Spectacle

Claude Lelouch se confie à Ecran Total

Exceptionnellement la prestigieuse  revue » Ecran Total » qui n’est guère ouverte  qu’aux professionnels du cinéma qui y sont abonnés, s’ouvre ici.

Nous en profitons pour relayer cet article /ITV émanant de notre ancien chroniqueur Nicolas Colle qui a couvert jadis deux  fois le Festival de Cannes pour eurolatio. Il nous a quittés pour Ecran Total où il est heureux, dans son élément.

Catégorie(s) :A la une, Accès libre…, Actualités, Cinéma, Interview

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Ecran total s’est rendu en exclusivité aux Ateliers du cinéma de Beaune, à la rencontre de Claude Lelouch et de ses apprentis, lors des essais du nouveau film du réalisateur, La Vertu des impondérables.

L’occasion pour le cinéaste de revenir longuement sur son parcours, ses Ateliers, ses projets – dont les épilogues d’Un homme et une femme et d’Itinéraire d’un enfant gâté.

Comment sont nés les Ateliers du cinéma de Beaune ?

L’idée est surtout venue du jeune homme que j’étais et qui n’a pas réussi à intégrer une école de cinéma car il n’avait pas le niveau d’études nécessaire. Mais, pour faire du cinéma, on n’a pas nécessairement besoin de culture, on a surtout besoin d’instinct et d’imagination. Aujourd’hui, il y a 7 milliards de gens qui filment avec leur portable donc c’est un métier à la disposition de tout le monde. Certains filment mieux que d’autres, et ce sont ceux-là que j’ai envie d’aider. Il y a des passionnés de cinéma un peu partout, qui n’ont pas d’argent, qui n’ont pas fait d’études mais qui sont peut-être les grands metteurs en scène de demain. On organise un concours chaque année pour détecter les hommes et les femmes un peu plus doués que les autres.

C’est ouvert à tout le monde. Pas seulement à ceux qui ont de l’argent et des diplômes, mais à ceux qui ont la curiosité du cinéma et surtout, qui sont caméramans. Le fait d’intégrer ces ateliers leur permet d’assister à des tournages de films, sur lesquels ils occupent différents postes d’assistant, afin d’être confrontés à toutes les difficultés de la réalisation d’un long métrage. Après quoi, s’ils ont l’esprit de synthèse nécessaire pour faire ce métier, ils deviennent très vite metteurs en scène. Sur les deux premières cessions qu’on a eues, on a déjà repéré cinq ou six metteurs en scène qu’on devrait prochainement retrouver sur le grand écran.

J’aimerais que ces ateliers deviennent l’Institut Pasteur du cinéma. Un endroit où on étudie le cinéma de demain, en travaillant avec les toutes dernières caméras et notamment avec les iPhones, car l’avenir du cinéma passe par ces caméras légères.

Le paradoxe, c’est que vous semblez très ouvert aux nouvelles technologies, mais  que vous êtes réfractaire aux nouveaux modes de diffusion, qui ne seront, selon vous, jamais au niveau de la salle.

Actuellement, la télévision a récupéré toutes les inventions du cinéma, et celui-ci a tendance à faire de la télévision. Il est donc important que le cinéma reprenne de l’avance sur la télévision. Il doit redevenir un laboratoire et inventer de nouvelles écritures. La télé nourrit les habitudes des gens ; or, le cinéma doit nourrir leur soif d’aventure, de risque et de surprise. J’ai envie que le cinéma refasse du cinéma pour les écrans géants. Et pourtant, j’ai grandi aussi bien dans les salles que devant la télé, puisque mon père a été un des premiers à avoir un poste de télévision en 1937…

Les séries nourrissent le quotidien des gens, mais vous pouvez changer le metteur en scène d’une saison à l’autre, personne ne s’en aperçoit. La série Columbo, que j’affectionne, a connu un grand nombre de metteurs en scène dont personne n’a retenu les noms, et on ne voyait pas la différence d’un épisode à un autre. Le cinéma mérite autre chose. De nos jours, des cinéastes comme Fellini, Visconti ou Chaplin n’auraient pas la même liberté qu’à leur époque, et je le regrette. Je défends ces grands metteurs en scène qui ont inventé une écriture cinématographique spécifique, et j’espère qu’il y en aura d’autres pour que le cinéma reste le  “grand patron” de l’audiovisuel.

L’industrie cinématographique est au cœur de  problématiques comme la nouvelle chronologie des médias, le renforcement de l’exception culturelle ou la représentation des minorités. En tant que président d’honneur de l’ARP, que diriez-vous des enjeux du moment ?

