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La littérature japonaise : les mangas et au-delà

Quittons un peu notre France agitée pour le pays du Soleil levant : le Japon et sa littérature particulière, les mangas et au-delà. Qu’est-ce que la littérature japonaise ? Qu’est-ce qui fait sa spécificité ? Ici, on verra que la littérature japonaise ne se limite pas aux mangas, bien qu’ils en constituent une large partie et qu’ils contribuent à nous faire découvrir cette culture totalement différente de la culture occidentale.

Les mangas : la bête noire des intellectuels épris de littérature classique ?

Globalement, lorsqu’on parle de littérature japonaise aujourd’hui, le premier mot qui nous vient à l’esprit est « manga ». Des mangas par-ci, des mangas par-là, on en voit partout. Les jeunes en raffolent, les moins jeunes aussi. De plus en plus de librairies leur sont même dédiées, en témoigne le déménagement du Camphrier place Kléber, qui s’offre maintenant 300 m2 dédiés aux mangas et à la culture japonaise.

Souvent considérés comme de la « fausse littérature », les mangas ont longtemps été la bête noire des intellectuels et des connaisseurs de la littérature classique, au point de stigmatiser les adolescents fanas de ces histoires courtes –ou pas, certaines séries comprenant plusieurs dizaines de tomes – au style éruptif et au dessin tranchant. Certes, le manga peut parfois être l’apanage de jeunes geeks au look un peu déroutant, sans toutefois faire de ceux qui en lisent des aliens à l’air éberlué.

En fait, le manga consiste pour beaucoup de jeunes en une première entrée dans la littérature. C’est souvent cette expérience du manga qui leur fait découvrir le plaisir de la lecture, car oui, il faut se l’avouer, lire un manga d’une centaine de pages, principalement constitué d’illustrations et de peu de dialogues, c’est beaucoup moins impressionnant que de lire Molière, Flaubert ou Voltaire pour son cours de français, et surtout plus divertissant et stimulant pour des jeunes.

Alors encourageons donc les jeunes à lire des mangas, le principal étant qu’ils lisent et y prennent du plaisir et, qui sait, peut-être que cela les encouragera à découvrir d’autres styles par la suite !

Petite histoire du manga

D’ailleurs, quand on s’y penche vraiment, on se rend compte que les mangas sont plus que de simples BD japonaises sans aucune pertinence littéraire, comme on peut souvent l’entendre. S’ils sont apparus en France dans les années 80 seulement, notamment grâce au Club Dorothée et à ses diffusions d’animes – l’adaptation sous forme d’animation d’un manga – ils existent au Japon depuis plus longtemps.

Les premiers mangas paraissent vers 1902 sous la plume de Rakuten Kitazawa, mais ceux-ci ne connaîtront véritablement leur essor en tant que tels – et non plus liés à la presse comme ils l’étaient dans leur première forme – qu’avec le travail d’après-guerre d’Osamu Tezuka, l’auteur du célèbre Astro, le petit robot. Toutefois, on peut considérer que les mangas sont encore bien plus anciens, étymologiquement parlant.

En effet, le mot manga signifie « esquisses rapides » ou « peindre sans but »[1]. C’est sous cette acception-là que Hokusai placera ses multiples livrets, les Hokusai manga. Ces livrets sont semblables à des manuels et à des modèles de peinture et connaîtront un grand succès ainsi qu’une large diffusion. On peut dès lors sans crainte se revendiquer lecteur de mangas puisque même le maître de l’estampe en a été l’auteur. 

Les mangas, d’accord. Et quoi d’autre ?

Comme déjà dit plus haut, dès qu’on parle de littérature japonaise, manga est le premier mot qui nous vient à la bouche. C’est d’ailleurs, à mon grand désespoir, le seul genre littéraire qui est mis en avant, par exemple lors du « Japan week-end » qui s’est tenu le premier week-end d’avril à Strasbourg. Eh oui, figurez-vous qu’il existe d’autres livres d’auteurs japonais qui ne sont pas des mangas (le choc). Forcément, les mangas connaissent un succès grandissant – ils représentent 1 livre acheté sur 7 et 57% du marché de la BD en 2022[2]– et sont donc présents un peu partout et c’est d’eux qu’on entend le plus parler, ce qui fait que les autres genres passent à la trappe.

