Site icon Eurolatio

Accord de libre-échange avec le Mercosur : vers la fin du développement durable ? 

L’Humanité est jeune à l’échelle de la terre. Pourtant parmi tous les  pouvoirs de destruction des espèces jusqu’alors observées  celui des Hommes est de loin le plus fort au point de dépasser l’entendement, une faculté prétendue  exclusivement humaine.

Dès que l’homme (espèce animale) est apparu et a foulé la terre, il a commencé son « forçage »[1] de l’environnement et l’a progressivement dégradé et soumis en s’imposant comme maître absolu. Cette emprise s’explique peut-être par la « dignité particulière de l’homme»  [2]. Pour cela, il s’est autoproclamé supérieur et s’est fait une place à part au sein de la « création », comme pour justifier tous ses méfaits destructeurs. Pourtant tous les hommes ne sont pas aveugles « Dans 100 ou 200 ans […] on dégagera des millions de m3 de GES […] qui troubleront l’harmonie du monde comme tous les arbres auront été coupés » écrivait prophétiquement Eugène Huzar[3] en 1855 dans La fin du monde par la science.

Les grands concepts qui président aujourd’hui aux débats scientifiques n’ont donc rien de nouveau. S’ils sont connus dès les débuts de la révolution industrielle, celle-ci se poursuivra sans y prêter attention dans un libéralisme roi. C’est seulement à partir des années 1960 qu’a lieu une prise de conscience de la fragilité de l’environnement au sein des Etats industrialisés. L’industrialisation à l’excès s’est avérée catastrophique: on découvre des pollutions comme celle de la baie de Minamata (Japon) où de 1932 à 1966 l’usine pétrochimique Chisso a déversé des métaux lourds dont du mercure, empoisonnant les espèces animales et végétales marines   comme les hommes vivant de la pêche et les consommateurs.

C’est aussi à cette époque que l’on prend conscience des risques liées aux transports avec notamment les catastrophes pétrolières successives : d’abord l’Amoco Cadiz en 1978, puis l’Erika en 1999 ou encore le Prestige en 2002. Mais avec l’explosion du réacteur nucléaire n°4 de Tchernobyl en 1986 c’est l’acmé.

On réagit cependant

Malgré la canicule qui accable l’hexagone depuis le 27 juin, tout n’est sans doute pas perdu. En effet, les dernières élections européennes ont mis en avant le renforcement d’un mouvement citoyen en faveur de l’environnement. Les actions se multiplient, à l’instar de l’occupation du pont de Sully par le collectif Extinction Rébellion. Désormais, même si les gouvernements se sont depuis longtemps trop peu intéressés au sort de notre planète au profit de la croissance et répriment encore violemment et maladroitement de telles manifestations, la population s’intéresse, s’offusque, se mobilise. Elle poursuit son aspiration, son inclinaison profonde, sinon philosophique au moins lucide par crainte pour l’environnement[4].

Quelles sont les solutions ? Il n’y a malheureusement pas de « potion magique ». Le rapport Brundtland de 1987[5] mettait en avant pour la première fois la notion de développement durable. Ce développement durable n’est pas seulement un projet de préservation de l’environnement mais c’est le résultat d’une véritable lutte politique. Il s’agit en effet d’adopter un « mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »[6]. L’objectif est donc double : il faut à la fois ne pas exploiter les ressources au-delà des capacités de régénération de la Terre et se limiter en termes de rejets à l’exutoire, c’est-à-dire la capacité d’assimilation de la Terre.

Une réponse européenne inadaptée au besoin citoyen d’environnement

Comment expliquer au regard des observations d’Huzar, ou d’Arrhenius[7], des différentes déclarations (Stockholm en 1972, Rio 1992…) des Accords de Paris, pour ne citer que les plus grands, que l’Union européenne qui semblait se réveiller de sa gueule de bois face à l’environnement, établisse un accord de libre-échange avec le Mercosur ? L’élimination d’ici 10 ans de la quasi-totalité des droits de douane entre les deux continents permettrait des exportations plus larges, augmentant les transferts et le fret maritime pourtant largement dénoncé[8]. Les partisans en faveur de l’accord expliquent que cet outil pourrait forcer Bolsonaro à « rentrer dans le rang » et renoncer à quitter l’accord de Paris sur le climat. Pourtant Nicolas Hulot ne voit pas comment on peut, sur un enjeu universel, signer un accord avec un pays qui bafoue à ce point [l’environnement]. Cette affirmation semble pour l’instant se justifier par l’absence de sanction dissuasive prévues contre le Brésil s’il devait manquer à ses obligations[9].

