Par Han-Ul Chang
Le 26 mai dernier, le couperet est enfin tombé. Après de longues semaines de « campagne », soulignées par des débats télévisés d’une grande pauvreté sur les questions européennes notamment en France ; la nouvelle cuvée des 751 députés européens année 2019-2024 est sortie (ils ne seront plus que 701 après le Brexit). Sera-t-elle bonne ou mauvaise ?
Apres une élection, s’ensuivent d’ autres ( au moins des choix)
Au-delà d’avoir désigné leurs représentants qui siègeront au sein du Parlement européen, les électeurs européens ont également pris, indirectement, part aux élections du président du Parlement européen et du président de la Commission européenne. Car, ces derniers sont élus à la majorité des députés pour respectivement 2 ans et demi (renouvelable) pour le président du Parlement et 5 ans pour le président de la Commission. A cette heure, ces derniers font partie du même groupe politique, à savoir le Parti Populaire Européen (PPE : la droite européenne) ; il s’agit de l’italien Antonio Tajani et du luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Des nominations qui ont été facilitées par la large présence de députés PPE au sein du Parlement avec 214 sièges sur 751. Toutefois, il ne semble pas envisageable de voir ce scénario se reproduire aussi facilement pour ces prochaines nominations.
Plus de débats pour plus de résultats ?
Le taux de participation à ces élections a dépassé les 50% sur l’ensemble du continent. A-t-on remis pour autant l’Europe sur la carte du monde ? Il est encore trop tôt pour pouvoir s’avancer. Car il faut le contrebalancer par les récents « booms » médiatiques qui ont concerné l’Union européenne, avec comme point d’orgue, le Brexit dont la conclusion semble toujours aussi indécise. D’où le léger doute sur la « sincérité » du regain d’intérêt.
Mais, il est également possible d’y voir une volonté des citoyens européens d’avoir un vrai débat sur les questions européennes. En effet, la nouvelle composition du Parlement européen permet déjà d’affirmer qu’il y aura un vrai débat pour les postes de « chefs ». Car aussi bien le PPE, que les Sociaux-Démocrates (S&D : la gauche européenne), ils devront faire face à l’émergence des Verts (grands gagnants auprès de la jeunesse européenne lors des élections) et du groupe Renew Europe (ex-ALDE : Alliance des Libéraux-Démocrates européens) qui vont pouvoir peser plus lourdement sur le débat grâce à leurs très bons résultats.
Alors à quoi s’attendre ? L’excellent score des Verts ne devra pas être négligé. Les électeurs européens vont attendre beaucoup de leurs représentants sur ces questions. Ensuite, le « nouveau » groupe Renew Europe (dont fera partie la République en Marche), un changement de nom pour marquer les esprits ? Eux aussi auront leur mot à dire dans le débat des élections des présidents des institutions en tant que 3e force politique au Parlement. Attention à ne pas s’auto-sanctionner avec les récentes déclarations de Nathalie Loiseau sur ses collègues ou de la volonté des libéraux espagnols de s’allier à l’extrême droite. Des conflits internes qui pourraient couper leur envol et leurs ambitions pour les hautes sphères. Toutefois, malgré l’ascension des partis démagogues, leurs divergences de point de vue sur certains sujets ne présagent pas une alliance pérenne, rendant difficile leur volonté de peser sur le débat. En effet, ni Nigel Farage (Brexit Party), ni les Polonais du parti Droit & Liberté ne veulent rejoindre la coalition avec le Rassemblement National (RN) et La Ligue de Matteo Salvini. De plus, les démagogues seront les premiers à être impactés par la réduction du nombre de députés (passant de 751 à 701) due au Brexit. Face à de tels changements, on en oublierait presque les deux poids lourds politiques du Parlement à savoir la gauche (S&D) et la droite (PPE) qui même en ayant le plus grand nombre de députés (environ 171 pour le PPE contre 213 en 2014 ; environ 145 pour les S&D contre 185 en 2014) voient leurs effectifs chuter, illustrant l’actuel tendance d’un éclatement des « partis traditionnels ». Ainsi, pour désigner les prochains futur.es président.es des institutions européennes parmi les Manfred Weber, Frans Timmermans, Margrethe Vestager ou encore Ska Keller le débat sera de mise.
