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Sur l’Île de la Cité désertée, commerçants cherchent clients

À pied, en vélo ou en voiture, les déplacements dans l’Île de la Cité sont restreints depuis l’ouverture du procès des attentats de Paris. Même si les boutiquiers du quartier en pâtissent, ils comprennent l’utilité d’un tel dispositif de sécurité.

par Alice Ferber

« On fait comment pour se rendre au musée d’Orsay ? », s’enquiert une vieille dame déboussolée. Avec son cardigan citron et ses mocassins en cuir, elle fixe le policier dressé derrière la barrière qui lui bloque le passage. « C’est simple, vous n’avez qu’à emprunter la voie d’en face », lui rétorque-t-il. Sur le trottoir qui dessert le palais de justice de Paris, seuls les avocats et les magistrats sont autorisés à circuler. Depuis le 8 septembre, lorsque la cour d’assises spéciale de Paris abrite en semaine le procès des attentats du 13 novembre 2015, le boulevard du Palais, la rue Harlay et le quai de l’Horloge sont filtrés par des policiers. Même si les passants peuvent traverser ces artères, la présence massive des agents intimide. Résultat : la vingtaine de commerçants de l’aile Ouest de l’Île de la Cité souffre d’une fréquentation en forte baisse.

© Alice Ferber. Les deux entrées du boulevard du Palais sont contrôlées par des policiers

50 % de chiffre d’affaires en moins

« On ne voit plus grand monde ici », souffle Frédéric, serveur au bistrot L’Annexe, situé en face du palais de justice. L’homme discret vêtu d’un tablier noir s’autorise à fumer une cigarette, car seuls deux clients occupent les cinquante places disponibles en terrasse. En silence, l’une boit une bière, l’autre sirote un Perrier. « Le dispositif de sécurité bloque les gens, poursuit Frédéric. Si on continue de nous priver de notre clientèle, on craint de devoir licencier l’un de nos quatre employés ». Le procès se tenant du mardi au vendredi, Frédéric et ses collègues profitent du week-end pour essayer de compenser la baisse de leur chiffre d’affaires, estimée à 50 % : « le samedi, on vit presque comme avant ».

Seule exception : sur présentation d’un billet d’entrée, les visiteurs des musées de la Sainte-Chapelle et de la Conciergerie peuvent tout de même emprunter le côté impair du boulevard du Palais. Grâce à cette souplesse, l’afflux de touristes se maintient à un niveau habituel, soit 400 visiteurs en semaine et jusqu’à 950 le week-end, d’après une employée de la Conciergerie.

Serrer les dents jusqu’à fin 2022

Pour les petits commerçants, ces restrictions de passage posent davantage problème. Trente camions de la gendarmerie sont garés en bataille devant la boutique de souvenirs Ambiance de Paris, à côté de l’Annexe. Les feuilles d’autonome se baladent au gré du vent, au pied des colonnes de cartes postales, sets de table, bérets et paires de chaussettes. Seul le carillon de l’horloge du palais de la Cité vient troubler le calme ambiant. Pas une voiture ne circule, la voie est condamnée.

© Alice Ferber. Près d’un millier de policiers et gendarmes sont déployés
pour sécuriser le procès, d’après le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin

Derrière son comptoir, Guillaume, buraliste quadragénaire au col roulé bleu nuit et aux cheveux en bataille, trouve « dérangeantes » les barrières séparant la route du trottoir : 

« Deux camions de CRS filtrent les passants de part et d’autre de l’axe Saint-Michel-Châtelet. Sur le trottoir, il n’y a qu’un mètre pour passer, alors ça crée des embouteillages, ou alors les gens ne savent pas par où entrer. On souffre de la présence d’autant de policiers, et on sent que l’atmosphère est lourde, malsaine. »

Guillaume, buraliste à la boutique Ambiance de Paris

Soutenu par d’autres boutiquiers du quartier, Guillaume a engagé un dialogue avec la préfecture  de police de Paris pour recevoir un dédommagement, dont le montant n’a pas encore été fixé. Lui a perdu 30 % de ses revenus par rapport au mois de septembre 2020, sachant que la pandémie les avait déjà réduits de 30 % cette année-là. « Même les policiers disent qu’il est compliqué de sécuriser un tel périmètre, confie le buraliste. Les conséquences nous coûtent cher, mais bon, il n’y a pas de lieu idéal pour accueillir ce procès ». Frédéric, le serveur de L’Annexe, trouve même la sécurisation du tribunal essentielle : « je n’éprouve pas de rancœur, il est normal de protéger la zone ».

© Alice Ferber. Le dispositif de sécurité a décru les revenus
de la boutique Ambiance de Paris de 30 %, ceux de l’Annexe de 50 %

Les audiences se tenant jusqu’à fin mai 2022, Guillaume et ses pairs devront « serrer les dents » encore sept mois. Suivront les procès des attentats de Nice du 5 septembre au 15 novembre 2022 et celui de l’attaque déjouée du Thalys, du 21 novembre au 16 décembre 2022. Après cette série de procès, la pandémie de Covid-19, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame et les manifestations des Gilets jaunes, peut-être l’Île de la Cité retrouvera-t-elle enfin sa gaieté.

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