Un film réussi n’a besoin de rien. Tous les écrans du monde sont à sa disposition. La priorité reste donc de faire des grands films, et mon obsession reste de permettre à de nouveaux cinéastes de faire exister de grands films. Toutes ces chronologies et ces règlements sont surtout nécessaires pour les films boiteux, qui ne sont pas encore au point, mais qui sont importants car ce sont eux qui inventent le cinéma de demain. Il faut préserver tous ces règlements pour alimenter les coups de folie que peut s’offrir le cinéma afin de se réinventer.

Cinquante ans de carrière : le cinéma fait plus que partie de vous et de votre vie…. 

Le cinéma a donné un sens à ma vie. J’en suis tombé amoureux quand ma mère me cachait dans les salles pendant la guerre. J’étais fasciné de voir que tous les gens que je voyais à l’écran étaient les mêmes que je croisais dans la rue mais en plus réussis. Je me suis dit que c’était la vie en mieux et j’ai eu envie d’en faire mon métier. Avec un film, je peux améliorer le quotidien comme je peux le contrarier. Les cinéastes ont le pouvoir formidable de raconter des histoires et surtout, de remédier à l’ennui des gens. J’ai vécu des milliers de vies grâce aux milliers de films que j’ai vus et j’ai vécu 50 vies grâce aux 50 films que j’ai faits. Le cinéma m’a permis de partager avec le plus grand nombre et, parfois, avec le plus petit nombre, mon amour de la vie. J’aime la vie avec tous ses défauts. Ce sont eux les plus cinégéniques et c’est avec eux qu’on fait les plus beaux films. Pour moi, la vie et le cinéma sont complémentaires. Ils se renforcent l’un et l’autre puisque le plus grand scénariste du monde, c’est la vie elle-même.

Vous avez déclaré : “Etre cinéaste, c’est être un homme qui n’a pas peur de sa peur.”C’est-à-dire ?

On éprouve tous ce sentiment naturel qu’est la peur. La vie nous confronte à des questions qui nous font peur, mais si on parvient à la contourner, alors on avance plus vite. J’ai réussi à contourner ma peur en faisant les choses. Dès que j’entre dans l’action, je cesse d’avoir peur. Si je reste sans rien faire, là je peux me faire peur.

 

Comment expliquez-vous la fascination pour le genre humain qui est au cœur de votre œuvre ?

 

Pour moi, le plus beau pays du monde reste le pays où vivent les gens que j’ai envie de rencontrer. Ce qui m’intéresse en France, ce sont les Français. En Italie, les Italiens. En Amérique, les Américains. Le genre humain m’intéresse plus que tout car c’est la dernière invention du grand metteur en scène et elle n’est pas encore au point. On étudie le mensonge, la vérité, l’adultère, l’amour, la haine. On met le genre humain au point et j’aime participer à tous ces réglages.

Ce qui rend votre approche du cinéma si singulière, c’est la  liberté que vous donnez à vos comédiennes et à vos comédiens pour approcher cette quête de la vérité qui vous obsède.

J’ai très vite compris qu’il y avait les figures imposées et les figures libres. Dans mon cinéma, je privilégie les figures libres, car n’importe qui peut user des figures imposées. Il suffit de lire le scénario, les acteurs apprennent leur texte et puis on tourne. Alors qu’avec les figures libres, il faut inventer la vie. J’invite donc la vie à partager ce sens de l’improvisation avec mes personnages. Ce sont ces figures libres que je cultive et qui font la particularité de mon cinéma.

Je traite les acteurs de la même manière que la vie nous traite. Je ne connais pas la date de ma mort, il n’y a donc aucune raison que les acteurs connaissent la fin du scénario. Je ne veux pas qu’ils fassent semblants mais qu’ils vivent le film plus qu’ils ne le tournent. Je tiens à les traiter comme des êtres humains plus que comme des acteurs.

J’aime les parfums de vérité puisque la vérité c’est la boussole de l’humanité. Dans un monde de menteurs et de tricheurs, la vérité a encore plus d’importance. Je pense avoir cette passion de la vérité parce que j’ai été un grand menteur donc je sais de quoi je parle.

 

Vous êtes l’un des rares cinéastes à être également caméraman. Cela vous vient-il de votre ancienne vie de reporter en URSS ?

Le métier de reporter vous apprend à regarder les autres et surtout à ne pas prendre parti. Alors que le jour où vous faites de la mise en scène, vous intervenez dans le destin des gens. Je ne conçois pas un metteur en scène qui ne soit pas caméraman. Tout comme je ne conçois pas un peintre qui ne tienne pas son pinceau. La caméra est l’acteur principal du cinéma. Elle a tourné dans tous les plans de tous les films. J’ai construit toute ma vie de cinéaste autour de cette caméra qui fait partie de mon corps.

