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Être une femme aujourd’hui.

Être une femme aujourd’hui. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que cela implique ?  Qu’est-ce que cela comprend ? Comment faire face aux injonctions – plus ou moins évidentes – que la société nous impose ?

De formation philosophique, j’aime accorder une attention particulière au vocabulaire. C’est pourquoi je n’aime pas ce terme, « imposer ». Notre société contemporaine – c’est-à-dire capitaliste et patriarcale – fait plus que nous imposer des limites, des contraintes physiques ou psychiques, économiques ou morales. Elle les insinue dans des discours trompeurs, elle les immisce dans ses normes, dans ses règles, elle fait de ces limites l’ambiance dans laquelle nous évoluons, l’air même que nous respirons.

En établissant des normes de conduite, en fondant son système sur la figure masculine, en transmettant ses valeurs et ses traditions, la société capitaliste patriarcale s’immisce dans nos vies.

“This is a man’s world”. James Brown l’a bien dit avant nous. Le monde est fait par des hommes, pour des hommes. Jusqu’aux normes de santé et de sécurité, tout est établi en fonction des normes biologiques des hommes : une femme a plus de chance de mourir dans un accident de voiture qu’un homme puisque les airbags ne correspondent pas aux spécificités du corps féminin[1] ; une femme est plus susceptible d’être sujette à des effets secondaires lors de la prise de médicaments dont la posologie est calculée en fonction des hormones masculines[2] ; ou encore, pour être dans l’actualité, les restrictions de température impactent davantage les femmes que les hommes[3]

Ainsi, le milieu même dans lequel les femmes évoluent leur est hostile. Il semblerait que rien ne soit fait pour ces êtres « plus fragiles » qui dès lors devraient gagner leur droit de vivre en faisant leurs preuves. Survis ou crève.

Self-Portrait at Thirteen, Francesca Woodman, Boulder, Colorado, 1972 ;
(URL: https://woodmanfoundation.org/francesca/works)

La femme, ce « deuxième sexe » contradictoire

Les femmes toutefois doivent s’accommoder à cet environnement hostile et le faire perdurer. Les femmes sont des proies, des objets de convoitise, mais aussi un idéal maternel de pureté tout en étant l’essence même de la vulgarité. Les femmes sont viles, manipulatrices et joueuses, elles sont aussi obéissantes, respectueuses et pures. On ne veut pas d’une femme sentimentale, pleurnicheuse, dépendante, mais on ne veut pas non plus d’une femme qui raisonne, d’une femme trop indifférente ou indépendante. On veut d’une femme que l’on peut garder sous la main, mais qui n’est pas sur le devant de la scène. On veut d’une femme que l’on peut contrôler, mais dont on n’est pas responsable et dont on peut se débarrasser. 

La femme idéale est faite de contradictions, mais la femme réelle aussi est contradictoire. Comment se construire face à de telles exigences ? Quel bord choisir ? Comment se faire une place dans un monde capitaliste patriarcal dans lequel la femme ne doit qu’être profitable aux femmes ?

Untitled, Francesca Woodman, Rome, 1977-1978 ;
(URL: https://woodmanfoundation.org/francesca/works)

Au-delà de cet environnement sociétal hostile, c’est l’environnement familial même – parental, marital ou encore amical – qui immisce, insinue et instaure ces injonctions de façon pérenne et, de ce fait, problématique. Y a-t-il meilleur précepteur du patriarcat que l’entourage proche ? Plus encore, y a-t-il meilleur instructeur que les femmes elles-mêmes ? Si nous avons tendance à imiter ce que l’on voit et ainsi tendance à reprendre les codes sociaux, moraux et comportementaux de notre entourage sans trop les interroger, nous avons aussi tendance à reproduire ce que l’on a vécu, à inculquer ce qui nous a été appris. Et c’est bien connu, les femmes sont chargées de l’éducation. Une femme, éduquée par une femme, elle-même éduquée par une femme, toutes évoluant dans un milieu patriarcal, capitaliste, hostile.

Le XXIe siècle, le siècle du progrès ?

Petites, on nous apprend à nous faire discrètes. Une fillette qui a de la vie, c’est bien, mais elle ne doit pas être turbulente ou capricieuse. Adolescentes, on nous apprend à nous habiller correctement. Il ne faut pas attirer l’attention des garçons. Les tenues inappropriées nous culpabilisent et légitiment l’objectivation et le regard pervers. Adultes, on ne doit pas être trop ambitieuses. Avant tout, la femme doit engendrer des enfants. Ce n’est pas la cheffe de famille, mais en avoir une est de sa responsabilité. Mettre sa carrière de côté va de soi.

Rien ne me semble plus archaïque et daté que d’écrire tout ça. Et pourtant. Aujourd’hui, les femmes sont toujours sous-représentées dans les postes à responsabilité. Ce sont encore les plus pénalisées et les plus touchées par les réformes politiques : retraite, inflation, mal-logement. Ce sont aussi les plus vulnérables, les plus violentées, les plus dissimulées. Les femmes sont encore sujettes aux discriminations, aux stéréotypes, aux préjugés. Elles sont sujettes à des attentes démesurées, doivent correspondre à des critères de beauté de plus en plus irrationnels – phénomène par ailleurs amplifié avec les réseaux sociaux. Les filles sont sexualisées, les femmes sont des objets de fantasme sans cesse rajeunis, et dans la vieillesse, la femme n’est plus une femme : elle n’a plus de valeur, n’est plus profitable.

Susan Sontag photographiée par Peter Hujar en 1975
(URL : http://peterhujararchive.com/images/eph-0021/)

Être une femme aujourd’hui

Comment se sentir bien dans son corps et dans sa tête ? Comment se trouver belle ? Est-ce même possible quand on est une femme de vivre en tant que soi et pour soi ? S’émanciper de notre éducation, de notre entourage, de notre environnement et tout reconstruire n’est pas évident. Lutter pour sortir d’une vision capitaliste patriarcale du monde et engendrer une vision plus humaine est une lutte de tous les instants. Lutter pour le droit d’être un être humain parmi les êtres humains. Lutter pour avoir des droits, pour les conserver, les améliorer. Lutter pour une condition féminine plus juste.

Être une femme aujourd’hui, c’est lutter contre vents et marées, à hauteur de nos moyens et de nos possibilités, pour être une femme, c’est-à-dire un être humain égal aux autres.

Comme le dit James Brown, “it wouldn’t be nothing without a woman or a girl”, alors mesdames, soyez vous-mêmes et luttez.

Par Morgane Geoffroy


[1] https://www.lavoixdunord.fr/547235/article/2019-03-05/pourquoi-les-femmes-risquent-plus-de-mourir-en-cas-d-accident-de-voiture

[2] https://www.sudouest.fr/sante/medicaments-pourquoi-les-femmes-sont-plus-sujettes-aux-effets-secondaires-1874241.php#:~:text=Dans%2090%25%20des%20cas%2C%20ces,plus%20souvent%20que%20les%20hommes

[3] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/17/inegaux-devant-le-thermostat-pourquoi-les-femmes-sont-plus-sensibles-au-froid-que-les-hommes_6158168_4355770.html

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