Asie Centrale

L’Asie Centrale épargnée par le covid-19

Par Vusala Aliyeva

La crise sanitaire en Asie centrale : pourquoi la région est-elle relativement épargnée par le coronavirus?

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L’épidémie du coronavirus connaît cependant une poursuite relative dans les pays d’Asie centrale, cinq pays que nous regroupons sous cette appellation assez arbitraire ( carte). Néanmoins, trois mois après le premier cas en Asie centrale,  on n’y comptait que 35 913 cas et 256 décès dont

-au Kazakhstan 19 285 cas, 136 décès pour 18 millions d’habitants

en Ouzbekistan 6 990 cas, 19 décès, pour 34 millions d’habts

au Tadjikistan 5 630 cas, 52 décès, 9,5 millions d’habts

au Kirghizistan 3 954 cas, 43 décès, 6,5 millions d’habts

au Turkménistan 0 cas, 0 décès. pour 6 millions d’habts

L’Asie Centrale, espace regroupant 74 millions d’habitants (entre France et Allemagne en population), à ce stade est relativement épargnée par le terrible virus.

 

A chaque pays sa propre gestion de crise

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M.Lemoyne , Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français s’est entretenu avec les cinq ambassadeurs d’Asie centrale.

Au Kazakstan, dès le 15 mars, au moment où 6 cas de contamination et 0 décès ont été révélés un état d’urgence a été décrété, comportant l’interdiction des rassemblements, la fermeture des centres sportifs et des parcs de loisirs, ainsi que d’autres mesures. Aussitôt, les hôpitaux ont été aménagés et équipés et 17 millions d’euros de primes ont été alloués au personnel de santé.

« Le Kazakhstan a été l’un des premiers pays à prendre des mesures et suivre les recommandations de l’OMS pour empêcher la propagation du virus. Ces mesures contre l’épidémie ont été jugées par l’OMS comme les plus efficaces notamment en matière de test. » – a révélé l’ambassadeur du Kazakstan, Jean Galiev lors du Zoom webinar sur la crise sanitaire en Asie Centrale organisé par l’IPSE.

Les gouvernements des cinq pays ont rapidement pris conscience, ensemble, de la gravité de la situation liée à l’épidémie malgré les incertitudes.

« Dès le début de la pandémie, nous avons commencé à collaborer avec l’Organisation Mondiale de la Santé et nous nous sommes entretenus régulièrement sur l’avancement de l’épidémie » – a souligné Shohrat Jumayev, ambassadeur du Turkménistan en France. « De plus, la rapide fermeture des frontières s’est avérée efficace contre la propagation du virus » .

« Les incitations rapides pour répondre à la pandémie en Asie centrale peuvent être qualifiées autant de politiques, culturelles que sanitaires » – estime Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). « Ici il s’agit des relations sociétales qui sont enclins à accepter des décisions du gouvernement au regard d’une longue tradition du centralisme démocratique hérité du passé communiste de ces pays. Les populations sont convaincues qu’elles n’ont pas d’autre choix qu’accepter la décision venue du haut. C’est une forme de résilience sociale qui fait que la société accepte sans rechigner et qu’il n y a pas la volonté de critiquer la décision gouvernementale suivant les mesures de quarantaine prescrites. Ce sont ainsi des pays plus résilients que d’autres ».

 

La deuxième raison de la faible propagation du virus dans la région peut être expliquée par sa faible liaison avec la Chine. Encore une fois, le projet de la Route de la Soie nous dévoile son caractère assez formel et nous montre qu’il est, à ce stade, encore loin de se concrétiser.

La solidarité régionale en temps de crise

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L’économie des pays de l’Asie Centrale a fortement souffert suite à la crise sanitaire actuelle en raison de sa forte connectivité à l’économie mondiale. Selon le rapport de la Banque Mondiale en raison de la pandémie, 2,5 millions personnes risquent de passer en-dessous du seuil de pauvreté qui est de 2,1 dollars par jour. Dans les quatre dernier mois, le PIB du Kazakstan a diminué de 0,2 %. Afin de soutenir les entreprises dont certaines ont été contraintes de fermer temporairement pendant la pandémie, une somme de 13 milliards d’euros a été allouée par le gouvernement. Une partie de la population a reçu des aides financières ainsi que des produits de première nécessité, le délai de remboursement de leurs crédits étant repoussé. « Le gouvernement reste vigilant et dispose de toutes les ressources pour gérer cette crise. Le Kazakhstan est connecté avec l’ensemble des pays de la région afin d’apporter son aide en cas de pénurie alimentaire » – a souligné Jean Galiev, l’ambassadeur du Kazakhstan en France.

 La crise sanitaire actuelle a mis en évidence et a accentué la solidarité qui a déjà existé entre ces pays. « Nous sommes solidaires en ce moment difficile. Nous avons même utilisé les mêmes avions pour rapatrier nos citoyens de l’étrangers. » – a déclaré Muktar Jumaliev, Ambassadeur de la République Kirghize.

Hormis des échanges des produits alimentaires et médicaux, ces pays demeurent connectés afin d’harmoniser les dispositifs de prise en compte des malades du coronavirus.

