Une enquête réalisée par Han-Ul CHANG
En préambule de cet article, je souhaiterais à titre personnel, remercier l’ensemble des 33 jeunes strasbourgeoises et strasbourgeois qui m’ont accordé de leur temps pour partager leurs précieux témoignages concernant leur affection envers la culture coréenne. Je tiens ainsi à dédier cet article, à chacune et chacun d’entre eux, pour leur tendre ferveur, et j’espère pouvoir leur faire honneur au cours des prochaines lignes qui parcourent cet article.
La jeunesse est une période douce et amère de la vie durant laquelle se fabrique une réalité incomplète qui concurrence les certitudes de l’enfance. Temps pendant lequel l’insouciance se pique aux épines des premiers doutes, où le désir d’aventure devient une quête de soi, et qui dans les chemins sinueux de la découverte amène à s’engager vers un voyage inattendu. Tout cela à de quoi donner lieu à une ardente fièvre pour une jeunesse vivant dans un monde qui a tendance à la chasser trop souvent hors d’habitudes à peine acquises. Mais cette « fièvre de la jeunesse » comme l’écrivait Georges Bernanos, c’est elle « qui maintient le monde à température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » Alors, bien avant le monde, faisons en sorte que la ville de Strasbourg ne prenne pas froid. Et pour nourrir cette étincelle flamboyante et juvénile, je veux permettre à cette jeunesse strasbourgeoise de pouvoir exprimer fièrement sa voix au regard de son affection envers la culture populaire coréenne. Ils s’appellent Alexandre, Marie, Amine, Julie, Léo, Lucie ou encore Ludivine, ils ont entre 16 et 28 ans ; ils forment les pierres nouvelles de l’immense mosaïque que représente la ville de Strasbourg, capitale de l’Europe, et ils partagent toutes et tous cette passion commune pour la ‘Hallyu’ (la vague coréenne). Une vague qui a submergé le monde entier, et à laquelle Strasbourg ne fait pas exception. Et, à travers cet article, je vais laisser glisser ma plume au vent de leurs pensées sincères et enthousiastes, vis-à-vis d’une culture en constante expansion.
L’éveil d’un Tigre à Strasbourg
Il n’est pas question ici de parler de tartes flambées, ni de bière, mais bien d’un Tigre venu d’Asie arpentant les rues de la Capitale de l’Europe. Ce Tigre a réussi à intriguer une grande partie de la jeunesse strasbourgeoise par sa singularité ; certains s’en sont simplement désintéressés avec le temps, tandis que d’autres n’y ont trouvé nul intérêt, et parfois même des fusils ont été armés pour le chasser. Mais celles et ceux qui ont réussi à l’apprivoiser partagent, aujourd’hui, un sentiment unique. Un sentiment qui s’apparente presque à un ballet entre le Tigre et l’individu. Et telle une valse, il a fallu un mouvement en trois temps pour enlacer complètement cette rencontre entre la culture coréenne et la jeunesse strasbourgeoise : le plaisir de la découverte, la cultivation d’un esprit, la consécration d’une passion.
Cultiver son jardin coréen
Afin de cultiver un jardin coréen, il faut d’abord y planter les graines de la découverte : elle a parfois été le fruit d’un partage entre frères et sœurs ou d’un(e) ami(e), elle a pu aussi être la résultante de la plus stricte curiosité humaine à travers des recherches personnelles ou de simples recommandations via les réseaux sociaux. Qu’importe la manière, cela a rendu fertile des esprits jusque-là restés arides envers une terre inconnue, qui avec le temps a, ainsi, permis le développement de racines solides à la cultivation.
