Européenne

La« NUEVE », une belle escouade de héros de l’Europe

 

par Tristan Tottet

 

Rafael Gómez Nieto a été emporté par le Covid-19 le 31 mars dernier, il était le dernier membre la Nueve. Sa vie, de son Andalousie natale à sa mort en Alsace, rappelle une Europe déchirée, à feu et à sang, même à l’intérieur des Nations. Un exemple !

 

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Guadalajara, Brunete, Ebro, Teruel, dans l’imaginaire collectif ces noms résonnent comme les hussards d’une célèbre compagnie. À bord des halftracks, du nom des victoires républicaines lors de la Guerre Civile espagnole, ils ont pris une part importante dans la libération de la France en 1944. Il est temps d’en parler enfin en suivant un des héros.

A l’origine d’un périple glorieux

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Lors de la Guerre Civile en Espagne, toutes les provinces loyales à la IIe République tombent les unes après les autres entre 1936 et 1939. Barcelone tombe le 26 janvier 1939, après des mois de bombardement. Début février 1939, c’est la Catalogne qui est occupée par les forces les franquistes. Cette défaite sonne le glas de la République. Cet échec face aux fascistes et nazis de la  force aérienne allemande  de la  » Légion Condor » marque le début de la retraite : la retirada. En peu de temps, 550 000 réfugiés dont 150 000 soldats républicains traversent les Pyrénées.

En France, la réception n’a pas été celle espérée; les réfugiés sont très mal reçus. Pour le gouvernement français, l’afflux des républicains, socialistes, communistes ou antifascistes, anarchistes, trouble la paix négociée avec Hitler par Pétain. Pour contenir l’afflux, une majorité des réfugiés sont internés dans des camps dans le sud de la France ou dans les colonies nord-africaines.

La situation des réfugiés se dégrade quand en juin 1940 la France négocie un armistice avec l’envahisseur nazi. La France de Vichy oblige alors les Espagnols présents sur son territoire à choisir entre un retour en Espagne, les travaux forcés ou s’engager au sein de la Légion Étrangère.

 

Après l’appel du 18 juin, nombreux sont ceux qui se sont enrôlés auprès du général de Gaulle. Ainsi les espagnols fournissent le plus grand contingent étranger servant sous les drapeaux de la FFL. Après le débarquement en Afrique du nord et la campagne victorieuse des Alliés, la 2e DB du général Leclerc est créée à la mi-1943. Au sein de cette division, la neuvième compagnie entre dans l’histoire comme la Nueve composée en grande majorité d’hommes ayant combattu lors de la Guerre Civile et ayant fui la dictature franquiste. Beaucoup se sont enrôlés sous un pseudonyme pour éviter des possibles représailles contre leurs familles en Espagne où Franco sévira jusqu’à sa mort en 1975.

Malgré les 95% d’Espagnols dans les rangs de la Nueve, cette compagnie était commandée par un Français, le capitaine Dronne.

La libération de Paris

Après avoir « stationné » en préparation au Royaume-Uni, la Nueve débarque le 1er août 1944 avec la 2e DB à Saint-Martin-de-Varreville dans le secteur d’Utah Beach. La division Leclerc a vite été déployée vers le sud, dans les rangs de la IIIe armée américaine du général Patton. Après avoir repris le Mans, la Nueve se dirige vers le nord en direction de la Normandie pour participer à la fermeture de la poche de Falaise. Cette manœuvre se concrétise le 19 août par la libération d’Alençon.

À ce moment, à peine 200 kilomètres séparent Alençon de Paris. Le général de Gaulle et le général Leclerc savaient la valeur symbolique que revêtirait la libération de Paris par des Français. Toutefois, dans les plans des Alliés, la libération de Paris n’est pas une priorité. Néanmoins, depuis le 19 août, sont diffusées des nouvelles inquiétantes d’un début de soulèvement des Parisiens qui, si rien n’est fait, pourrait se terminer de façon tragique comme l’insurrection de Varsovie.

La décision est prise alors de se passer de l’accord des Américains ( alliés): le général Leclerc décide que la 2e DB sera la première à entrer dans Paris. La Nueve est alors choisie pour mener l’avant-garde de la libération de la capitale. En fin d’après-midi le 24 août, le général Leclerc dit  à son commandant: « Dronne, filez sur Paris, entrez dans Paris, passez où vous voudrez, dites aux Parisiens de ne pas perdre courage, que demain matin la division tout entière sera dans Paris ».