« L’exportation des produits ouzbesks a énormément baissé. L’Etat a dû agir rapidement et a pris des mesures importantes afin de sauver notre économie. En ces moments difficiles, nous avons besoin les uns des autres. Nous avons dû nous entraider mutuellement et partager nos produits médicaux avec d’autres. » – a souligné Sardor Rustambayev, l’ambassadeur d’ Ouzbekistan en France.

« Il faut sans doute féliciter les pays d’Asie Centrale pour avoir mutuellement lutté contre la crise sanitaire actuelle » – a souligné Emmanuel Dupuy lors de l’interview accordée à eurolatio. Selon lui, « Cette urgence sanitaire a montré qu’il y avait une volonté parmi les citoyens et ainsi que parmi les exécutifs de la région de dialoguer entre eux sans ingérence externe ».

Mais il y a aussi, forcément , des alliés.

En dehors de la solidarité régionale, cette période sensible liée à la pandémie a dévoilé la nature des relations entre partenaires.

Les cinq anciennes républiques socialistes ont gardé des liens très forts avec la Russie depuis la chute de l’URSS. Depuis 2010, la Russie a augmenté ses projets d’intégration avec l’Asie Centrale en place depuis l’éclatement de l’URSS à travers différents partenariats. Elle a notamment instauré l’Union douanière, créée en 2010 entre le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, et le Kirghizstan (depuis 2014), l’Espace Economique Eurasiatique (créé en 2012 entre la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie), et l’Union Economique Eurasiatique.

La crise a accentué la nature équilibré des relations entre la Russie et les pays de la région. La Russie a affiché une nette ouverture à la coopération et à l’entraide avec ces pays dans la question du rapatriement des migrants centre-asiatiques vers leur pays d’origine.

Nous avons assisté à l’annulation des visites officielles des acteurs européens, aux reports des projets communs, au retrait temporaire des entreprises françaises de l’Asie centrale pendant cette crise sanitaire. Malgré la timidité de sa coopération, la France a toujours été un acteur majeur et le plus présent parmi les membres d’UE et la première à avoir reconnu leur indépendance et une des première à concevoir un partenariat stratégique avec les pays d’Asie Centrale. Les entreprises françaises sont actives dans la fabrication des locomotives conjointement avec les entreprises du Kazakstan ; dans le domaine hydraulique avec le Tajikistan, ce sont les traitements des déchets comme pour l’Ouzbekistan celui des eaux usées . C’est avec l’énergie au sens large avec le Turkménistan. Le Kazakstan et la France sont liés depuis 11 juin 2008 par le traité de partenariat stratégique. « Nous allons célébrer le douzième anniversaire de ce statut privilégié. Nous sommes arrivés à ce stade avec de très bons résultats » – estime Jean Galiev, l’ambassadeur du Kazakhstan en France.

La France joue son rôle, avec l’UE

De nombreux enjeux de la région et les partenariats entre la France et les anciennes républiques soviétiques ont été discutés, l’automne dernier à Paris, lors de la rencontre du Secrétaire d’Etat, Jean-Baptiste Lemoyne auprès du ministre des Affaires Etangères et les cinq ambassadeurs concernés siégeant en France. A cette occasion, la mise en œuvre de la stratégie de l’Union Européenne et l’action de la France en Asie centrale ont été évoquées. Il a été par ailleurs mentionné que la France a salué les progrès  de la coopération entre les cinq Etats d’Asie Centrale, réalisés ces trois dernières années et qu’elle entendait renforcer là sa présence économique, culturelle et scientifique, inscrivant son action dans la stratégie de l’Union Européenne. La Commission européenne a présenté en mai de l’année dernière sa nouvelle stratégie qui réactualise le premier document signé en 2007 face aux nouvelles possibilités apparues dans la région. Le Conseil réaffirme la détermination de l’UE à conclure des accords de partenariat et de coopération renforcés, à entreprendre des réformes pour renforcer la démocratie, les droits de l’Homme et l’Etat de droit et à moderniser et diversifier l’économie. Cependant, la stratégie de 2019 reprend les mêmes éléments fondamentaux du document de 2007 et n’apporte pas de nouveauté majeure mais elle permet à l’UE de rappeler son implication en Asie Centrale.

« Jusqu’à aujourd’hui, l’UE a privilégié une vision supra-nationale dans sa politique concernant l’Asie centrale. Dorénavant, le moment est aussi venu de privilégier les relations bilatérales renforcées entre les pays européens et ces pays » – estime E.Dupuy.

Le terrorisme, une question convergente

 Cette période délicate liée à la crise sanitaire a mis en évidence le caractère réel du terrorisme dans cette région. Les actes terroristes ont augmenté fortement depuis le début de la crise. La rhétorique de la menace djihadistes a toujours pesé sur l’Asie Centrale et a ressurgi de temps à autre. Cependant, les discours sur la dangerosité du problème terroriste dans la région ont été souvent nuancés. Cette menace consiste en deux enjeux majeurs dont le premier est la fragilité de la frontière tadjiko-afghane, porte d’entrée du terrorisme dans la région et le second, la gestion des djihadistes et de leurs familles, partis pour la plupart en Syrie et en Irak. « L’accélération d’une forte menace terroriste a été constatée dans toute la région. Cela prouve à quel point la coopération régionale est importante. La mutualisation du renseignement, la gestion et les contrôles des frontières, la coopération militaire sont parmi des questions indispensables à revoir » – estime Emmanuel Dupuy.

Si loin et si proches !

Vusala Aliyeva

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