Européenne

Espagne-Catalogne: je t’aime moi non plus

Par Tristan Tottet

Depuis plus d’un an, la Catalogne est secouée par une crise majeure, liée à revendications indépendantistes.Avant 2008, la société espagnole se trouvait dans une situation exceptionnelle tant sur le plan économique que sur le plan social, période parfois même qualifiée de « miracle espagnol ». Ce phénomène a été rendu possible grâce à l’aide européenne depuis l’adhésion de l’Espagne au projet européen en 1986, mais depuis….

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2008-2018 : une décennie perdue

Le choc de la crise économique de 2008 a montré les limites du modèle économique national espagnol. Pour prévenir l’effondrement de l’activité économique, le gouvernement Zapatero avait pris des mesures visant à « freiner » la crise en baissant les recettes fiscales et les dépenses publiques En 2008 et 2009, il élabore les Plans E, concrétisés par un soutien dans le secteur-clé de la construction et une augmentation des allocations afin de compenser la baisse des revenus. Malgré tout, en 2016 la dette publique atteint le niveau record de 100,51 % du PIB.

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Réponse:Stimuler l’économie et l’emploi, enEspagne

Cependant l’ancrage européen de l’Espagne ne fait aucun doute

 

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Le pays doit faire face à une organisation territoriale particulière: les Communautés Autonomes (CA) sont dotées d’une grande autonomie politique. Dans l’histoire espagnole, la Constitution de 1978, est la plus progressiste et la plus respectueuse de toutes les « nationalités » qui composent le pays garantissant une décentralisation totale, surtout sur le plan de la liberté culturelle et linguistique Les premières autonomies ont été données aux territoires que les Espagnols nomment les nationalités historiques.

Elles sont trois : le Pays Basque, la Catalogne et la Galice. Ces trois régions, à l’empreinte identitaire forte, se sont déjà vu accorder ce statut sous la Seconde République espagnole entre 1931 et 1936.

À ce jour l’Espagne est composée de 17 CA auxquelles s’ajoutent les villes de Ceuta et Melilla qui bénéficient d’un régime d’autonomie interne. Dans chacune de ces CA est appliqué un modèle de représentation parlementaire avec l’élection d’une assemblée qui en élit le président.

Cependant les Communautés autonomes ne disposent pas de l’indépendance judiciaire mais elles sont autonomes dans les aspects législatif et exécutif.

En parallèle du plan de soutien du gouvernement central pour garantir la viabilité du système espagnol, chacune des communautés étant bien sûr impactée a mené une politique de soutien et de relance.

Ainsi, face à l’instabilité institutionnelle qui traverse la Catalogne depuis des années, l’agence Standard & Poors lui a donné un B+ en 2018.

Dans l’éventualité d’une indépendance de la Catalogne, l’instabilité économique s’installerait et engendrerait la question du remboursement de la dette, qui s’élève aujourd’hui à 78 milliards d’euros.

Le revenu moyen annuel des Catalans est de plus de 29 000€, la moyenne nationale étant de 25 000€, mais en dessous de celui des 33 000€ des Madrilènes. Le destin espagnol est lié à l’interconnexion et l’interdépendance des Communautés autonomes entre-elles. Les relations entre Madrid et les capitales « autonomiques » relèvent d’une gestion multilatérale.

 La Catalogne à la recherche d’un statut égalitaire avec Madrid ?

Depuis le retour de la démocratie en 1978, certaines CA réclament toujours plus d’autonomie comme par exemple le Pays Basque qui a connu pendant des années la violence de l’ETA et la Catalogne qui a développé son particularisme autour de la notion de « catalanisme ». En plus d’une identité forte, ce sentiment d’appartenance communautaire peut engendrer un rejet de l’ Etat central comme l’a dévoilé le 1er octobre 201 7le référendum portant sur l’indépendance de la Generalitat.

