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« Enfermés sur place ou en liberté ailleurs » : au Bélarus, les journalistes doivent choisir

par Alice Ferber

Mercredi 17 février, deux journalistes de la chaîne indépendante Belsat, Catarina Andreeva et Darja Chulcova, ont été jugées à Minsk pour « organisation de manifestations ». Détenues depuis le 15 novembre, elles encourent deux ans de prison ferme. Au Bélarus, le régime multiplie les procès et arrestations sommaires pour intimider les journalistes. Rencontre avec Andreï Vaitovich, reporter bélarusse de 27 ans exilé en France.

Depuis la réélection controversée d’Alexandre Loukachenko en août 2020, Andreï Vaitovich couvre les manifestations du Bélarus pour des médias francophones (France TV, Radio France, RTBF et RTS). Malgré sa double nationalité française et bélarusse, le journaliste vit sous la menace, dans ce pays désigné par Reporters sans frontières comme le plus dangereux d’Europe. Andreï quitte son pays natal en octobre, quelques jours avant la diffusion de son reportage pour Envoyé Spécial : « Biélorussie, une jeunesse révoltée ».

À 27 ans, Andreï Vaitovich couvre l’actualité du Bélarus depuis la France (doc remis)

Eurolatio : Mardi 16 février, les milices ont perquisitionné le domicile de 30 activistes et journalistes. Le Président Loukachenko cherche-t-il à faire passer un message aux dissidents ?

Andreï Vaitovich : Ces opérations d’intimidation traduisent la peur du régime, qui redoute que la vérité soit racontée. Les journalistes étrangers sont privés d’accréditation pour que le Bélarus disparaisse des radars. Loukachenko veut nous faire taire.

Être journaliste au Bélarus devient un crime. Depuis août, 400 confrères et consœurs ont subi des arrestations arbitraires, pour un total de 900 jours derrière les barreaux en 2020. Selon l’association des journalistes bélarusses (BAJ), onze d’entre nous croupissent toujours en prison. Le 11 août, la photographe Natalia Lubneuskaya a été blessée par des balles en caoutchouc et a passé plusieurs mois à l’hôpital.

À quels obstacles avez-vous été confronté lorsque vous avez couvert la révolte citoyenne à Minsk ?

Lors des journées de manifestations, d’environ 11h à 17h, le réseau internet est coupé pour empêcher l’utilisation des chaînes Telegram. Les journalistes essaient de capter la connexion wifi des habitants afin de retransmettre leurs vidéos en direct. Pour rester discret et mobile, je ne travaille qu’avec mon iPhone, des objectifs et un micro. En août, pendant les heures suivant l’élection, j’avais même programmé des messages automatiques, diffusés par satellite à mes proches, pour les rassurer.

Depuis le 9 août, le peuple du Bélarus se soulève contre la réélection d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994 (doc remis)

Le ministère de l’Information bloque l’adresse URL des médias indépendants, comme le site iconique Charter 97. Les Bélarusses ont appris à utiliser des VPN (réseau privé virtuel, ndlr) pour contourner cette interdiction. Je constate que des milliers d’entre eux sont devenus des journalistes-citoyens, car ils partagent leurs propres contenus sur les réseaux sociaux. Les manifestations spontanées sont fragmentées et rapides, donc ces sources primaires aident beaucoup les journalistes étrangers comme locaux.

Comment résistez-vous aux menaces du régime d’Alexandre Loukachenko ?

La répression se renforce contre les journalistes, et même contre leurs proches. Depuis octobre, ma grand-mère Valentina est réfugiée à Vilnius, en Lituanie. J’ai dû évacuer toute ma famille pour ne pas l’exposer à des représailles. La décision semblait prématurée il y a quatre mois, mais avec le recul, je réalise qu’elle était nécessaire. 

En six mois, entre 25 000 et 50 000 Bélarusses ont émigré vers la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine. Grâce à l’espace Schengen, les frontières sont ouvertes et ils n’ont pas besoin de visa. La Russie n’est pas une option, car des accords bilatéraux facilitent l’extradition des opposants. L’association Bypol, composée de policiers démissionnaires en lutte contre le régime, a révélé le projet de création d’une cellule du KGB pour neutraliser les opposants à l’étranger. Pour me protéger, je suis retourné chez moi, en France.

Je ne suis pas naïf, je sais que j’ai affaire à une dictature. Le régime tient grâce aux forces de l’ordre, mais il ne faut pas relâcher nos efforts pour informer les citoyens. J’ai commencé à écrire pour le journal de ma ville natale à l’âge de 16 ans. Malgré les risques du métier, je ne compte pas arrêter.

Comment réussissez-vous à couvrir la révolte citoyenne du Bélarus depuis l’étranger ?

Malheureusement, c’est trop dangereux pour moi de revenir dans mon pays en tant que journaliste. Ma bi-nationalité ne me protégera pas. Si je me fais arrêter, je ne risquerai pas l’expulsion, mais une peine d’emprisonnement.

Puisque j’ai grandi au Bélarus, je profite de mes contacts à Minsk et dans plusieurs villages. Je récupère aussi des images sur les réseaux sociaux. Depuis Vilnius et Varsovie, je tourne jusqu’en avril un documentaire de 52 minutes pour LCP sur des dissidents qui ont fui le Bélarus.

Je pense qu’il vaut mieux être en liberté ailleurs pour continuer à alerter, plutôt que sur place mais enfermé et privé de voix.

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