Pour beaucoup de jeunes strasbourgeoises et strasbourgeois, ils ont d’abord goûté au fruit du phénomène mondial que représente, aujourd’hui, la K-pop (terme qui désigne plusieurs genres musicaux : dance-pop, pop ballad, électronique, rap, etc… provenant de Corée du Sud). Des études scientifiques ont démontré que la musique permettait une croissance positive des plantes : ainsi grâce à la musique pop coréenne, cela a permis à de nombreux jeunes (pousses) de préparer le terrain à un intérêt plus général pour la culture coréenne. Une vision qui s’est élargie à travers plusieurs médias et sur divers sujets. En effet, la culture populaire coréenne ne se résume pas exclusivement à la K-pop qui est définie, selon Lyne, par « son style de musique à part ». C’est aussi une gastronomie qui « mélange savamment le sucré et le salé » selon Jade, une langue dont « les sonorités » émerveillent aussi bien en chanson que pour la langue en elle-même d’après Lisa, le fait de prendre soin de soi, ou encore les ‘Dramas’ (séries télévisées coréennes) qui sont selon Aurore « une mine d’or et un transport émotionnel », avec des ‘Dramas’ comme W, Extraordinary Attorney Woo, The Glory ou Crash Landing on You. Pour ce dernier, l’histoire se déroule, en partie, en Corée du Nord, ce qui a donné l’occasion à cette jeunesse de s’intéresser et de s’ouvrir à la géopolitique de la péninsule et aux relations inter-coréennes. Autant d’instruments du Soft Power coréen pour permettre à la jeunesse de pouvoir développer un imaginaire concernant l’environnement sud-coréen, mais aussi de pouvoir constater d’un mode de vie qui est radicalement différent de celui de la France. Un vent nouveau s’est levé, et a assurément séduit ; ce qui a permis à une certaine jeunesse de tenter de vivre.
“LOVE YOURSELF” et valeurs
Car ces dernières années, les questions relatives à la santé mentale des jeunes dans le monde sont devenues un enjeu mondial, et, malheureusement, une partie de la jeunesse strasbourgeoise n’échappe pas à ce terrible fléau. L’adage ne dit-il pas que “la musique adoucit les mœurs ?” Il s’applique parfaitement à cette jeunesse. Dans leur combat face à cette chimère qui dévore leur esprit, les jeunes parviennent à travers la K-pop à trouver refuge, comme le dit Maria, dans « une bulle » temporaire, dans laquelle ils parviennent à positiver, à se retrouver eux-mêmes et à adoucir l’amertume de l’adolescence et de la jeunesse.
Un engagement également pris par les groupes de K-pop eux-mêmes, comme le groupe BTS, pour lutter contre ce mal des temps modernes. Le groupe avait prononcé un discours au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2018, notamment par le biais de leur slogan “LOVE YOURSELF” (Aime toi toi-même), dans lequel ils ont encouragé les jeunes à s’accepter.
Outre une réponse convaincante à la question de la santé mentale, la culture coréenne a permis à cette jeunesse de (re)trouver une forme d’inspiration et de modèle à travers des valeurs et des principes propres à la Corée du Sud, qui les poussent également à adopter une attitude plus responsable envers eux-mêmes, et en même temps envers la société. Les jeunes de Strasbourg sentent qu’ils ont (ré)appris à avoir confiance en eux en commençant à s’apprécier eux-mêmes. Une étape essentielle qui leur permet de devenir davantage exigeant avec eux-mêmes, car ce gain de confiance leur apporte une force insoupçonnée qui se transforme en une nouvelle forme de motivation et de rigueur, aussi bien dans la vie que dans leurs passions. Cela a ainsi permis à certains de reprendre ou de s’améliorer dans des loisirs artistiques tels que la danse ou le chant. Une opportunité qui leur a été offerte grâce à la K-pop. Il y a même, pour les jeunes qui ont découvert très tôt la culture coréenne et ses principes, une possibilité de s’attacher à des valeurs et des modèles qu’ils pourront chérir telle un doux Mandu (만두: ravioles coréennes) de Proust. Des valeurs dont la jeunesse d’aujourd’hui relève l’importance, surtout lorsque celles-ci commencent à être oubliées dans notre société collective. Cette jeunesse strasbourgeoise a mis énormément l’accent sur les valeurs de respect et de politesse dont font preuve quotidiennement les Coréens, notamment envers leurs aînés. Des comportements qui sont simples et gratuits, dans lesquels les jeunes strasbourgeois veulent s’inscrire en exemple, afin de faire changer positivement les mentalités actuelles et futures. La propreté et la sécurité sont d’autres aspects qui ont été mis en avant par la jeunesse, qui loue la salubrité, l’hygiène et le sentiment de sécurité du pays au matin calme. Une réussite qui n’est possible que par le grand civisme dont fait preuve la population coréenne.