Le développement durable, suffisant face au changement climatique ?

Au regard de ces éléments, on peut se demander comment le développement durable a pu ainsi être bafoué. Aussi faut-il faire une lecture plus attentive, différente de cette notion. Il s’agit de progresser vers un mode de vie plus propre, sans rompre toutefois avec la logique de la croissance. On cherche simplement à la poursuivre, durablement. Cette notion apparaît face à l’urgence climatique actuelle, importante certes, mais aussi dépassée car n’allant pas assez vite et pas assez loin.

Faut-il alors abandonner cette notion qui commence seulement à s’ancrer dans les esprits et figurer partout ? C’est ce que propose notamment Dominique Bourg : « nous parlons de développement durable depuis plus d’une vingtaine d’années. C’était une tentative pour dissocier la croissance du PIB de la consommation d’énergies et de ressources naturelles. Nous savons maintenant que c’est impossible. Finissons-en avec la rhétorique des trois piliers et d’un équilibre aussi trompeur que mensonger entre les dimensions économiques, sociale et écologique ».

Vers quelle notion se tourner ?

Il conviendrait plutôt de porter notre attention sur la notion de transition écologique, qui vise réellement un changement de paradigme, dont les possibilités sont aussi vastes que puissantes. Peut-être faut-t-il tendre vers la croissance zéro comme l’avance Herman Daly[10]. Selon lui la poursuite de la croissance nécessite l’exploitation du capital de la Terre. Il faudrait ainsi revenir à une « économie de la sobriété »[11] qui en finit avec la consommation outrancière de biens, des matières et de l’énergie. Certains auteurs vont encore plus loin, à l’image d’Arne Naess[12] qui pousse cette pensée à l’extrême. Il faut selon lui en revenir à un mode de vie « organique » au plus proche de la terre. Pour cela la société devrait se scinder en petits groupes locaux, formant des communautés distinctes. Il s’agit donc de renoncer à un certain nombre de « libertés » aujourd’hui acquises. Ce serait accepter un repli sur soi-même, se privant des produits importés de l’autre côté du globe : a fortiori il s’agirait de « se priver » de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur.

Finalement, reste-t-il seulement assez de temps pour pareilles discussions ? La transition écologique vise un renouveau de nos modes de vie, vers une consommation plus propre et responsable. C’est elle qui est la notion de demain et doit faire l’objet de toutes nos attentions. Aller plus loin et plus vite devient urgent[13]. Il ne s’agit plus seulement de trouver une alternative au pétrole pour faire fonctionner nos véhicules, mais en vérité dans un certain nombre de cas de ne plus les utiliser. Il ne s’agit plus de consommer seulement de la viande produite localement, mais dans un certain nombre de cas de ne plus en consommer. Il ne s’agit plus de remettre à demain, de s’en remettre aux autres, mais dans tous les cas d’être courageux et changer son monde, pour changer le monde.

Amaury Grosrenaud

[1] http s://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/climatologie-rechauffement-climatique-question-forcages-1117/page/2/

[2] https://www.cairn.info/revue-diogene-2006-3-page-65.htm

[3] Eugène Huzar, avocat et essayiste français du mouvement écologiste (1820-1890).

[4] R. Lenoble, Histoire de l’idée de nature, A. Michel 1969.

[5] https://www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf

[6] Ibidem.

[7] Suédois prix Nobel de Chimie, qui théorise notamment l’effet de serre en 1896 faisant pour la première fois le lien entre une augmentation du CO2 atmosphérique et une augmentation sensible des températures.

[8] L’emploi de fioul lourd implique le rejet de nombreux polluants dont beaucoup d’oxydes d’azote et oxydes de soufre, d’importants polluants qui accélèrent la formation de particules fines et ultrafines.

[9] https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/june/tradoc_157964.pdf#page=15.

[10] Herman Daly, Economie stationnaire, Les Petits Matins 2018.

[11] Wolfgang Sachs développe ce concept en 1993.

[12] Philosophe, professeur et écrivain norvégien (1912-2009).

[13] https://archive.ipcc.ch/pdf/session48/pr_181008_P48_spm_fr.pdf

Quitter la version mobile