Migrants : otages du bras de fer entre Merkel et Loukachenko

Après plusieurs semaines de tensions aux portes de l’Europe, Berlin refuse la proposition du dictateur biélorusse d’accueillir 2000 migrants bloqués à la frontière polonaise. Décryptage.

par Alice Ferber et Adrien Sarlat

Dans la zone d’embarquement à l’aéroport de Minsk, les migrants patientent. Chargés d’un maigre sac à dos, prostrés, le regard las, ils paraissent épuisés. Lundi, 118 d’entre eux ont été rapatriés vers l’Irak et la Syrie, d’après Alexeï Begun, haut responsable du ministère de l’Intérieur biélorusse chargé des migrations. La semaine dernière, ils étaient plus de 400 Irakiens à regagner leur pays, après avoir échoué à atteindre l’Union européenne via la Pologne, voisine de la Biélorussie, tandis que 15 000 candidats à l’exil sont encore massés à la frontière dans l’espoir de la traverser. Loukachenko leur avait promis un passage facile en Europe pour déstabiliser ses dirigeants, mais ils se sont retrouvés bloqués à la frontière polonaise.

© Maxim Guchek/BelTA via AP. Cinq enfants migrants devant une barrière barbelée et la police polonaise au point de passage « Kuznitsa », à la frontière près de Hrodna, en Biélorussie, mercredi 17 novembre

« Une guerre contre l’UE »

Alexandre Loukachenko s’est entretenu à deux reprises avec Angela Merkel, devenue l’interlocutrice privilégiée du dictateur. Pourtant, les Etats européens ne reconnaissent pas la réélection truquée du président biélorusse en août 2020. Loukachenko a proposé à l’Allemagne d’accueillir 2000 de ces migrants sur son territoire. Une proposition rejetée par la chancelière.
« Merkel m’a promis qu’ils examineraient ce problème au niveau de l’Union européenne, a déclaré Loukachenko à la presse lundi. Mais ils ne l’envisagent même pas ».

Dans la forêt de Białowieża, les migrants campent par des températures négatives dans des conditions misérables. Les médias polonais recensent onze morts depuis cet été. Bruxelles accuse le régime d’Alexandre Loukachenko d’avoir orchestré l’afflux de migrants et de les masser aux frontières orientales de l’UE pour se venger des sanctions européennes. D’après Nadzeya Luchanok, membre de l’association d’aide aux migrants Centre de solidarité bélarusse, le dictateur mène une
« guerre dirigée contre l’UE » et s’efforce de « détourner l’attention de l’opinion internationale des persécutions que subissent les Bélarusses dans le pays ». Elle ajoute : « Ces migrants sont des otages. Beaucoup sont battus par les gardes-frontières ».

© Viktor Tolochko/SPUTNIK/SIPA. Près de 15 000 migrants sont massés à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne

Stratégie de discorde


Pourquoi une telle fermeté de l’Allemagne, qui avait pourtant accueilli 1,1 million de réfugiés en 2015 ? Selon Frédéric Petit, député des Français établis en Allemagne, en Europe centrale et dans les Balkans, Loukachenko cherche à « frapper là où nous sommes faibles. Il sait très bien que 2000 migrants ne vont pas déséquilibrer la balance européenne, mais leur arrivée va bloquer la question migratoire pendant quinze ans ». Le député évoque la reprise des négociations sur la révision du règlement Dublin III, qui précise que le droit d’asile ne peut être demandé que dans le premier pays de l’UE où arrive le migrant. Depuis la crise migratoire survenue en 2015, ces accords sont sources de tensions pour les pays possédant une frontière externe à l’UE.

« Comment voulez-vous débattre des accords si, chaque jour, des migrants entrent par Białowieża et se retrouvent dans la banlieue de Berlin et de Francfort ?, fulmine Frédéric Petit. C’est une stratégie de discorde en Europe ! ». Où les partis d’extrême droite instrumentalisent avec succès la question migratoire. Pendant ce temps, à l’est de l’Europe, derrière la frontière barbelée, ils sont des milliers à attendre le dénouement du bras de fer diplomatique.

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