Conseil de l'Europe

Journée de la femme. La condition là-bas jadis et ici aujourd’hui

Par Amaury Grosrenaud

La femme est-elle libérée ? Je vous propose aujourd’hui une rétrospective sur la condition de la femme, pour laquelle beaucoup reste encore à faire, à travers un parallèle entre le monde ancien médiéval (un exemple exceptionnel) et le monde « contemporain ».

Là-bas à Jeme (au Moyen-Age)

Jeme était une petite ville à l’histoire riche, étrange, située dans la région de Thèbes en Egypte. Elle connaît son apogée entre 600 et 800 après JC. Les femmes de Jeme étaient chanceuses en leur temps. La ville ne fonctionne pas comme toutes les autres voisines de son époque ou d’ailleurs, plus modernes. Bien que chrétienne (copte), la société qui y vit va à l’encontre des exhortations de l’Eglise. Les femmes sont très libres et influentes. Leur place importante et leur statut social autant que légal n’est pas unique au monde ancien, mais semble aller très loin, plus encore que le droit romain qui donnait pourtant déjà aux femmes un statut que certaines continuent d’envier jusqu’au XXème siècle.

Pisentius, évêque dans la région de Coptos (Egypte) de 599 à 632 se veut gardien de la morale religieuse. Il est l’auteur de nombreux textes dont un sermon qui lui survit (Sermon sur la vie d’Onnophorios). Le prélat y prescrit que la femme doit être en constante recherche de la vertu, impliquant notamment la chasteté hors des liens du mariage. Pureté et virginité sont deux caractères majeurs de la vertu féminine, comme en témoigne le mythe de la vierge Marie, ou encore celui de Marie d’Egypte qui après avoir « perdu » cette vertu en se livrant à la prostitution la recouvre en s’exilant dans le désert, en toute chasteté.

Mais déjà dans les discours de Pisentius pointe une certaine originalité. Ce n’est pas seulement la femme qui doit s’abstenir de relations charnelles hors des liens du mariage, mais aussi l’homme qui est coupable dans les mêmes conditions que la femme. Il y a égalité des sexes !

Encore, on sait que les pratiques lesbiennes était acceptées et connues, au sein même de certains monastères. La femme de Jeme est une femme « libérée ». Si Pisentius revient souvent sur les devoirs de la femme et essaye de la soumettre aux exigences de la morale religieuse, c’est parce qu’elle s’en affranchit. C’est une femme rebelle qui lui fait peur. Et pourtant tout cela intervient bien après les textes religieux des 3 et 4ème siècles qui déterminent très clairement la condition de la femme comme inférieure à celle de l’homme. C’est la thèse de la dérivation : la femme vient de l’homme qui vient lui-même de Dieu. Seul l’homme est d’essence divine.

L’Egypte est alors un berceau du féminisme, ignorant pour l’essentiel la misogynie de l’Eglise qui certes apparaît plus tard mais elle est due à l’étude des textes importés par les ecclésiastes locaux qui en reprennent les principes aux 9 et 10ème siècles. L’Egypte permet à la femme « la grandeur. » En témoigne le règne des grandes comme Cléopâtre[1] ou encore d’Hatshepsut[2] que James Henry qualifie de première grande femme dont l’histoire ait gardé la trace[3].

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La femme jeméenne participe à la vie économique de la ville par l’artisanat, ou le commerce. Être une femme était important même du point de vue légal. Elle pouvait détenir propriété et était juridiquement responsable dans ou hors des liens du mariage[5], ce qui en France tardera encore beaucoup à arriver.

Ici, aujourd’hui

Que s’est-il donc passé pour que la nation des droits de l’homme qu’est la France soit tant revenue en arrière au point que la femme ne devient libre seulement et encore progressivement qu’au XXème siècle ? Olympe de Gouge rédige la « Déclaration de la femme et de la citoyenne » en 1791. Ce pastiche de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est le premier document de portée juridique qui évoque l’égalité légale des femmes par rapport aux hommes. La Révolution de 1789 se veut d’essence libérale, progressiste et égalitaire mais oublie la femme.

Olympe de Gouges (1748-1793) s’adresse à la reine Marie-Antoinette pour obtenir son soutien dans la protection de son sexe, qu’elle dit malheureux. Ce sont ses idées et plus particulièrement celles sur les massacres de septembre 1792 qui vont lui valoir l’exécution. Elle écrivait alors que « la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir le droit de monter à la tribune »[6]. Son intuition est bonne, les mœurs ne peuvent être changées que par la loi. Progressivement au XXème siècle la place de la femme et sa liberté se réaffirme. C’est le fruit de nombreuses interventions à caractère légal dont notamment la suppression de l’incapacité juridique en 1938 (avant cela, la femme était encore soumise à l’autorité de son père, puis de son époux, selon les modèles de la potestas et manus du droit romain[7]). La femme peut voter à partir de 1944[8]. La femme ne peut pas gérer ses biens (ou seulement sous conditions), ni exercer une profession et ouvrir un compte en banque sans l’accord de son mari avant la loi du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

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Louise Weiss avec les suffragettes en 1935

En 1967 la loi Neuwirth permet l’utilisation de la contraception orale. Parachevant l’évolution, la Loi Veil, portée par la Ministre de la santé, relative à l’IVG de 1975 permet à la femme d’interrompre sa grossesse si elle le souhaite sous certaines conditions. On peut penser que la femme de Jeme est bien loin, dépassée par ces avancées modernes.

Si c’est essentiellement vrai, il n’en reste pas moins que les inégalités demeurent. Les femmes sont toujours moins bien payées que les hommes, occupent moins d’emplois à responsabilité…[9] même les lois sur la parité ne permettent pas une revalorisation réelle des promotions et revenus des femmes. Si en effet la parité est souvent respectée à peu près au sein des gouvernements, c’est souvent par opportunisme politique à l’image de Nicolas Sarkozy que Rama Yade[10] accuse d’avoir utilisé les femmes à son profit politique.

Il semble que peu de femmes aient toute la considération qu’elles méritent, ce sont en politique les Veil, May, Thatcher, la chancelière Merkel, les grandes femmes de l’histoire qui sont reconnues à l’image d’Olympe de Gouges, mais partout il reste encore à oeuvrer en ce sens.

Amaury Grosrenaud

1] Reine d’Égypte, royaume ptolémaïque, 51 av. J.-C. – 30 av. J.-C.

[2] Reine-pharaonne d’Egypte, XVIII dynastie, v. 1479 à 1457 avant notre ère.

[3] James Henry Breasted, A History of the Ancient Egyptians, C. Scribner’s Sons, 1908.

[5] T.G. Wilfong, Women of Jeme: Lives in a Coptic Town in Late Antique Egypt, Michigan Press, 2002.

[6] Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, article 10, septembre 1791.

[7] Paul DuPlessis, Borkowski’s Textbook on Roman Law, Oxford Press, 2010.

[8] Ordonnance du 21 avril 1944 prise par le Gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger.

[9] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3363358.

[10] https://www.bfmtv.com/politique/pour-rama-yade-nicolas-sarkosy-a-utilise-des-femmes-pour-gagner-son-combat-890603.html.

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