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Brexit :le football anglais en danger

Par Han-Ul Chang

L’impact que pourrait avoir le Brexit sur le Championnat de football anglais (Premier League) est terrible.

 

Les mois passent et se ressemblent pour le Brexit qui commence à devenir une reproduction de la comédie de 1993, Un jour sans fin (en VO. Groundhog day) dans laquelle l’acteur Bill Murray (Ghostbuster, Lost in Translation) campait le rôle d’un journaliste qui revivait inlassablement la même journée, le fameux « jour de la marmotte » tant qu’il n’aurait pas donné un sens à sa journée, sa vie.

Les Britanniques doivent actuellement ressentir le même questionnement avec le Brexit : les Premiers Ministres, les accords et les débats au Conseil Européen et à la Chambre des Communes se succèdent sans lui trouver un vrai « sens » . Toutefois, l’attention est portée principalement sur les domaines économiques, politiques voire douaniers, laissant moins de place aux questions liées au … football et le magnifique Championnat d’Angleterre, en Premier League. Ce serait donc oublier les fans de ce sport – auxquels j’appartiens – qui suivent assidûment le championnat le plus regardé dans le monde avec une diffusion live dans plus de 180 pays. En effet, le Brexit, en plus de bouleverser l’Histoire de l’Union Européenne, risque de secouer l’avenir de son propre championnat aussi bien sportivement qu’économiquement.

Quel avenir sur le plan sportif pour la Premier League dans le cadre d’un Brexit ?

Si un Hard Brexit survenait, les joueurs appartenant à un des Etats de l’Union européenne (UE) ou de l’Espace économique européen (EEE) verraient l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) ne plus leur être appliqué. Celui-ci dispose que, tout citoyen de l’UE a le droit de travailler sans permis (de travail) au sein des Etats membres en bénéficiant des mêmes droits que les nationaux. Or l’éligibilité à un permis de travail pour un footballeur qui souhaiterait jouer dans le championnat anglais est soumise à d’importantes réglementations comme le nombre de matchs joués avec son équipe nationale, le classement FIFA de sa nation, son salaire, la valeur de son transfert et bien entendu le quota de joueurs étrangers.

Ce sont bien trop de contraintes qui pourraient amener les joueurs à délaisser la Premier League pour un autre championnat. Ainsi, si le Brexit a lieu, ce sera la porte ouverte à une importante fuite de talents européens vers d’autres clubs européens. Il pourrait dire au revoir à des joueurs comme N’Golo Kanté (FRA/Chelsea) ou Virgil Van Djik (NL/Liverpool), qui sont parmi les trois derniers lauréats des prix PFA (Professional Football Association) : récompense remise au meilleur joueur de la saison élu par ses pairs). Démontrant, la qualité des joueurs européens qui font la richesse des effectifs de ce championnat.

Pour la FA (Football Administration : fédération anglaise de football), le Brexit est une excellente opportunité à saisir. Elle pense qu’avec moins de joueurs européens, il y aura davantage de joueurs anglais sur les terrains, et que cela favoriserait leur développement en vue de l’équipe nationale.

Un point de vue qui est rejeté par Richard Masters, Président-directeur intermédiaire de la Premier League qui a annoncé que : « Le Brexit n’affectera pas l’achat de joueurs pour les clubs ». Il ajoute en précisant que « Nos clubs veulent avoir un accès total aux talents […] c’est notre priorité ». Car le risque de ne plus pouvoir acheter les meilleurs joueurs européens pourrait mettre en péril la qualité des effectifs des clubs de Premier League et, à terme ne pas pouvoir faire progresser les « fameux » joueurs anglais espérés par la FA, qui ne seront plus en concurrence ou en opposition avec des joueurs de grande qualité. Les Three Lions (surnom de l’équipe d’Angleterre) qui ont atteint le stade des demi-finales de la Coupe du Monde en 2018, une première depuis 1990, pourront-ils réaliser à nouveau une pareille performance après le Brexit ? Rien n’est moins sûr.

Autre point de tension entre la FA et Masters, c’est au sujet des « home-grown players ». Il s’agit de joueurs, peu importe leur nationalité, qui ont signé leur premier contrat professionnel avant leurs 21 ans (révolus) pour un club anglais. Un joueur comme le français Paul Pogba, qui a signé son premier contrat pro à 16 ans pour le club de Manchester United appartient à ces fameux « home-grown players ». Et à ce titre, la FA souhaite réduire le quota de signature de ce type de joueurs à 12, alors qu’il est actuellement de 17. Masters, quant à lui, s’oppose à une telle réduction, car les clubs doivent pouvoir accéder au plus grand nombre de joueurs et futurs talents possibles.

