Asie Centrale

Covid-19 : entre « rêve géorgien » et cauchemar américain

Georges Estievenart, Chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Ancien Directeur de l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT).

La Géorgie est un petit État enclavé du Caucase du Sud, de 69 700 km2 de superficie, amputé en 2008 de l’Abkhasie et de Tskhinvali (Ossétie du Sud), et dont la population atteint à peine les 4 millions d’habitants. Son PIB n’excède pas 16,3 milliards de dollars (122ème rang mondial).

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Carte sur Wikipédia

Données chiffrées

Le nombre de cas de contamination par la Covid-19 confirmés est seulement de 1 729. Celui des guérisons s’élève à 1 321 et celui des décès à 19.

Comme tous les autres pays, la Géorgie a dû construire une stratégie contre la pandémie, sans référence sûre. À ce jour, la gestion du problème par ce pays semble être un véritable succès, d’autant plus remarquable qu’il est isolé dans la région. L’Arménie, pour sa part, pays voisin comparable par la population (environ 3 millions d’habitants), affiche à la même date 44 953 cas de contamination confirmés, 40 592 guérisons et 817 décès. Le gouvernement géorgien a donc a priori bien rempli sa mission de protection de sa population.

Conscient des faiblesses initiales du système sanitaire géorgien, l’État a fondé sa stratégie sur la réactivité, la communication et la mobilisation de la population en faveur des mesures de prévention. Alerté très tôt sur l’imminence de la pandémie, le gouvernement de Giorgi Gakharia, soutenu par la majorité parlementaire du « Rêve géorgien », a enregistré le premier cas de Covid-19 sur sol géorgien le 26 février 2020. Dès fin février, il décrétait la fermeture des frontières avec l’Iran et la Chine, les deux premiers foyers de la pandémie. Dans le même temps, il décidait la fermeture des écoles, des universités et des transports publics, imposant un couvre-feu nocturne assorti de 900 euros d’amende en cas d’infraction. Un dépistage systématique était mis en place, et 5 000 personnes étaient mises en quarantaine à leur arrivée à la frontière.

À l’appui scientifique, une communication exemplaire

Les responsables politiques ont confié la communication Covid-19 à un trio de professionnels de la santé, surnommés les « Trois Mousquetaires », qui a fait merveille : Amiran Gamkrelidze, directeur du Centre national de contrôle des maladies, son adjoint Paata Imnadze et Tengiz Tsertsvadze, un éminent virologue, directeur général du Centre de recherche sur les maladies infectieuses, le SIDA et l’immunologie clinique. Rapidement devenus des stars des médias géorgiens, les « Mousquetaires » ont fourni régulièrement des informations fiables et diffusé des consignes au public, qui ont grandement contribué au respect des mesures préventives sévères mises en place, sans qu’il eût été besoin pour autant d’imposer un confinement généralisé.

Grâce aux dispositifs préventifs mis en place, assortis de contrôles rigoureux, à la motivation de la population et aux bons résultats obtenus en conséquence sur le terrain, les Trois Mousquetaires espèrent que le pays pourra largement échapper à la « deuxième vague » tant redoutée de la pandémie.

Par ailleurs, dès le 14 avril 2020 était adopté un « plan économique anti-crise » d’un milliard d’euros d’aides financières destinées aux sans-emplois et aux entreprises touchées, principalement dans le tourisme (en temps ordinaire, le tourisme génère un flux saisonnier qui a atteint plus de 9 millions de personnes en 2019) et l’agriculture.

Récompense dans les urnes

Ce paquet de mesures et les résultats déjà enregistrés permettent au gouvernement « Rêve géorgien » d’espérer un résultat positif lors des élections législatives programmées pour le 31 octobre 2020. Pour autant, la victoire est loin d’être acquise d’avance. Ce parti, pro-européen et pro-OTAN, a certes remporté haut la main les élections présidentielles de 2018 ; la candidate qu’il soutenait, Madame Salomé Zourabichvili, a obtenu au second tour, le 29 novembre 2018, 59,52% des voix, contre 40,48% des voix à son adversaire le plus dangereux, Grigol Vachadze, du « Mouvement national uni ».

Malgré la démonétisation qui frappe les politiques en Géorgie comme ailleurs, la majorité en place à Tbilissi, la capitale, peut légitimement revendiquer sa bonne gestion du coronavirus pour conforter dans les urnes un rapport de forces a priori en sa faveur. La gestion gouvernementale de la crise sanitaire pourrait devenir un élément décisif dans la stabilisation politique et le redressement économique du pays. On ne peut donc que constater globalement que la formule adoptée contre le coronavirus en Géorgie aura été la clé du succès.

La Corée du Sud offre également un exemple récent de la façon dont une bonne gestion de la Covid-19 peut favoriser les chances électorales d’un gouvernement. Le Parti Démocrate du Président Moon a remporté un succès électoral appréciable de 57 sièges supplémentaires. Tout comme le gouvernement géorgien, le Parti Démocrate a géré avec doigté et expertise le coronavirus, et en a été récompensé par la population coréenne.

Les campagnes électorales qui se déroulent dans le monde peuvent parfois basculer sur des « scandales » anecdotiques ou insignifiants. En 2020, les élections se décident littéralement sur des questions de vie ou de mort. Ceux qui ont agi avec discernement et qui ont su protéger leurs citoyens ont de bonnes chances d’en être récompensés.

A l’opposé, les États-Unis d’Amérique

La première puissance économique mondiale compte 331 millions d’habitants pour une superficie de 9 834 000 km2, et un PIB de 20 494 milliards de dollars.

Au 15 août 2020, ce pays ne compte pas moins de 5 371 638 cas de contamination confirmés, dont 55 057 pour la seule journée du 15 août.

Le nombre de décès atteint 169 382, dont 1 234 pour la seule journée du 15 août. Une situation lamentable, très largement due à l’option initiale, et hélas durable, de Donald Trump, du déni de la pandémie, du mépris affiché pour les avis scientifiques les plus indiscutables, puis à des mesures de rattrapage ou de rétropédalage souvent décalées, sans compter les polémiques survenues en cours de route, comme celle sur le traitement prétendument miraculeux à l’hydroxychloroquine préconisé par le Dr. Didier Raoult.

En méprisant le port du masque, auquel il a pourtant fini par se rallier le 21 juillet, en se déclarant prématurément chaud partisan du traitement de la maladie à l’hydroxychloroquine, mais en continuant son travail de sape contre l’Obamacare et contre l’OMS, le Président Donald Trump, par son abordage erratique de la pandémie, a peut-être définitivement compromis ses chances de réélection pour un second mandat le 3 novembre. À tel point que, fragilisé, il vient maintenant de déclencher une polémique supplémentaire en vue d’empêcher le vote par correspondance lors de l’élection du 3 novembre, voire, tout bonnement, d’en repousser l’échéance à des temps meilleurs (pour lui). Car, comme l’a souligné Kamala Harris, la candidate à la vice-présidence des États-Unis aux côtés du Démocrate Joe Biden : « Le virus a impacté presque tous les pays, mais il y a une raison pour laquelle il a touché plus gravement l’Amérique que tous les autres pays avancés. C’est à cause de l’incapacité de Trump à le prendre au sérieux dès le départ… C’est pour cette raison qu’un Américain meurt de la Covid-19 toutes les 80 secondes. »

Georges Estievenart

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