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Luis Zapatero , songeur

Il faut remonter à 2004, avec le gouvernement Zapatero, pour constater un changement dans les relations entre Madrid et les capitales autonomiques. Le gouvernement socialiste a tenté de lancer une réforme constitutionnelle en 2003 avec comme base la déclaration de Santillana. Elle marquait la volonté d’intégrer les C.A dans un ensemble régional européen. Les propositions du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) s’articulaient autour d’une « fédéralisation » de la politique des Communautés autonomes avec la réforme du Sénat qui, en Espagne, est une Haute Assemblée élue au suffrage universel pour une partie des sénateurs et pour l’autre par désignation des CA.

Avant que la question catalane ne cristallise la vie politique espagnole, il y avait eu le Plan Ibarretxe, du nom du président de la communauté basque, très indépendantiste mais repoussé  par les partis constitutionnalistes: Parti Populaire (PP) et PSOE.

Une fois au gouvernement, le premier ministre José Luis Zapatero n’a pas eu d’autre choix que de respecter une de ses promesses de campagne en soutenant le président de la Generalitat de Catalogne, Pasqual Maragall, dans la préparation de la réforme du statut autonomique catalan connu comme le Nou Estatut qui impose une réforme fiscale pour corriger les déficits publics catalans, un bureau des impôts, mais aussi l’établissement d’une relation bilatérale entre le gouvernement autonomique catalan et le gouvernement central de Madrid.

Cette dernière proposition était le point primordial des demandes catalanes, aussi bien en 2006 qu’en 2018. Cette volonté de défaire le multilatéralisme entre les Communautés autonomes pour créer une relation bilatérale avec Madrid relève d’un souhait d’égalité entre les institutions nationales et la Catalogne.

Cette structuration politique du catalanisme débute entre 1980 et 2003 avec le mandat du président de la Generalitat, Jordi Pujol. Sa politique se base sur la promotion implicite d’un « fédéralisme asymétrique » : la reconnaissance d’un dialogue bilatéral avec l’État central et Barcelone.

Le texte catalan proposait, sur le modèle basque avorté de reconnaître la Catalogne comme une Nation et non comme une nationalité. Ce qui pose le problème de la place des CA au sein de l’Espagne, mais aussi de celle de l’État central face à des régions qui voudraient traiter seules avec les Institutions européennes en tant qu’État et non plus en tant que simples régions.

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Un militant indépendantiste à Bruxelles. Allégeance à l’Europe  et refus de l’Espagne? 

Depuis 2006, on peut noter le développement d’un sentiment anti-catalan. Le PP a fait des propositions qui allaient dans le sens d’un boycott des produits catalans, alors que le parlement catalan votait pour le Nou Estatut. Afin d’être ratifié et entrer en application, le texte a dû être proposé au vote par le Parlement , les Cortès. Le 30 mars 2006, les Cortès ont voté contre le Nou Estatut. En contestation du vote , le peuple catalan a été consulté par voie référendaire en juin 2006 et le « oui » a été largement plébiscité à 74%.

A l’issue de ce blocage institutionnel, le Premier ministre Zapatero a réussi à diviser le camp catalan, mais la Communauté catalane a obtenu du pouvoir central une hausse de 50% de sa part sur l’impôt et sur la TVA. Par ailleurs, un accord économique a été passé pour une période de sept ans durant laquelle les investissements publics seront proportionnels au poids économique de la région dans le PIB espagnol.

Malgré l’accord, le PP a saisi le Tribunal constitutionnel et un avis a été rendu en 2010. 14 articles du Nou Estatut ont été censurés, dont l’article portant sur la reconnaissance de la nation catalane. La lenteur des institutions et de la décision du Tribunal constitutionnel ont généré l’incompréhension au sein de la population catalane.

Depuis l’instauration du Nou Estatut en 2006, la communauté catalane continue de vouloir renégocier le pacte fiscal. L’absence de dialogue entre les deux partis et l’élection en 2015 d’une coalition en faveur de l’indépendance, Junts Pel Sí, ont mené au référendum du 1er octobre 2017.

 L’Indépendance comme solution ?

