qui va favoriser l’aération du sol
- La troisième préparation est un composte pour nourrir la terre, il est généralement
composé de plantes, de fleurs, d’écorce et de la panse de chèvre
Pour son engagement, le Domaine a obtenu le label Demeter qui certifie les pratiques agricoles respectant les principes de la biodynamie.
Autant en emporte le vin
Aujourd’hui, l’objectif principal pour le Domaine est qu’il y ait toujours de la vigne pour les prochaines décennies. Le Domaine possède encore des vignes qui datent de 1921, et espère que dans 100 ans il y aura toujours des vignes sur ces terres. Et ça doit être également la volonté de tous les vignerons de France de pouvoir préserver ce patrimoine viticole français qui fait aussi le prestige de l’Hexagone dans le monde entier. Mais pour cela, il faut une réponse collective et responsable face aux défis climatiques qui sont devenus un véritable enjeu mondial. Au niveau agricole, il faut (re)penser la culture et la structuration de la terre avec une approche moins basée sur le rendement, et plus sur une régénération des sols, tout en ayant un regard porté sur le long terme. Les vendanges sont aussi une preuve qu’un changement se profile. Le Domaine dans la fin des années 1990 réalisait ses vendanges aux alentours du 20 septembre, alors que ces dernières années, les vendanges se font autour du 1er septembre. De même, la maturation du raisin avant sa récolte était plus tranquille, car les nuits étaient plus fraîches, ce qui permettait une meilleure conservation des caractéristiques du raisin. Aujourd’hui, la récolte est plus stressante. Dès lors que le raisin arrive à maturité, il faut accélérer sa récolte, les nuits étant devenues plus chaudes, il n’y a plus ces conditions de conservation que procurait la fraîcheur nocturne.
Pour l’heure, l’Alsace conserve son climat continental, qui fait que l’impact direct d’une montée de la chaleur rendra le vin plus gourmand. Le vin sera davantage riche en sucre et moins en acidité. En revanche, cela lui fera perdre en complexité. Cette configuration permettra, toutefois, au vin de demeurer commercialisable. En effet, un millésime, qui aura trop subi le froid, ne sera pas bon à la dégustation et in fine à sa commercialisation. Matthieu Boesch raconte que lors de l’année 1992, les feuilles de la vigne avaient gelées au mois de septembre. Le vin qui en était ressorti, personne n’en voulait car sa teneur en acidité avait été trop importante, rendant le vin imbuvable. Selon lui, il est donc préférable d’avoir un millésime chaud, qu’un millésime froid d’un point de vue stricto sensu “commercial”. Cependant, la chaleur augmente aussi le risque pour la vigne d’être agressée par les micro-organismes présents dans la terre. Finalement, le viticulteur doit perpétuellement s’adapter et se réadapter en fonction des différentes météos qu’il devra affronter au cours de l’été et de l’hiver (il est difficile de concevoir, aujourd’hui, que le printemps et l’automne sont encore des saisons, en raison de leur période de plus en plus réduite).
La situation climatique actuelle en Alsace n’est, pour l’instant, pas aussi inquiétante que dans le Sud de la France, ce qui permet encore de venir voir la suite. Matthieu Boesch dit en plaisantant que dans le cas d’un scénario catastrophe où la région Alsace atteindrait des climats proches du Maroc ou de la Tunisie, il suffirait alors de remplacer les vignes par des oliviers ou des citronniers. Il serait, il est vrai, amusant de voir fleurir, à l’avenir, sur les étagères de nos épiceries des huiles d’olive Mouton Rothschild, Cheval Blanc, Romanée-Conti et Léon Boesch ; et en même temps, il serait désolant de voir faner des vins qui ont ravi nos palais.
Han-Ul CHANG
Remerciements à la famille Boesch pour son accueil et ses renseignements
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