Les jeunes interrogés restent, toutefois, conscients que certains grands principes de la Corée du Sud tournent parfois à l’extrême et sont devenus de vrais sujets de société au sein du pays. Le rapport que les Coréens ont avec l’hyper-compétitivité, qu’elle soit scolaire, au travail, en société, dans l’industrie du divertissement, ou encore l’usage abusif, voire obligatoire de la chirurgie esthétique afin de briller en société ; tout cela représente des extrêmes pour lesquels la jeunesse strasbourgeoise souhaiterait entrevoir du changement. Il ne faut pas oublier que la Corée du Sud est l’un des pays de l’OCDE avec le plus haut taux de suicides chez les jeunes. Même si certains de ces extrêmes, en particulier la compétitivité, représentent le centre névralgique du fonctionnement même du pays. Strasbourg est aussi une ville attachée aux Droits de l’Homme (avec la présence de la Cour européenne des Droits de l’Homme), et sa jeunesse ne manque pas de les défendre en relevant le manque d’ouverture d’esprit de la Corée du Sud concernant les minorités, en particulier la communauté LGBTQ+ et le droit des femmes. Les minorités et les femmes sont encore victimes d’un système toujours relativement conservateur, qui paradoxalement déteint par rapport à l’avancée technologique du pays.
Corée-graphie
Comme mentionné plus haut dans cet article, une très grande majorité des entretiens ont montré que la jeunesse strasbourgeoise a découvert la culture coréenne à travers un membre de sa famille ou un(e) ami(e), un comportement que lui ou elle reproduira également avec sa famille ou ses amis. Cela instaure un sentiment sincère de partage volontaire d’une culture qu’ils apprécient, et non une banale tendance éphémère. Un partage qui a ainsi permis la formation d’une communauté centrée autour de la culture coréenne, avec en point d’orgue l’émergence des groupes de K-pop Cover de Strasbourg (groupes de danse qui reprennent les chorégraphies des célèbres groupes de K-pop). Les groupes de Cover les plus appréciés sur Strasbourg sont LightNIN, NyuV et PRISM, qui enchantent régulièrement les passants ainsi que les touristes lors de leurs performances respectives aux quatre coins de la ville.
Des performances qui, lors de ces derniers mois, ont gagné en qualité, en maîtrise et en régularité. Telle une bonne bouteille de vin, cette bonification s’explique par une plus grande compréhension des mécaniques de la culture coréenne et de la K-pop en général, mais aussi par cette volonté constante de vouloir progresser pour réaliser des prestations toujours plus abouties. « Une exigence » que veut mettre en avant Marie, membre du groupe PRISM lors de chacun des nouveaux projets du groupe pour montrer tout le travail qu’il faut réaliser pour obtenir un résultat satisfaisant, mais aussi une forme de respect envers l’important travail de chorégraphie nécessaire réalisé par les groupes de K-pop qu’ils reprennent. De plus, comme le rapporte Zahara « il y a régulièrement de nouvelles danses et chorégraphies à apprendre », ce qui permet d’éviter une forme de monotonie et de lassitude. Et comme la K-pop dispose de plusieurs styles différents, chacune et chacun peut trouver un groupe ou une chorégraphie qui peut lui plaire. Ces groupes de Cover appartiennent, dorénavant, à un certain paysage strasbourgeois qu’il faudra reconnaître, avec un public qui est en mesure de pouvoir apprécier leur talent et leur prestation.
Loin des yeux, près des clichés ?
La réussite de l’implantation d’une culture amène aussi son revers de la médaille. De ce fait, l’appréciation de la jeunesse strasbourgeoise envers la culture populaire coréenne apporte régulièrement son lot de clichés, car la réussite culturelle d’un pays ouvre encore plus la porte à des prises de positions essentiellement basées sur des clichés. De la jalousie en somme ? Peut-être. Il n’est pas rare que le simple fait d’écouter de la K-pop, de danser ou de parler de la Corée fasse revenir les éternels clichés relatifs à la communauté asiatique, à la Corée du Nord ou encourage à attaquer la personnalité de la personne. Cela s’explique, peut-être, par le fait que le regard des critiques est éloigné, les rapprochant plus près de lieux communs. Des comportements qui génèrent chez cette jeunesse une forme d’incompréhension et d’irrespect envers le travail parfois ardu et remarquable accompli par les acteurs de la culture coréenne. Un travail prodigieux et de longue haleine qui a finalement permis de placer la Corée du Sud définitivement sur la carte du monde, et d’être appréciée par beaucoup. Une vision qui peut être paradoxale pour la ville de Strasbourg, capitale de l’Europe, dont la devise de l’Union européenne est “Unis dans la diversité”.
Strasbourg, ville européenne et internationale pour la jeunesse ? Vraiment ?
