Européenne

Le séparatisme serbe menace la Bosnie

Les déclarations du Président des Serbes de Bosnie Milorad Dodik attisent les tensions ethniques, vingt-six ans après la fin de la guerre civile.

par Alice Ferber et Adrien Sarlat

C’est dans la Yougoslavie du dictateur Tito, en 1980, que Milena Jovovic, docteure aux urgences de Sarajevo, tombe amoureuse de son patient, l’avocat Resad Dizdarevic. Lui est bosniaque et musulman, elle serbo-croate et orthodoxe. Un détail sans importance à l’époque. Pourtant, trente et un ans plus tard, ces différences ethniques et religieuses alimentent les divisions nationales. Milorad Dodik, le chef des Serbes de Bosnie, agite aujourd’hui l’étendard nationaliste contre la fédération croato-musulmane, multipliant les déclarations aux accents sécessionnistes.

© AP/Darko Vojinovic. Le Président des Serbes de Bosnie Milorad Dodik entend faire sécession

Citoyenneté exclusive

« Dodik menace de quitter les forces armées communes pour créer sa propre armée, son propre appareil judiciaire et son propre système fiscal, détaille Catherine Lutard, sociologue des conflits en ex-Yougoslavie. S’il s’accapare ces compétences régaliennes, il créera un nouvel État autonome ». Selon cette professeure à Sciences Po Saint-Germain, une sécession du président de la République serbe nuirait à la stabilité de la Bosnie.

En Bosnie, trois peuples disposent d’un statut officiel : les Serbes, les Croates et les Musulmans, devenus les « Bochniaques » en 1993. Cette division tripartite de la population exclut les minorités juives, tsiganes et roms de toute représentation politique. « L’idée de citoyenneté n’est pas inclusive telle qu’on l’imagine en France », estime Catherine Lutard. En Bosnie, au gré des changements de dirigeants, l’Etat national tend à “privilégier un groupe ethnique particulier au détriment des autres ».

Jusqu’à la guerre civile de 1995, Milena et Resad ne s’étaient jamais questionnés sur leurs origines ethniques. « Avant, les mariages mixtes ne posaient pas de problème, se souvient Darko, leur fils, conseiller juridique de 34 ans. Pour mes parents, les sentiments l’emportaient sur la religion ».

Plus de 8 000 Bochniaques ont pourtant été massacrés par l’armée serbe lors du génocide de Srebrenica du 11 au 16 juillet 1995. Au total, le conflit a causé 100 000 morts et deux millions de déplacements. Catherine Lutard déplore la persistance de « mémoires plurielles » en Bosnie : les partisans de Dodik « nient cet épisode sanglant, tandis que, de leur côté, les Musulmans ont du mal à reconnaître les exactions commises par leur propre camp durant la guerre ». De cette absence de réconciliation mémorielle découlent de vives tensions politiques.

« Si la situation s’aggrave, je partirai »

« Je proclame la fin de ce système tripartite », a clamé Dodik le 14 octobre. Devant cette volonté de faire sécession, Darko et ses parents hésitent à émigrer. « Si la situation s’aggrave, je partirai », explique-t-il. A l’image de ses trois amis expatriés à Lyon et des « 15 000 Bosniens exilés en Europe ». « Les jeunes médecins, avocats, ingénieurs, partent se former à l’étranger, poursuit Catherine Lutard. La corruption endémique, la perte de confiance dans la vie politique et l’avenir économique, ainsi que l’absence d’aides sociales par l’Etat entraînent une désertification ».

Les citoyens ne veulent pourtant pas croire à un nouveau conflit. Pour Darko, les politiciens soufflent sur les braises de la guerre passée, mais en réalité, Milena et Resad chérissent la paix institutionnalisée par les accords de Dayton en 1995. « Tout le monde se fiche des différences de religions, surtout à la capitale Sarajevo, où les mariages mixtes sont courants ». Les Bosniaques refusent de revivre les traumatismes du passé. Eux restent soudés. Milena et Resad aussi.

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