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Le Rhin n’est pas une frontière, c’est un pont entre les peuples

par Alice Ferber

En cette journée de l’Europe qui marque les 70 ans de la Déclaration Schuman, père fondateur de l’Europe, les voisins rhénans dénoncent le rétablissement provisoire d’une frontière entre la France et l’Allemagne. Hier, à midi, plusieurs associations et collectifs de citoyens se sont mobilisés de part et d’autre du Rhin.

 

Restriction des échanges entre les deux pays

Le 16 mars dernier, l’Allemagne rétablit la frontière avec la France pour endiguer la propagation du coronavirus. Pour certains habitants de Kehl et de Strasbourg, cette mesure choque. Le retour des contrôles policiers sépare familles, amis et collègues. Les rencontres entre les associations comme le Club d’Affaires Franco-Allemand du Rhin Supérieur et les partis politiques tels que Volt Europa sont également à l’arrêt.

Les employés frontaliers disposent d’un laissez-passer qui les autorise à rejoindre leur lieu de travail. Une fois de l’autre côté de la rive, il leur est pourtant impossible de s’arrêter pour faire leurs courses ou le plein d’essence. « Quelqu’un qui travaille à Strasbourg comme à Kehl devrait pouvoir se déplacer de la même manière » estime le Dr Frédéric Seigle-Murandi, chirurgien plasticien à la clinique Rhéna et membre du parti Volt. Il comprend le « contrôle de la bonne intention des passages » mais déplore ce qui est devenu « un barrage humain injustifié. »

Faute d’activité, nombre de commerces frontaliers devront mettre la clé sous la porte. « Sans les Français, ça ne tourne plus » commente une strasbourgeoise à propos de Kehl. Lucas Dillenbourg a lui « perdu [s]on boulot à cause de cette crise. » Après avoir subi un licenciement économique, il compte lancer sa propre entreprise : « La période de confinement m’a permis de monter mon projet. J’y pense déjà depuis quelques temps. » Ce commercial franco-allemand s’avoue troublé par la situation : « J’ai appris à vivre avec une frontière ouverte. Ma génération n’a jamais connu de frontière fermée sur un temps aussi long. » Pour autant, il relativise.

Je sais que cette mesure n’est due ni à un problème politique ni à la relation franco-allemande. Seule la crise sanitaire justifie ces circonstances exceptionnelles. Lucas Dillenbourg

« Des deux côtés du Rhin, on sent qu’on a besoin l’un de l’autre » conclut-il avant de poursuivre son jogging le long du fleuve.

 

Raffermir les liens entre Français et Allemands

Pour exprimer leur désapprobation, plusieurs associations et conseils de citoyens ont fait le choix d’une mobilisation collective et silencieuse. Les voisins rhénans ont revêtu un tee-shirt aux couleurs de l’Europe – jaune ou bleu – et brandi un parapluie assorti. Accessoire symbolique visible depuis l’autre rive, les participants français et allemands l’ont ouvert en même temps avant d’applaudir en chœur.

Jacques Schmitt, président de l’association Unir l’Europe, reproche aux personnalités politiques « d’avoir pensé que la limitation de circulation entre la France et l’Allemagne serait un moyen efficace de combattre le coronavirus. » Pour cet europhile de la première heure « les gouvernements sont incapables de comprendre le sentiment de solidarité fort et le besoin de vivre ensemble qui animent les citoyens européens. Personne ne peut empêcher cette réalité. » À l’échelle locale, cette mobilisation est l’occasion de « manifester la fraternité européenne malgré les circonstances actuelles » selon les membres du Conseil citoyen du port du Rhin.

Les membres du Conseil citoyen du port du Rhin s’engagent pour leur vie de quartier

La plupart des participants français habitent le quartier du Port du Rhin. Leur balade quotidienne d’une heure s’est muée en mobilisation collective, dans le strict respect des gestes barrières et de la distanciation sociale. Christine Kiefer, résidente du quartier depuis plus de soixante ans et présidente de l’association des Résidents du Port-du-Rhin (ARPOR) dénonce un « non-sens politique. » Elle aperçoit chaque jour les promeneurs allemands longer le fleuve de leur côté alors que « le jardin des Deux Rives est interdit aux Français. » Christine Kiefer se remémore les années 1970 quand « il fallait montrer patte blanche pour traverser la frontière. » Les déplacements frontaliers ont toujours rythmé son quotidien, ne serait-ce que pour acheter son café « qui est bien meilleur en Allemagne. Aujourd’hui, mes réserves de Promodo et de Tchibo sont épuisées » regrette-t-elle. Question de goût ou d’habitude.

Le succès de cette journée se doit aux 300 citoyens allemands et français qui ont répondu à l’appel de Jacques Schmitt et Peter Cleiss, les deux organisateurs. De nombreuses associations comme Unir l’Europe, Europa Union et Pulse of Europe ont également apporté leur soutien © Jacques Schmitt

 

Disparues depuis la mise en œuvre de l’espace Schengen en 1985, les barrières frontalières ressurgissent et avec elles, la discrimination en fonction de la nationalité ou du lieu d’habitation. Face à ce clivage politique, les citoyens rhénans exigent une réponse européenne. En dépit des protestations, la frontière administrative entre les deux pays devrait perdurer jusqu’au 15 juin prochain.

 

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