 Le renouveau « indépendantiste » prend son origine dès 2010, avec l’annulation partielle par la Cour Constitutionnelle du nouveau Nou Estatut, à la demande du chef du PP Mariano Rajoy. Le premier acte concrétisant cette volonté de se séparer du reste de l’Espagne date du 23 janvier 2013, quand le parlement autonomique catalan a adopté une déclaration stipulant que la Catalogne est un « sujet politique et juridique souverain ». Cette politique influencée par Artur Mas lance le processus de desconexión des institutions catalanes du reste de l’Espagne. Le 9 novembre 2014, la Generalitat organise un vote consultatif portant sur l’avenir politique de la Catalogne.

La consultation posait deux questions n’appelant:Voulez-vous que la Catalogne devienne un État ?En cas de réponse affirmative, voulez-vous que cet État soit indépendant ?

Le processus  engagé se durcit…

1) Ce vote, organisé par la Generalitat, n’a pas été reconnu par le gouvernement espagnol, car il s’est tenu malgré l’interdiction du Tribunal constitutionnel. En septembre 2015 les élections autonomiques en Catalogne sont remportées de justesse par la coalition nationaliste Junts pel Sí. Les séparatistes promettent de conduire la Catalogne à l’indépendance.

Le 6 septembre 2017, le parlement catalan promulgue une loi régionale organisant la tenue d’un référendum au nom « du droit du peuple catalan à décider de son avenir politique ». Dans le même temps, il convoque un référendum d’autodétermination pour le 1er octobre 2017. Cette décision ouvre une crise majeure avec le pouvoir central espagnol. La loi organisant le référendum est adoptée par 72 votes pour et 11 abstentions.

2) Le 13 septembre 2017, le parquet général d’Espagne ordonne aux procureurs de Catalogne de citer à comparaître les maires de la région prêts à organiser le référendum. Le 20 septembre 2017, des perquisitions sont conduites par la Guardia civil à Barcelone et en Catalogne. Une douzaine de membres du gouvernement régional sont arrêtés.

3) Le 1er octobre  2017, les séparatistes ont maintenu la tenue du référendum malgré l’interdiction de Madrid. La question posée était : Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ?

Malgré un boycott des électeurs catalans, seuls 42% des électeurs se sont déplacés,  le résultat de cette consultation est sans appel. 90% d’entre eux ont voté pour le oui.

4) Le 10 octobre 2017, le président de la Generalitat proclame, lors de la séance plénière du parlement catalan, le résultat du référendum qui enclenche l’indépendance de la région, mais la suspend immédiatement dans l’attente d’un dialogue avec le gouvernement espagnol.

5) A la suite de cette déclaration et en application de l’article 155 de la Constitution, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy lance le processus de suspension du statut d’autonomie de la Catalogne.

Cela n’empêche pas le parlement catalan de voter en faveur de l’indépendance avant d’être dissous en vue de nouvelles élections, prévues le 21 décembre 2017. Une courte majorité indépendantiste est alors élue.

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L’infortuné Puigdemont

6) Conformément à la loi, le pouvoir exécutif catalan déchu est poursuivi par la justice espagnole pour rébellion. L’ex-président catalan, Carles Puigdemont, prend alors la route de l’exil, suite à un mandat d’arrêt européen. Cet exil tend alors les relations entre les pays européens. Lors de son arrestation par la police allemande, la question de son extradition en Espagne s’est posée. Le code pénal allemand prévoit l’existence d’un délit de haute trahison dont la qualification juridique est extrêmement proche du délit de rébellion pour lequel Carles Puigdemont est poursuivi, à l’inverse du droit pénal de Belgique où il avait trouvé refuge. Toutefois, le 5 avril 2018, le tribunal supérieur régional de Schleswig-Holstein a refusé d’extrader Carles Puigdemont pour rébellion vers l’Espagne. Grâce à cette faille du droit belge, il vit aujourd’hui à Waterloo.

 Retour à la case départ ?

Malgré les événements d’octobre et novembre 2017, la situation de la Catalogne reste viable puisque l’économie régionale a repris à un bon rythme avec fin 2017 une croissance de 3,2 %.

Mais la région n’a pas réussi à freiner la fuite des entreprises qui continuent de déménager leurs sièges sociaux et fiscaux, 2 536 en 2017 et 1 886 sur les deux premiers trimestres de cette année.

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Pedro Sanchez, nouveau 1° ministre, économiste.

