ITER, vers une révolution énergétique et géopolitique

PAR HAN-UL CHANG

La Corée du Sud a livré en août dernier le premier secteur de la chambre à vide, le premier des neuf secteurs (quatre seront coréens et 5 produits en Europe) pour former le tore central d’ITER. Soit 440 tonnes d’acier, 10 ans de recherche et de développement, d’essais, de fabrication et de développement et un acheminement fantastique.

Arrivée à Cadarache (photo Wikimedia)

C’est une opportunité pour rappeler ce qu’est ITER.

En 2004 sort au cinéma le deuxième volet de la Trilogie Spider-Man de Sam Raimi, dans lequel le personnage du Docteur Otto Octavius propose une expérience basée sur la fusion. Le but ? Créer un mini soleil qui servirait de source d’énergie performante et inépuisable. Dans le film, l’expérience se soldera par un échec et provoquera d’importants dommages. Le résultat annoncé dans cette fiction n’a pas empêché, le 28 juillet 2020, la construction du réacteur du projet International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER) de débuter à Cadarache, à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence, pour s’achever, normalement, en 2025, qui lancera les premières phases de test. Un chantier titanesque pour ce qui semble être le projet énergétique de la décennie, voire du siècle.

ITER, un itinéraire pacifique, énergétique et vert, consensuel

En latin, ITER signifie le “chemin”. Un chemin qui fut proposé par le secrétaire général du Parti Communiste de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev au président américain Ronald Reagan en 1985. L’idée fut de développer un projet de recherche pacifique et énergétique basé sur la fusion dans le cadre d’une coopération internationale. Une volonté réaffirmée plus tard par le président français Emmanuel Macron qu’il voit comme “une promesse de paix” et “une preuve que ce qui rassemble les Etats est plus fort que ce qui les divise”. Ce projet sonne aussi la mise en place d’une énergie non polluante, décarbonée et sûre, soit à terme une énergie beaucoup plus verte. Aujourd’hui, une trentaine de nations oeuvrent sur ITER.

Y sont compris les membres de l’Union européenne, la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et la Russie qui envoient leurs meilleurs chercheurs, scientifiques et ingénieurs avec l’objectif de rendre possible l’utilisation de la fusion nucléaire dans le défi climatique qui est le nôtre. Ainsi, ce processus permettrait de ne pas rejeter de déchets radioactifs, car la fusion ne relâche que de l’hélium (He). Ce gaz sert à gonfler les ballons de baudruche. Inhalé, il transforme notre voix en celle du Grinch.

Une brève histoire de la fusion nucléaire pour grand public !

Le principe de la fusion nucléaire réside dans le fait de fusionner 2 atomes légers, par exemple le deutérium (composé d’un proton et d’un neutron) et le tritium (composé d’un proton et deux neutrons), en un atome plus lourd. Pour que cela soit possible, il faut des conditions “extrêmes” comme une forte pression (pas la bière) ou de très fortes chaleurs, ce qui se passe généralement dans un soleil, de manière à ce que l’énergie (cinétique) des noyaux des atomes dépasse celle de répulsion qui est liée à ses charges positives.

La fusion de ces deux atomes donne alors de l’hélium 5 (2 protons et 3 neutrons). Mais ce dernier est très instable, car il y a 2 protons pour 3 neutrons. Par conséquent, il se désintègre en hélium 4 (2 protons et 2 neutrons) par l’émission d’un neutron. Ce neutron est ensuite récupéré dans le réacteur à fusion qui servira à faire chauffer de l’eau. Des turbines tourneront alors pour créer de l’énergie. Toutefois pour réaliser une fusion, il faut aussi du plasma. Pour l’obtenir, il faut atteindre de très hautes températures (entre 100 et 150 millions de degrés celsius). De plus, il est extrêmement volatile, ce qui signifie qu’il est difficile de le confiner pendant une longue période. De ce fait, la fusion requiert plus d’énergie qu’elle n’en produit véritablement. C’est clair, non ?

Schéma de la fusion nucléaire par Futura Sciences

Malgré tout, la fusion nucléaire reste totalement contrôlable et sécurisée. Un accident ne provoquerait qu’une atteinte vocale par une voix plus aigüe, mais cela reste bien moins dangereux que les catastrophes de Tchernobyl ou Fukushima. Bien maîtrisée, la fusion permettra de produire beaucoup d’énergie et, autre avantage, les matières premières nécessaires sont présentes en abondance (du moins pour les prochains milliers d’années). Cependant, il reste des problèmes à résoudre, en premier lieu celui de confiner le plasma plus longtemps.

Dernièrement, le président de la Corée du Sud, Moon Jae-In, indiquait que les chercheurs coréens avaient réussi à le contenir pendant 8 secondes (record du monde), ce qui ne paraît pas encore suffisant pour l’ambition du projet ITER. Il reste encore 5 ans de travaux, alors il sera peut-être possible durant ce laps de temps de trouver une solution à cette question du confinement du plasma.

Quel avenir pour ITER ?

Les premiers tests du réacteur ne sont pas attendus avant l’année 2025. Mais dans l’optique d’un succès d’ITER, il est tout à fait envisageable de voir “pousser” d’autres réacteurs du même type partout ailleurs. Car il faut se montrer réaliste, ITER à lui seul ne pourra pas transporter l’énergie produite jusqu’en Russie, en Inde et encore moins en Corée du Sud, mais il aura permis l’acquisition d’un savoir-faire international. Il faudra également se montrer patient pour voir fleurir d’autres réacteurs de type ITER au regard du long chantier que cela représente. Quid des autres nations qui n’ont pas participé au projet ? Auront-elles accès à cette énergie ou ce savoir-faire ? Le doute demeure.

Dans tout cela, il ne faudrait pas oublier les conséquences géopolitiques qu’un tel projet pourrait engendrer. On peut être satisfait de voir une telle coopération internationale entre les USA et la Chine ou la Russie, ou encore entre la Corée et le Japon. Toutefois, il serait candide d’imaginer une collaboration internationale sans une once d’arrière-pensée politique. Le projet pourrait servir l’espionnage industriel et scientifique ou la quête d’une certaine reconnaissance internationale. La conjoncture internationale n’est plus la même qu’il y a 35 ans : l’Europe n’était pas encore une Union (UE), la Chine n’avait pas envoyé les chars sur la Place Tian’anmen (1989), le mur de Berlin n’était pas tombé et la Corée du Sud allait organiser ses premiers Jeux Olympiques (1988).

Ainsi, derrière cette coopération se joue une sorte de course à l’innovation où les Etats voudront montrer leurs réussites scientifiques et technologiques. ITER semble en capacité de réaliser une grande avancée dans le domaine de l’énergie verte face aux défis climatiques et d’accomplir une véritable révolution énergétique, au moment où la question du nucléaire reste diversement débattue. Il ne faudrait pas que cet ambitieux chantier soit gangrené par des querelles étatiques qui amèneraient un regrettable échec du projet ITER. Le “chemin” ne semble alors pas aussi tranquille qu’on le pense… ou qu’on l’espère.

HAN-UL CHANG

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