Conseil de l'Europe

Human Rights : 70 ans et l’ouvrage est encore sur le métier!

Par Jean-Mathieu Le Beon

Il y a parfois des hasards de calendrier qui mettent en lumière les combats d’une époque.

Rappelons que l’Europe de Strasbourg est à la fois celle du Conseil de l’Europe (Europe des 47 et de son émanation juridique, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, CEDH)  et celle du Parlement Européen (les 27 /28 de l’Union Européenne).

Capture d_écran 2018-12-20 à 15.12.00Ainsi en cette fin d’année, l’Association Parlementaire Européenne, avait organisé une conférence-débat intitulée : « Droits de l’Homme, un combat sans fin ? » pour célébrer le 70ème anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (DUDH) adoptée à l’ONU en 1948 ,en questionnant la légitimité d’une telle invention.

En effet jamais depuis leur édiction ces principes  n’ont  été autant attaqués, Au cours des dernières années les critiques se sont mises à pleuvoir, stigmatisant la déclaration comme un simple produit culturel. Pour ses détracteurs les plus farouches, il s’agirait de l’imposition d’un ethnocentrisme occidental .Cette contestation ne se fait pas uniquement entendre sur des continents éloignés et la remise en question de ces droits fondamentaux apparait aussi jusqu’au sein de l’Union Européenne.

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Oleg Sentsov

Simultanément le Parlement Européen se réunissait en session plénière afin de remettre le prix Sakharov à Oleg Sentsov. Depuis 2015 ce réalisateur ukrainien est incarcéré pour des motifs politiques, la Fédération de Russie l’accusant de complicité avec des organisations terroristes à la suite de son engagement contre l’annexion de la Crimée. Malgré la pression de la communauté internationale et la médiatisation d’une grève de la faim, ce Régime reste inflexible.Le cinéaste ukrainien est donc devenu un emblème de la lutte en faveur des droits de l’homme.

Une brève histoire du concept de « personne humaine » :

Monsieur Patrick Titiun directeur de cabinet du Président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a ouvert la discussion en précisant l’origine de » la personne humaine » dans le droit international, partant de la Seconde Guerre Mondiale pour aboutir aux enjeux contemporains. Au début du XXème siècle il aurait semblé ubuesque à de simples citoyens de pouvoir présenter un recours devant une instance supranationale ayant pour objet la défense des libertés individuelles. Et pourtant en réaction aux conflits mondiaux, dans un contexte de méfiance vis-à-vis de la férule des Etats, et avec l’appui d’Eleanor Roosevelt, ces principes fondamentaux ont été proposés puis adoptés.

Cette esquisse dans le temps a permis à la Vice-Présidente du Parlement Européen madame Heidi Hautala d’aborder les enjeux actuels pour l’Union Européenne, à savoir l’articulation de thématiques nouvelles que sont le féminisme et l’écologie à la défense de ces droits.

Le défi juridique.

De nos jours persistent trois types de difficultés : un problème de résistance face au multilatéralisme -la COP24 organisée en Pologne témoigne de la complexité d’obtenir  un consensus- ; un problème d’unité politique qui sape la portée du discours universaliste – au sein de l’UE la Hongrie s’affranchit de certaines réglementations pour lesquelles elle s’était engagée- ; un problème de perception des droits de l’homme -des Etats invoquent une instrumentalisation des textes pour déconstruire des traditions-.

« Il ne faut jamais perdre de vue que la Cour est saisie pour apporter une réponse juridique à un contentieux politique, et non l’inverse. » Patrick Titiun

Au fil de la discussion est apparu un constat paradoxal, la tentative de délégitimation des droits individuels perce au grand jour alors que la société civile est devenue un acteur majeur des relations internationales, en effet la pression exercée par le combat politique d’un citoyen lambda peut dorénavant affecter plus rapidement la marche des Etats que cela n’aurait été envisageable précédemment. Oleg Sentsov en est une illustration, d’autres personnages sont plus connus encore : songeons à Edward Snowden, ou bien Liu Xiabo.

La situation parait donc contrastée. Les réticences et remises en cause sont souvent fortes et visibles. Les victoires bien que discrètes n’en sont pas moins primordiales. L’Union Européenne a par exemple aidé à l’organisation des élections en Arménie qui ont vu la victoire de Nikol Pachinian, il s’agit bien du succès d’un processus démocratique qui est un premier jalon du respect de la DUDH.

L’aspiration à une réforme donnant valeur contraignante aux arrêts de la CEDH : une victoire à la Pyrrhus ?

A la suite des questions posées par l’assemblée, la problématique de la mise en place d’un système contraignant à la CEDH a été soulevée. Il s’agirait d’un possible levier d’efficacité pour l’instance qui risquerait néanmoins de contrarier certains pays membres et de refroidir des velléités d’adhésion. Depuis sa création cette volonté de réforme est revenue plusieurs fois sur le devant de la scène mais à chaque fois des Etats importants s’activaient en coulisse pour que cette dernière ne puisse aboutir. Malgré une évolution de la place et du rôle des acteurs dans les relations internationales, il convient de ne pas oublier que la justice ne se fera pas sans les Etats et dès lors peut-être serait-il plus judicieux de ne pas mettre en place des mécanismes qui seraient vécus comme punitifs.

Capture d_écran 2018-12-20 à 15.48.50Mme  Heidi Hautala

« En ce qui concerne la protection des individus, les Etats demeurent des entités de première importance. » Vice-Présidente Heidi Hautala

Ainsi les Droits de l’Homme semblent s’être enracinés dans une culture politique transfrontalière, il s’agit bien là d’une avancée dont certains Etats, parfois à tendance autoritaire, redoutent les troubles et auxquels ils répondent durement, ce qui à l’avenir attirera et réclamera toute notre attention. Camus n’écrivait-il pas qu’il fallait « imaginer Sisyphe heureux» ?

Jean-Mathieu LE BEON

 

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