Sur le plan national, la surprise vient de l’accession au pouvoir du socialiste Pedro Sanchez en juin dernier, élu grâce à une motion de censure gagnée contre Mariano Rajoy. Ce changement de majorité a permis de débloquer la situation entre l’État et la Generalitat, en réactivant la commission bilatérale alors qu’elle était au point mort depuis 2011. Ce déblocage a donné lieu à un accord de financement de 1,4 milliard d’euros supplémentaires au bénéfice de la Catalogne pour les quatre prochaines années.

Pedro Sanchez nouveau I° mi,Malgré des premières avancées plutôt positives dans la relance du dialogue entre Madrid et Barcelone, Pedro Sánchez se trouve tributaire des deux formations sécessionnistes catalanes, qui l’ont appuyé au Cortès de Madrid dans sa motion de censure contre Mariano Rajoy. Après l’anniversaire du référendum illégal, le président indépendantiste de la Generalitat Quim Torra a menacé l’exécutif de lui retirer son soutien si Pedro Sánchez n’ouvrait pas la voie à un processus d’autodétermination.

Cataluña ou Catalunya ?

A l’heure actuelle, c’est dans la perception de l’impôt, de la reconnaissance accrue d’un particularisme et de la redistribution des richesses, que réside le nœud gordien du problème entre la Catalogne et le reste de l’Espagne.

Le nationalisme catalan, comme expression d’un particularisme trouve racine dans un XIXe siècle européen bouillonnant, reposant sur une langue, une culture et une histoire communes.

Au XVe siècle l’’Espagne avait intégré la province catalane par le mariage d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon. Au sein de ce nouvel ensemble, Barcelone est une province excentrée tournée vers les pays méditerranéens alors que l’avenir de l’Espagne du XVIe siècle se tournait vers l’Ouest, le Nouveau-Monde.

Néanmoins, le XIXe siècle permet un changement radical dans l’équilibre des forces. Les industries s’installent en Catalogne, une vie culturelle se développe, Barcelone est une ville laïque, moderne, ouverte au monde, nourrie de fortes revendications tant sociales que politiques. Ainsi, le général Espartero aurait eu les propos suivants après avoir maté l’insurrection barcelonaise de 1842, « Il faudrait bombarder Barcelone tous les 50 ans », alors qu’au même moment, le reste de l’Espagne tardait à entrer dans le XXe siècle.

A l’aube d’un XXIe siècle où l’Union européenne se tourne vers une union plus intégrante des peuples et vers un effacement des frontières, comment peut-on définir l’indépendance ? Les Institutions européennes ont émis un avis : l’indépendance d’une région d’un État-membre reviendrait à acter sa sortie de l’Union et donc de se priver d’avantages. La vraie question, pour éviter ce que nous pourrions qualifier de Catalexit, c’est celle de l’interdépendance.

Aujourd’hui affirmer que les pays sont indépendants relève d’une chimère. Tous les pays sont interdépendants.qu’on le veuille ou non. Nous l’avons constaté lors de la crise de 2008, lorsque tous les pays membres de l’Union Européenne ont été touchés par la crise des « subprimes. » Aujourd’hui, la Generalitat, par sa tentation indépendantiste, menace l’interdépendance entre les pays européens, en plus de fragiliser la coexistence entre les nationalités espagnoles. Une indépendance catalane reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore au sein même de l’Union européenne.

L’Espagne est ainsi faite : une société bigarrée qui au fil de l’histoire a toujours su dans sa diversité reconnaître sa pluralité. C’est la grande spécificité de l’Espagne, elle s’est unifiée par la réunion de plusieurs royaumes et non pas comme la France par l’agrégation de provinces autour d’un noyau central. C’est la fragilité de l’état-nation espagnol. Pour preuve, on parle du Peuple français mais « des Espagnols ». La relation entre l’Espagne et la Catalogne pourrait être personnifiée en une tragédie où le premier dit au second : va, je ne te hais point. Et réciproquement ? Rodrigue n’avait pas répondu…

Que répondrait Emmanuel Vals ? Par une litote, lui-aussi?

Tristan Tottet

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