Au MUSÉE DES BEAUX-ARTS de STRASBOURG du 8 OCTOBRE 2021 au 24 JANVIER 2022
Alain BOOS
Un événement extraordinaire et une grande surprise que cette première rétrospective de l’œuvre du peintre alsacien présentée sur sa terre natale. De nombreuses familles bourgeoises alsaciennes ou françaises (l’Histoire suggère cette distinction) possèdent un « Henner ». Une cinquantaine de musées français et vingt musées ailleurs exposent ses œuvres. Depuis 1924 un musée national lui est consacré dans le 17e arrondissement, à Paris.
Pourtant, ce peintre alsacien à la carrière exceptionnelle, peut-être en raison de son originalité, est peu présenté en exposition consacrée et de nos jours, peu coté même méconnu. Cette exposition pendant près de 4 mois vient lui rendre hommage et justice, 150 ans après la réalisation de son tableau le plus connu en raison de son thème patriotique, «L’Alsace, elle attend».

© Alain Boos
C’est là une rétrospective chronologique très complète qui s’admire dans des salles superbement aménagées pour mettre en valeur la centaine de tableaux et une quarantaine d’œuvres graphiques enrichies de documents ou d’objets et de photographies.


© Alain Boos
Ce que la postérité de Jean-Jacques Henner semble surtout retenir, ce sont des jeunes femmes rousses, nus idylliques peints avec une technique très personnelle ainsi que ses portraits souvent de commande (plus de 400). Ces œuvres ont été maintes fois imitées, plagiées, reproduites en lithographies, émaux et même en broderies.

© Alain Boos
Ses portraits et compositions sont devenues dès son temps et jusqu’au milieu du 20e siècle des icônes dont la plus célèbre est «L’Alsace, elle attend». Il s’agit du portrait d’une jeune femme en deuil, humble, digne, une cocarde tricolore cousue sur sa coiffe, un tableau de commande exécuté en 1871 et offert à Léon Gambetta. Cette jeune Sundgauvienne, écrit Jules Castagary – journaliste et directeur de l’école nationale des beaux arts – dans le quotidien « Le siècle » en 1871 après la défaite de Sedan (01/09/1870) et le traité de Francfort le 10 mai suivant :
«Ce n’est pas seulement l’âme d’un artiste, c’est l’âme d’un pays tout entier, l’âme de l’Alsace».
Jules Castagary dans « Le siècle » en 1871


Portrait de Thérèse Bianchi Portrait de Louis Pasteur
© Alain Boos
Jean-Jacques Henner (1829-1905) : d’une modeste ferme du Sundgau au pinacle du monde artistique de la IIIème république.
La vie de Jean-Jacques Henner peut permettre de comprendre pourquoi cet artiste qui a vécu de Charles X à la naissance du Fauvisme en 1905 a une place singulière dans l’histoire de l’art. Il est né à Bernwiller dans le Sundgau profond, dans une famille d’un agriculteur plus que modeste, en proie aux vicissitudes de l’époque notamment la grande crise alimentaire et économique des années 1840.

Cadet d’une fratrie de six, orphelin très jeune, il est soutenu par ses proches qui encouragent ses aptitudes artistiques. A 13 ans, il parcourt chaque jour 16 kms à pied pour aller au collège d’Altkirch où il prend des leçons particulières de dessin aux aurores ou après la classe. Ses proches financent à grand peine sa formation à Strasbourg puis à Paris. Une bourse du Conseil Général vient adoucir un quotidien proche de l’indigence. Il tente trois fois le Grand Prix de Rome qu’il remporte en 1858 avec un tableau d’inspiration religieuse, «Adam et Eve trouvant le corps d’Abel».
© Alain Boos
Un séjour de cinq ans à la villa Médicis lui permet de découvrir des maîtres anciens – tels Titien et le Corrège. Il sera influencé durablement par leur traitement de la lumière et du clair-obscur, par le contraste entre les chairs et les fonds sombres.


Egloge Portrait de jeune italienne
© Alain Boos

Ses efforts et son opiniâtreté lui ouvrent alors une carrière exceptionnelle. Il cumule des commandes officielles de l’Etat, des portraits, participant à tous les salons et expositions universels.
Sa fameuse « Chaste Suzanne» envoyée de Rome est médaillée au salon de 1865.
© Alain Boos
Sa renommée devient alors nationale, de nombreuses fonctions officielles lui sont confiées. Sa carrière trouve une consécration avec son élection à l’Institut de France en 1889, puis sa nomination au grade de grand officier de la Légion d’honneur en 1903.
Bien qu’ayant opté pour la nationalité française en 1871 suite à la perte de l’Alsace, il reste très attaché à sa terre natale où il séjourne chaque année et fait construire une maison à Bernwiller, lieu de ressourcement et d’inspiration. Ses contemporains notent qu’il avait gardé un fort accent alsacien alors non ridiculisé mais preuve au contraire de patriotisme « français ».

© Alain Boos
Resté célibataire, il s’est consacré à sa famille et à son village. Son acharnement au travail tournant à l’obsession, rigoureux, enraciné l’ont gardé fidèle aux valeurs de l’Alsace de toujours.
Figure singulière et atypique, il a tracé son sillon artistique en franc-tireur affranchi des canons convenus de son époque.

© Alain Boos
Céline Marcle, une des commissaires de l’exposition analyse ainsi son style si particulier :
Céline Marcle
«Il n’est pas académique, impressionniste ou symboliste comme les artistes de son temps. En opposition formelle avec la technique des impressionnistes, Henner s’intéressa aux innovations de son temps mais au risque de passer pour un classique ou un « académique » il garda toujours sa propre voie. Henner ne fut ni un romantique, ni un impressionniste, ni au sens strict un réaliste, ni un symboliste, peut-être un idéaliste unique en son temps, simplement un passionné, un poète. Son art si singulier a certainement desservi sa postérité »

© Alain Boos
Un programme très riche complète l’exposition : https://www.musees.strasbourg.eu/jean-jacques-henner-1829-1905-.-la-chair-et-l- idéal
Deux expositions sont présentées en résonance : « Alsace. Rêver la province perdue. 1871-1914 » au Musée national Jean-Jacques Henner (Paris) en collaboration avec le Musée Alsacien de Strasbourg, du 6 octobre 2021 au 7 février 2022, et « Jean-Jacques Henner, dessinateur » au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, du 9 octobre 2021 au 30 janvier 2022.
ALAIN BOOS
Catégories :Culture
Oui, Mulhouse aux portes du Sundgau se réjouit d’avoir choisi modestement d’exposer les dessins de ce génie né à quelques encablures : https://www.theame.eu/au-fil-de-l-ill/