Cinéma

Nomadland : on se verra sur la route

Par Morgane Geoffroy

Le dernier film multi-récompensé (Oscar du meilleur film, Oscar de la meilleure réalisation, Oscar de la meilleure actrice, Lion d’or) de Chloé Zhao – réalisatrice et scénariste chinoise résidant aux États-Unis) mérite que nous le célé-brions aussi aussi pour l’émotion qu’il nous a prodiguée.

Ce film aux couleurs épatantes et aux paysages éblouissants s’efforce, inlassablement de nous rappeler l’importance de vivre avant tout. Vivre de peu – enchaîner les petits jobs, dormir dans un van, être toujours sur la route – mais vivre profondément, intensément, au rythme des rencontres et des saisons. Sur une bande son majoritairement composée par Ludovico Einaudi, le spectateur, de retour enfin dans les salles obscures , ne peut qu’apprécier la pureté des sentiments, leur simplicité et leur véracité.

On y suit la pérégrination de Fern, une veuve qui décide de prendre la route après l’effondrement économique et la disparition « d’Empire », ville industrielle où elle vivait avec son mari. Adapté du roman homonyme de la journaliste Jessica Bruder, Nomadland est semblable à une sorte de recueil de récits: chaque nomade a sa propre histoire, son propre passé et ses propres douleurs, et pourtant tous ensemble, ils forment un Tout. Ils sont une partie de l’Amérique, où ils contribuent à la richesse – non pas économique mais humaine, sensible, fraternelle.

Sur la route, Frances McDormand est une Fern naturelle et résiliée qui rencontre Dave, interprété par David Strathairn, avec lequel elle se liera d’une amitié joviale. A côté Linda May, Swankie et Bob Wells, ces trois derniers jouent leur propre rôle, n’étant personne d’autres qu’eux-mêmes, c’est-à-dire des nomades, et les mentors de Fern. À la découverte de l’Ouest Américain, entre un emploi chez Amazon et une récolte de betteraves, Fern tisse des liens et se découvre une nouvelle nature, plus proche de cette grande Nature, plus proche d’elle-même, de ses blessures et de ses ambitions.

« À ceux qui ont dû partir »

Autour d’un feu de camp, les paroles qu’échangent ces nomades sont profondes et résonnent en chacun de nous. Toutes d’un certain âge dit respectable, la plupart en retraite, ces personnes sont plus que les protagonistes d’un film : tous ont décidé de s’émanciper du joug du dollar et de la doctrine très US du profit pour creuser leur propre vie, suivre leurs envies et leurs rêves. Si la scénarisation reste simple et naturelle en collant au plus près des aspirations de chacun, la réalisation est spectaculaire et véhicule de fortes émotions : au détour d’un vol majestueux d’hirondelles, d’une recherche de la plus jolie pierre du camp sur un fond crépusculaire ou encore d’une photo aux côtés d’un diplodocus, on vit soi-même de nouveaux souvenirs qui se créent, des liens qui se nouent et des vies s’épanouissent. Chacun, à travers son voyage, évoque la mémoire d’autrui qui perdure et qu’on retrouve toujours sur la route, un jour.

Dans Nomadland, la vie des nomades n’est pas un pendule oscillant de droite à gauche, entre la souffrance et l’ennui. Si la souffrance est présente, c’est un moteur de découvertes et d’aventures qui ne laissent pas de place à l’ennui. L’exploration des vastes étendues américaines est corrélée à l’exploration de l’âme humaine et de ses tréfonds. Ici, nul abîme inexplorable et inintelligible, seulement une rétrospective sur la vie, et sur ce que c’est que vivre.

Nomadland

Réalisé par Chloé Zhao

Avec Frances McDormand, David Strathairn, Linda May, Swankie

En salle à depuis le 9 juin 2021 (France)

Durée : 1h48

Catégories :Cinéma, Culture, Littérature

Tagué:, , ,

Laisser un commentaire