Nous ne voyons rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
La taxation des grandes sociétés de l’Internet, si on a de l’humour, vire au gag. Celles-ci, jouant de divers accords internationaux et de la grande liberté du marché unique, domicilient fictivement leurs profits dans des pays à basse imposition des capitaux. Puis ils négocient avec les autorités fiscales un traitement d’amis par rapport aux normes fiscales locales, comme Apple en Irlande. Résultat : une petite dizaine de milliards d’euros échappent chaque années aux coffres des Etats européens.
Face à ceci, les Etats développés ont lancé deux offensives : une à l’OCDE pour modifier les modèles de traités et boucher les trous les plus gros employés par les entreprises numériques. Une au niveau européen pour parvenir à des normes communes. Mais ces deux approches souffrent de faiblesses : l’OCDE met curieusement un temps infini à parvenir à un consensus efficace et ces normes ne sauraient permettre à elles seules d’arrêter des entreprises voyoues s’appuyant sur des paradis fiscaux opaques. Quand au processus européen, il suffit de rappeler qu’il se décide à l’unanimité, y compris de nos paradis fiscaux.
Sauvons l’Europe est intervenue régulièrement dans ce débat avec l’initiative Paradise Guerilla, et en déposant à deux reprises, avec Marie-Noëlle Lienemann, une proposition de loi pour réputer l’existence d’un établissement stable lorsque des entreprises effectuent des transactions numériques vers le territoire français. Notre logique était double : sécuriser un revenu fiscal le temps, sans doute long, qu’un accord international se solidifie, et commencer à matérialiser les concepts servant de base aux négociations de ces accords. Par deux fois notre projet fut adopté au Sénat, et rejeté à l’Assemblée sur intervention du Gouvernement Valls puis Philippe.
Les arguments restaient les mêmes : nous avons les choses bien en main, des poursuites sont déjà en cours (nous avions prévenu qu’elles échoueraient, ça n’a pas pas manqué), les choses ont déjà presque abouti au niveau européen / OCDE / galactique, il faut pas être contreproductifs. Alors où en sommes-nous de toutes ces choses qui avaient abouti ou presque ? Eh bien nulle part comme prévu. Le régime de l’unanimité ne permet pas d’aboutir sur ces questions en dehors de la mise en tension d’un rapport de force préalable.
Pierre Moscovici, commissaire européen à la fiscalité, a vraiment essayé. Il a tenté de mettre en place une liste des paradis fiscaux tellement malmenée par les Etats qu’il a fini par publiquement désavouer le résultat en en attribuant clairement la responsabilité. Il a publié un projet de taxation provisoire prénégocié avec la France et l’Allemagne, qui combine une notion d’établissement stable des grandes entreprises dans leurs pays clients et une taxe sur le chiffre d’affaires comparable à une TVA additionnelle.
Las ! Peu de progrès vers l’unanimité pour ce beau projet qui n’était pourtant que temporaire le temps qu’intervienne un accord à l’OCDE – imminent comme chacun sait. L’Irlande a bloqué, avec l’aide de plusieurs pays nordiques et le Benelux en embuscade. L’Allemagne avait fait retirer de la table tout l’Internet des objets sur lequel elle est en position intéressante. Et elle vient de faire défaut à la coalition par crainte de représailles américaines sur ses ventes de voitures. Nous sommes donc désormais bien dans une logique de guerre commerciale avec les Etats-Unis, qui ont clairement agité cette menace.
Le « consensus » qui s’établit désormais à la table européenne est de se donner rendez-vous en 2020 pour en rediscuter si le processus OCDE n’a pas accouché d’ici là.
Devons-nous redéposer notre amendement une troisième fois ? En attendant…
Catégories :Européenne