Il faudra alors que le débat soit constructif, et qu’il ne rentre pas dans la sclérose des concessions amicales et politiques ou de luttes intestines qui risqueraient de gangréner une construction européenne déjà en manque de vitesse et de solutions. Si cela arrivait, il se peut que ce soit le dernier crédit donné à l’Union européenne par ses citoyens. Elle est dorénavant au plus grand carrefour de son Histoire, soit elle transforme l’essai donné par ses citoyens, soit elle devra rentrer au vestiaire tête basse. La balle est maintenant dans le camp des institutions.
L’ombre du « Selmayrgate »
A trop diriger le regard vers l’avenir, on en oublie presque le moment présent. Car outre les perspectives d’avenir qui vont se poser à l’Union européenne, elle devra d’abord régler ses conflits internes, comme le fameux « Selmayrgate ».
Pour rappel, l’allemand Martin Selmayr était chef de cabinet de Jean-Claude Juncker à la Commission européenne à partir de 2015. Ce dernier l’a par la suite nommé au poste de Secrétaire Général d’une façon peu démocratique en 2018, engendrant les foudres des députés européens qui ont demandé la démission de l’allemand. Que nenni, Selmayr a gardé son poste. Il dispose par ses nouvelles responsabilités de pouvoirs extrêmement importants au sein de l’exécutif européen, comme la capacité d’écarter certains fonctionnaires pour les remplacer par ses fidèles à des postes clés, lui permettant de façonner à sa manière la Commission, qui est la tour de contrôle du fonctionnement européen. Il est en quelque sorte le « Frank Underwood » de l’Union (pour celles et ceux qui regardent la série House of Cards), n’ayant que son envie de pouvoir pour avancer, tuant père et mère pour arriver à ses fins (cf. Laura Pignataro haute fonctionnaire du service juridique de la Commission s’est suicidée le 17 décembre dernier, elle devait défendre la nomination de M. Selmayr au poste de secrétaire général).
Cependant, la méconnaissance de cette affaire par le grand public a confirmé lson intérêt peu prononcé pour l’Europe. Imaginez un épisode d’une telle ampleur dans un gouvernement national, cela ferait la Une de tous les journaux nationaux et bulletins télévisés pendant des jours ! Mais, cette méconnaissance a réussi, dans son malheur, à éviter un point de non-retour entre l’Union et les citoyens européens.
Une chance qu’il faut maintenant saisir pour les nouveaux députés dans leur choix du nouveau président de la Commission pour écarter Martin Selmayr des institutions. Le nouveau président aura d’une part la lourde tâche de renvoyer Selmayr du poste de Secrétaire Général, et d’autre part de donner un nouveau souffle à une Commission en manque de charisme et d’ambition depuis Jacques Delors (on ne peut pas dire que les Commissions Santer (démission en 1999), Barosso (a rejoint Goldman Sachs après la fin de son mandat) et Juncker (« Selmayrgate ») n’aient été à la hauteur des ambitions que devaient montrer l’Union.
Vers une fin de l’Union européenne ?
L’Union est à un carrefour de son Histoire. Les citoyens européens ont donné une nouvelle opportunité à l’Europe pour les 5 années à venir de se montrer indispensable. Seulement, un nouvel échec dans ses ambitions et dans la résolution de crise pourrait être fatal pour l’Union, synonyme d’uppercut populaire dont elle ne se relèverait que (trop) difficilement, voire pas du tout. A ce moment-là, cela pourrait sonner le glas de l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Une reconfiguration ou un réinitialisation peut-être? Ou alors porter notre regard vers l’Asie ?
Han-Ul CHANG
Catégories :Européenne, Parlement Européen