Par Alain Boos
Comme le mythologique Sisyphe, les Grecs ont dû perpétuellement lutter contre de nombreuses adversités ; UE, crise de 2008, afflux des migrants et enfin le Covid.
La dernière décennie a été particulièrement difficile.
Entrée dans l’Union européenne en 1981, la Grèce a longtemps gavé les banques et entreprises du nord de l’Europe à coups d’emprunts et s’est vue infliger des mesures punitives par ces mêmes pays suite à la crise de 2008.
Aux avant-postes de l’Europe face à la Turquie, mollement soutenue par l’OTAN, la Grèce a cependant été obligée de maintenir un budget militaire disproportionné par rapport à son économie. Les récents incidents en mer Égée ou au sud de la Crète et la remise en question répétée du traité de Lausanne de 1923 par Ankara en sont la preuve. Athènes doit aussi faire face au flux continu de migrants, conséquence des conventions égoïstes de Dublin qui font porter tout le poids de ces vagues migratoires, instrumentalisées par Erdogan, aux pays du sud de l’UE.

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Suite à la crise de 2008, les conséquences des réformes structurelles exigées par les créanciers ont été dévastatrices pour la population grecque. De nombreux Grecs vivent en dessous du seuil de pauvreté : le taux de chômage (16 %) est le plus élevé de la zone Euro, la dette publique s’élève à 310 % de son PIB…Malgré toutes ces épreuves, quelques lueurs d’espoir subsistaient. En début d’année, le pays avait retrouvé un semblant de normalité sur les marchés. Athènes avait vu son taux à dix ans passer sous la barre des 1 % pour la première fois en huit ans. Hélas, la crise du coronavirus pourrait anéantir ces années d’efforts et de sacrifices. Une fois de plus la Grèce est le Sisyphe de l’Europe car cette crise va s’ajouter aux destructions économiques massives des dix dernières années.
Et le Covid vint et le rocher roula encore…
À cause de la pandémie, la moitié des salariés du tourisme et de la restauration se retrouvent sans emploi, soit 300 000 personnes environ. Le pays craint de voir son taux de chômage dépasser la barre des 20 % dans le courant de l’année et anticipe une chute de son PIB de 13 %. Mais la Gestion du Covid fut exemplaire en dépit d’un contexte peu favorable.
Ainsi, face à la progression mondiale du virus, la Grèce a fait, de l’avis de tous, un sans faute dans des conditions sanitaires très difficiles : le nombre de lits d’hôpitaux pour 1000 habitants est de 4,8 contre plus de 8 en Allemagne ; depuis 2009, 18 000 médecins ont quitté le pays ; les dépenses de santé ont chuté de 23,2 Md€ en 2009 à 14,5 Md€ en 2017 ; en février, les hôpitaux ne disposaient que de 567 lits en soins intensifs… Conséquence : de 2009 à aujourd’hui, le taux de mortalité est passé de 9 à 11 %.Malgré ce lourd handicap, la Grèce dont la population est l’une des plus âgée de l’UE, gère la crise sanitaire de manière exemplaire. Le gouvernement a réagi très vite : annulation d’évènements, interdiction de rassemblements, fermetures d’écoles et de commerces, confinement, fermeture des frontières, dépistage, port du masque, achat de chloroquine en Inde puis reprise d’une production locale distribuée gratuitement aux soignants, mises en quarantaine et isolement des îles… Ces mesures ont été prises tandis que les grands pays du Nord continuaient à tergiverser. Les grandes fortunes ont fait des dons aux hôpitaux alors que ministres et députés ont symboliquement renoncé à la moitié de leurs salaires. Deux hommes, Sotiris Tsiodras, infectiologue de renommée mondiale, et Nikos Hardalias, ministre à la protection civile ont chaque soir fait le point avec pédagogie sur la pandémie. Les Grecs ont respecté les mesures prises avec civisme et solidarité en suivant les décisions du gouvernement. Les taux de propagation et de mortalité ont été les plus bas d’Europe. Mais la nécessité économique d’une reprise du tourisme, les pressions de Bruxelles et de l’Allemagne qui possède nombre d’aéroports ainsi que celles de multinationales qui ont construit de gigantesques usines à touristes «all inclusive», ont forcé la Grèce à ouvrir ses frontières. Le pragmatisme et la réactivité des autorités sont néanmoins à saluer. Quand vous lirez ces lignes, l’espoir d’une limitation des dégâts sanitaires sera peut-être permis.
Comment être solidaire avec la population et profiter au mieux des merveilles de la Grèce ? Les membres de l’association Alsace-Crète donnent le bon exemple : séjourner chez l’habitant autant que faire se peut, acheter des produits crétois, encourager des actions humanitaires… Comme me l’a dit une Athénienne : «On va avoir faim en Grèce l’hiver prochain». Pauvre Sisyphe !
Alain Boos
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