La ville de Strasbourg est le siège d’importantes organisations européennes telles que le Parlement européen ou le Conseil de l’Europe, et est reconnue internationalement pour son symbolisme et son histoire. Un statut qui, malheureusement, ne se ressent pas par les activités culturelles qu’elle propose, surtout vis-à-vis de sa jeunesse. Mais maintenant que la culture coréenne est enfin bien établie dans la capitale de l’Europe, ne serait-ce pas l’opportunité rêvée pour la ville de répondre aux attentes de la jeunesse au regard de cette culture ?
La jeunesse strasbourgeoise est définitivement prête à accueillir dans sa ville divers événements consacrés à la culture coréenne. Il y a, d’abord, une idée de pouvoir alimenter leurs connaissances et leur curiosité concernant cette culture, que ce soit son histoire, ses coutumes, ses traditions ou son art, avec en même temps la volonté de pouvoir réduire les clichés. Car, le plus souvent, lorsque des conventions sur les pays asiatiques sont organisées, ils sont souvent mélangés entre eux, cela n’aidant pas forcément à s’extirper des clichés déjà bien présents sur l’Asie au global. Une convention ou un festival dédié spécifiquement à la culture coréenne permettrait alors de faciliter les distinctions avec ses autres voisins asiatiques comme la Chine ou le Japon, trop souvent associés, ou pire confondus entre eux, surtout au regard du passif historique entre ces trois pays. Cela montrerait aussi l’ouverture de la ville de Strasbourg à l’égard de l’Asie, et témoignerait d’une volonté de mieux comprendre cette zone géographique. De même, des événements comme le Marché de Noël ou la Fête de la Musique, pourraient aussi être des moments lors desquels les groupes de K-pop Cover de Strasbourg pourraient performer. La Fête de la Musique ayant pour vocation de promouvoir les différents styles de musique, alors que le Marché de Noël, grâce auquel la ville s’est autoproclamée ‘Capitale de Noël’, serait un bon moyen de faire plaisir aux touristes coréens, qui semblaient nombreux cette année à arpenter les rues de Strasbourg.
Mais bien évidemment, la plus grosse attente venant de cette jeunesse strasbourgeoise vis-à-vis de la ville, c’est l’organisation de concerts afin de pouvoir voir leurs groupes préférés sur scène. Et pour cela, la ville de Strasbourg doit davantage appuyer sur son statut de capitale de l’Europe, qui pour l’heure est (trop) souvent sous-exploité, surtout quand il s’agit de sa jeunesse. L’opportunité que représente l’engouement des jeunes strasbourgeoises et strasbourgeois pour la K-pop devrait donner l’occasion à la ville de Strasbourg d’organiser davantage de concerts, et d’inviter plus régulièrement des artistes coréens pour des événements culturels.
La liste des 8 groupes et artistes coréens que les jeunes de Strasbourg voudraient voir en priorité en concert à Strasbourg (liste établie après avoir recueilli les préférences des personnes interviewées) :
● Stray Kids (SKZ)
● SEVENTEEN
● ATEEZ
● ENYPHEN
● Tomorrow X Together (TXT)
● Kiss of Life (KIOF)
● B.I. (Soliste)
● Yiruma (Pianiste)
La ville de Strasbourg a en plus l’avantage d’être un véritable carrefour européen. Car l’organisation de concerts de K-pop à Strasbourg permettrait non seulement de faire venir des fans de toute la France, mais également les fans des pays frontaliers comme l’Allemagne, la Belgique et la Suisse. De même, si de grands groupes sont en capacité de venir performer à Strasbourg, de facto des spectateurs du monde entier pourraient aussi faire le déplacement pour les voir. Ces concerts deviendraient in extenso un moyen supplémentaire de développer indirectement le tourisme dans la capitale Alsacienne. En termes d’infrastructures pour les concerts, la ville de Strasbourg est équipée d’un des plus grands Zéniths de l’Hexagone : le Zénith de Strasbourg peut accueillir plus de 12 000 spectateurs, soit le double de la capacité du Zénith de Paris à La Villette (environ 6000 places). Par ailleurs, l’agrandissement et la rénovation du Stade de la Meinau, l’antre du club de la ville, le Racing Club de Strasbourg, pour 2026 pourrait, comme beaucoup d’autres stades en France et en Europe, devenir un lieu d’accueil de futurs concerts. La ville a ainsi toutes les armes pour satisfaire les attentes de sa jeunesse, mais a-t-elle encore la volonté et la capacité de le faire ? Wait and see…
Han-Ul CHANG
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