Pourtant, ces autres genres ne sont pas des moindres et notamment la poésie japonaise qui dispose d’une grande reconnaissance à l’internationale grâce aux haïkus, ces poèmes très brefs et codifiés dont le but est de transmettre l’émotion fugace et intense ou encore l’émerveillement face à la beauté.

La fiction non plus n’est pas en reste, puisqu’on considère même Le Dit du Genji écrit au XIe siècle par Murasaki Shikibu, dame de la cour du milieu de l’époque Heian (Xe-XIe siècles), comme l’un des premiers romans de l’histoire, dans la mesure où il met en avant un véritable archétype romanesque[3]. Certes, tous les romanciers japonais ne sont pas oubliés, comme en témoigne le succès des romans de Haruki Murakami, auteur contemporain largement reconnu, mais on tend à les oublier alors même que trois auteurs d’origine japonaise ont reçu le Nobel de littérature dont feu Kenzaburô Ôé, le dernier en date, fut nobélisé en 1994. Ainsi, il y a pléthore d’auteurs à découvrir une fois qu’on s’y intéresse, encore faut-il être un peu initié à ce qui se fait.

D’ailleurs, on notera la présence de nombreuses femmes dans ce milieu et il nous tient à cœur de les mettre en lumière. La plus connue sera probablement Yoko Ogawa, autrice à succès de plus d’une vingtaine de livres. À ses côtés on trouve aussi Hiromi Kawakami ou encore Ito Ogawa et bien qu’elle écrive en français, Aki Shimazaki, née au Japon, est, à mon goût, l’une des meilleures écrivaines contemporaines. 

Kenzaburô Ôé, prix Nobel de littérature en 1994
Tokyo, 2013 (Jérémie Souteyrat /Libération)

Un roman japonais, quelle différence ?

Il n’y a pas que des mangas, d’accord. Il y a aussi des romans. Mais qu’est-ce qui fait leur spécificité ? Pourquoi lire un roman japonais ? En fait, le style est complètement différent. Oubliées les longues descriptions balzaciennes : le roman japonais est à la fois direct et poétique. Ici, chaque mot compte et chaque mot est doté de sa dimension propre : une simple phrase créée à elle seule toute une ambiance, tout un contexte et toute une situation. Chaque mot est à sa place et il ne pourrait pas en être autrement. Bref, l’écriture est pointue, précise et profondément poétique, spirituelle.

Au-delà du style, c’est aussi le thème et son traitement même qui sont originaux : les sentiments et les interrogations qui vont avec sont au cœur des ouvrages. Les personnages s’interrogent et sont en proie aux passions humaines tout en étant partagés avec la rigueur morale et la pureté traditionnelles. La famille, l’amitié et l’amour, autant de notions qui s’entremêlent et s’entrecroisent, créant parfois des histoires qu’on croirait indénouables. Et c’est parfois le cas. Les lecteurs d’Aki Shimazaki savent que l’on reste sur sa faim à chaque fois que l’on referme l’un de ses livres. Mais n’est-ce pas là aussi ce qui fait toute la beauté du roman ?

En n’offrant pas de dénouement, pas de morale précise, le lecteur est seul face à ses réflexions et à ses interrogations. On ne lui offre pas de position précise à laquelle se tenir. Chacun doit apporter sa contribution et sa solution. Finalement, c’est le lecteur qui donne le mot final du livre, selon l’écho que la lecture aura trouvé en lui et c’est ce qui, à mon avis, est particulièrement poétique avec les romans japonais. Ainsi, je ne ferai que trop vous conseiller de vous y lancer à corps perdu afin de découvrir un ton et un style tout à fait originaux.

Quelques recommandations de romans : 

Et en bonus, les poèmes de Bashô.

Par Morgane Geoffroy

Estampe de Tanigami Konan

[1] Hokusai, Olaf Mextorf, éditions Place des Victoires, 2021.

[2] https://www.idboox.com/economie-du-livre/quel-est-le-poids-du-marche-du-manga-en-france/#:~:text=Plus%20de%20380%20millions%E2%82%AC%20g%C3%A9n%C3%A9r%C3%A9s%20par%20la%20vente%20de%20Manga&text=En%20volume%2C%20le%20Manga%20repr%C3%A9sente,march%C3%A9%20de%20la%20bande%20dessin%C3%A9e.

[3] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/le-dit-du-genji-quel-le-premier-roman-de-l-histoire-selon-google-3226914

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