Enfin, les spectateurs, que ce soit au stade ou à la télévision, regardent les matchs pour assister aux performances des meilleurs joueurs du monde, mais trop peu sont anglais – ils se comptent sur les doigts d’une main – ce qui pourrait à terme drastiquement réduire l’intérêt de suivre ce championnat. D’après une étude de cas en Angleterre, il se pourrait qu’à l’horizon de la saison 2028/2029, le taux de joueurs européens présents risque de chuter à 20%, contre 40% lors de la saison 2018/2019.

Un avenir économique en péril ?

La Premier League est le championnat le plus suivi au monde. Par conséquent, elle détient des droits télés qui représentent des sommes pharaoniques. Elle vient par ailleurs de vendre ses droits télés pour les 3 prochaines saisons pour un total de plus de 4,56 Milliards £ (soit environ 5,32 Milliards €). Des chiffres vertigineux qui montrent une nouvelle fois toute l’attractivité de ce championnat pas seulement sur le plan sportif, mais aussi économique. Autre élément qui confirme cette vision, 8 des 20 clubs les plus riches au monde proviennent du championnat anglais parmi lesquels nous retrouvons Manchester United, Manchester City, Liverpool, Arsenal ou encore Chelsea. Il y a là pour ces clubs un énorme enjeu économique pour survivre, et le Brexit risque de donner quelques maux de crâne à leurs dirigeants. L’observatoire du football CIES a également remarqué que depuis le référendum de 2016, les frais liés aux transferts ont augmenté.

Vue sur la City à Londres – Photo de Diliff

La bourse de Londres va-t-elle vaciller lors du Brexit ?

Autre facteur important, le risque d’une chute de la valeur de la Livre Sterling (£) qui amènerait les joueurs européens à se diriger vers des pays qui seront en mesure de leur offrir de meilleurs salaires. Si les meilleurs joueurs ne choisissent plus l’Angleterre, ce sont les clubs espagnols et italiens qui y gagneraient. Et perdre un joueur star, c’est aussi perdre la marque qu’il représente dans le monde et les revenus affiliés à celui-ci. De même, il sera difficile pour les clubs anglais d’être compétitifs en Ligue des Champions, la compétition reine regroupant les meilleurs clubs européens. Car elle aussi permet selon le parcours du club de pouvoir récupérer des sommes importantes via les droits télés, la billetterie et la capacité du club à aller loin dans la compétition. Le vainqueur de la précédente édition (NDLR : Liverpool FC) a empoché 19 Millions €. Quand on sait que la finale de l’année dernière opposait 2 clubs anglais (NDLR : Liverpool et Tottenham) ; avec l’ombre du Brexit qui plane, il risque d’être beaucoup plus difficile d’imaginer qu’un scénario de ce genre se reproduise. Par conséquent, si un club ne peut plus devenir attractif sur son projet sportif (gagner des trophées), alors il lui sera difficile de survivre économiquement. La preuve depuis l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, Bosman de 1995 (qui a supprimé le quota restreignant les clubs à 3 joueurs étrangers maximum), ce sont les clubs les plus riches et donc possédant les meilleurs joueurs du monde qui sont les plus suivis, les plus regardés et qui gagnent la majorité des compétitions. C’est un fait. Or avec le Brexit, ce serait un retour en arrière, revenir à une époque pré-Bosman, qui risque de toucher le championnat de Queen Elisabeth II.

Le temps à la discussion

Au vu de l’inquiétude générée par le Brexit, la Premier League est régulièrement en discussion avec le Gouvernement pour savoir ce qui pourrait se passer, notamment quand on sait que la Premier League représente environ 3,3 Milliards £ par an en taxes au trésor britannique. Pour l’instant les discussions continuent mais rien de vraiment concret ne semble en ressortir. Car maintenant, à 2 mois d’un départ de l’UE (enfin ?) et au vu des enjeux économiques qui s’y rapportent, je pense que la Premier League rêvait d’un meilleur cadeau de Noël dans ses chaussettes …

 

Avec le Brexit, le Royaume-Uni a réussi à devenir un « Royaume-Divisé » à la fois sur le plan politique entre les Brexiters et les Remainers, sur la question des frontières avec la question (résolue dans le dernier accord de Boris Johnson) de l’Irlande et sur le sportif avec son championnat anglais. Alors vivement que ce jour sans fin se termine !

 

 

Han-Ul CHANG

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