La nécropole parisienne du Père-Lachaise accueille trois millions de visiteurs par an. À cause de la pandémie de Covid-19, on y rencontre moins de touristes étrangers, mais autant de badauds et d’habitués.
par Alice Ferber
« Frédéric Chopin par ici, Jim Morrison par là-bas, Jean de La Fontaine et Molière un peu plus loin, à côté du mausolée ». Malgré ces indications, Léon, 73 ans, assis sur un banc vert sapin, ne sait pas où donner de la tête. Le retraité peine à se repérer au milieu des 69 000 sépultures et des 44 hectares du cimetière du Père-Lachaise (Paris XX). « Des amis m’ont conseillé de faire un tour ici, explique Léon en ôtant son béret, hagard. Je ne m’aventure pas dans les petits chemins, mais je finis quand même par m’égarer ». Léon fait partie des milliers de promeneurs venus se recueillir ou fleurir des tombes en ce lundi 1er novembre. « La Toussaint, c’est pour fêter les morts, tâchons de ne pas les oublier ! », grommèle-t-il avant de s’enfoncer dans l’avenue Principale.

Photographier le gris nostalgique des tombes
Parmi les passants, il y a ceux qui, le pas décidé, enjambent les monuments, et ceux qui errent au gré des allées pavées. Les seconds, Jean les alpague d’un nonchalant : « eh, vous cherchez un guide ? ». L’ancien maçon de 72 ans réside rue Moret, à deux pas du cimetière qu’il arpente tous les matins. En échange d’une pièce, l’homme à la chemise bordeaux délavée se prétend capable de mener les touristes à « 100 tombes, les yeux fermés ». Jean connaît par cœur les emplacements de celles d’Edith Piaf, Gilbert Bécaud, Yves Montand et Sarah Bernhardt, son « pré-carré », clame-t-il en secouant ses cheveux neige en bataille. « Ma retraite est toute petite, alors ça met du beurre dans les épinards », justifie celui qui gagne jusqu’à 20 euros les jours de forte affluence mais qui le plus souvent, rentre chez lui bredouille.
« Attention Benjamin, ne t’approche pas trop près des tombes ! », sermonne Lucie, 34 ans, engoncée dans sa doudoune jaune canard. « Difficile de visiter le cimetière avec trois enfants en bas âge », souffle cette cadre rémoise. C’est pourtant la mission qu’elle s’est donnée avec son mari Jérôme. « On veut transmettre à nos garçons l’importance du recueillement », précise-t-il à son tour. « Bon, c’est pas facile, notre nouveau-né n’arrête pas de hurler », ironise le père en berçant la poussette. Deux heures de visite du parc suffiront pour le jeune couple, venu rendre visite à sa famille parisienne pour la Toussaint.
Avenue des Peupliers, les passants se font plus discrets. Leur balade s’accompagne du gazouillis des moineaux et du bruissement du vent dans les chênes. Les rayons du soleil se faufilent entre les amas de granit et se reflètent sur les flaques de pluie tombée la veille. Les feuilles jaunies recouvrent les stèles et les sépulcres abandonnés. Julia et Liesel, 19 et 21 ans, profitent de ce silence solennel pour immortaliser les tombes avec leur appareil Canon dernier cri. Du haut de leur mètre 80, elles arborent une jupe fleurie qui manque de se soulever à chaque bourrasque. Les deux étudiantes en photographie à Berlin prétextent un tour d’Europe des capitales pour exercer leur art. « Dans cette nécropole très esthétique, les couleurs chaudes de l’automne se mêlent au gris nostalgique des tombes, ce qui donne un lumineux contraste », résume poétiquement Liesel. Prochaine étape pour les deux amies : le cimetière de Highgate, au nord de Londres.
15 000 promeneurs à la Toussaint
Armée d’un ciré bleu nuit estampillé « mairie de paris » et de ses bottes de pluie, Christine (le prénom a été modifié) veille au grain. Dès qu’un visiteur passe l’entrée rue de la Roquette, la gardienne presse le compteur manuel en métal qu’elle tient fermement dans sa paume. De 8h à 18h, ses collègues se relaient aux cinq portes du parc pour actualiser le décompte. « Bip ». À 10h22, la quinquagénaire a déjà recensé 1 027 badauds, et à 11h58, elle atteint le seuil des 4 000 passants. « C’est une modeste estimation, car je ne déduis pas les sorties, et vers 14 heures, les groupes arrivent par vagues, impossible de compter tout le monde », nuance-t-elle. En ce lundi de la Toussaint, Christine attend environ 15 000 personnes, 20 000 tout au plus. La gardienne insiste sur la « diversité » des trois millions de visiteurs annuels :
« Le public du Père-Lachaise se compose de Parisiens curieux ou en balade, de concessionnaires funéraires, mais aussi de provinciaux et de touristes étrangers, certes moins nombreux depuis la pandémie : des Chinois, Américains, Anglais, Italiens, Espagnols, Allemands, Mexicains, Brésiliens, il y a de tout ! On entend aussi bien parler Danois que Russe et Wallon. »
Christine, gardienne au cimetière du Père-Lachaise
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