 Le colonel Dronne s’exécute et dans la soirée les véhicules de sa colonne rentrent dans Paris par la porte d’Italie, gagnent le pont d’Austerlitz et les quais de Seine. À 21h20, la section du lieutenant Amado Granell arrive en premier à l’Hôtel de Ville à bord du véhicule Guadalajara.

Dans ce contexte, la nouvelle de l’arrivée de la Nueve se répand dans le tout Paris, alors que les combats de libération de la ville ne sont toujours pas terminés. Ce n’est que le lendemain qu’Antonio González, au nom de la Nueve, assiste à la reddition du gouverneur allemand de Paris le général Von Choltitz. La ville n’est plus occupée et le général Leclerc entre avec le reste de la 2e DB dans Paris. Le 26 août tout en arborant les couleurs de la République espagnole la Nueve a l’honneur d’escorter le général de Gaulle lors du défilé sur les Champs-Élysées.

« Vous [les Espagnols] êtes différents des autres car vous vous battez pour un idéal », Capitaine Dronne

Le périple de la  2°DB donc celui de la  » Nueve »du UK à Berchstesgaden……

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La suite de la guerre

Notre héros est présent partout avec son groupe. A cette carte il faudrait ajouter  le départ d’Afrique et le séjour au Royaume-Uni

 

L’épopée de la Nueve ne se termine pas à la libération de Paris. Les engagés espagnols poursuivent la libération du territoire. Le 12 septembre, la compagnie se fait remarquer à Andelot en Champagne-Ardenne où 300 soldats allemands sont faits prisonniers. En novembre 1944, ils prennent part à la libération de l’Alsace et le 23 novembre avec le reste de la 2e DB, ils libèrent Strasbourg.

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Le serment de Koufra est accompli

Leur ultime fait d’armes sera le 5 mai 1945 où seulement 16 des 160 engagés entrent dans le « Nid d’Aigle » de Hitler à Berchtesgaden.

Pourquoi l’histoire n’a-t-elle pas retenu leurs noms ?

Espoirs déçus par un retour aux réalités politiques d’une compagnie qui s’est battue contre l’horreur fasciste espagnole et nazie depuis 1936. La seule reconnaissance après la guerre va être l’oubli. La Guerre Froide va estomper les succès de la Nueve. Franco ne sera pas renversé par une nouvelle expédition des républicains ; le dictateur reste à la tête de l’Espagne jusqu’à sa mort en novembre 1975. Il faut attendre 2004 pour le premier hommage de la ville de Paris à la Nueve avec l’apposition d’une plaque quai Henri-IV : « Aux républicains espagnols, composante principale de la colonne Dronne ».

La France tarde à reconnaître l’importance de l’apport des troupes étrangères dans la libération du pays. Lors de la déclaration de guerre en septembre 1939, 10 000 républicains se sont engagés dans la Légion Étrangère. Ils ont été les premiers à se battre et connaître l’horreur fascistes en Espagne dans les plaines de Castille et de l’Èbre entre 1936 et 1939.

Après la débâcle de 1940, le gouvernement français  refuse le statut de combattant de l’armée française aux engagés espagnols. À l’armistice par Pétain, ils sont les premiers déportés de France. Livrés aux nazis, 7 500 d’entre eux sont envoyés dans le camp de Mauthausen, 6 000 n’en reviendront jamais. Lors de l’appel du 18 juin, sur les 2 000 personnes qui répondent à l’appel du général de Gaulle 300 sont espagnols( 15%). L’engagement des Espagnols a toujours été important pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que les Alliés remportent une victoire décisive face aux soldats de l’Afrikakorps de Rommel lors de la campagne de Tunisie, pour les engagés espagnols cette victoire est comme une vengeance face aux exactions allemandes lors de la Guerre d’Espagne. Intégrer la Nueve était pour eux comme une forme de vengeance face à l’Histoire qui leur doit justice et reconnaissance….Posthumes.

RIP monsieur Nieto et tous vos camarades.

Tristan Tottet

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