Autre particularité : votre incroyable fidélité vis-à-vis de vos collaborateurs et notamment votre compositeur quasi attitré, Francis Lai.

Un film se construit sur un mélange d’irrationnel et de rationnel. C’est ce mélange que j’ai réussi avec Francis Lai et quelques autres compositeurs et qui confère, parfois, un état de grâce au rapport entre les images et la musique. Si on est croyant, on est tenté de penser que la musique, c’est Dieu. Regardez des gens écouter un concert et les mêmes gens écouter un discours politique : ils n’ont pas du tout le même visage !

Juste pour l’anecdote, au moment de la sortie de votre premier film, Le Propre de l’homme, en 1961, les Cahiers du cinéma ont écrit : “Claude Lelouch ! Retenez bien ce nom, vous n’en entendrez plus jamais parler !!!” Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Que les spécialistes sont très spécialisés… Il faut se méfier de ceux qui croient détenir la vérité. Tout ce qui touche à l’artistique est improbable. Je pense que l’imagination est plus forte que le savoir. Or, chez les critiques le savoir est plus important que l’imagination.

Après avoir reçu la palme d’Or, deux Oscars et trois Golden Globes pour Un homme et une femme, les portes d’Hollywood se sont ouvertes à vous, mais vous avez choisi de rester en France. Pourquoi ce choix ?

Je l’ai fait par honnêteté et pour conserver ma liberté. Les producteurs hollywoodiens ont l’habitude de récupérer le succès et ils ont récupéré celui d’Un homme et une femme en espérant que j’allais devenir leur employé en tournant des blockbusters. Même si je reconnais avoir été très tenté le jour où ils m’ont proposé de réaliser un James Bond. Mais dès que j’ai amené mes propositions, ils les ont refusées. Ils tenaient à ce que le personnage conserve sa dimension héroïque, alors que je souhaitais le rendre plus humain et plus faillible. J’ai aussi refusé un film avec Steve McQueen et Marlon Brando. C’est vous dire à quel point j’ai essayé d’être fidèle à moi-même. Alors qu’en allant à Hollywood, j’aurais eu le sentiment de me trahir et de ne pas servir le succès qu’Un homme et une femme m’avait offert.

 Parlez-nous de La vertu des impondérables et de la conclusion que vous souhaitez offrir à Un homme et une femme

J’avais envie de terminer l’histoire d’Un homme et une femme car Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant sont encore là et moi aussi. C’est unique dans l’histoire du cinéma que 52 ans après la sortie d’un film, son metteur en scène puisse retrouver ses deux acteurs. Ce sera une demi-conclusion à cette histoire car les histoires ne se terminent jamais vraiment. Le film s’appellera Les plus belles années car, comme le disait Victor Hugo, “les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues”.

C’est un film qui rendra hommage au cinéma d’hier et d’aujourd’hui mais aussi, d’une certaine manière, à mon père et à ma mère, car Un homme et une femme reste le film qui m’a mis au monde. Tandis qu’avec La vertu des impondérables, je souhaite rendre hommage au cinéma de demain en le filmant intégralement avec un iPhone afin de libérer encore plus le scénario, les acteurs et de filmer encore mieux la vie. J’avais envie de couvrir le passé, le présent et l’avenir avec ces deux films. Et je ferai également Oui et Non, que j’ai dû reporter à cause du vol de mon scénario, mais je le tournerai après ces films-là qui ont décidé de venir avant. D’autant plus que j’aimerais vraiment que ce film serve de conclusion à ma carrière, car il retracera une grande partie de ma vie. Le jour où je le ferai, c’est que j’aurais décidé d’arrêter.

Et l’épilogue d’Itinéraire d’un enfant gâté ?

Le titre en sera Itinéraire de deux enfants gâtés et il sera tourné l’année prochaine. Là aussi, c’est un film que je voudrais finir. Comme trois ou quatre autres de mes films qui ont eu un peu plus de succès que les autres. Je n’exclus pas de conclure Les uns et les autres, ainsi que L’aventure, c’est l’aventure. J’ai envie de savoir ce que sont devenus ces personnages avec le temps qui passe, et de remercier ce temps qui passe et qui me réussit pour l’instant. J’ai envie de faire encore plus de choses qu’avant, étant donné le très peu de temps qu’il me reste. Je suis dans le dernier sprint de ma vie et avant d’atteindre la ligne d’arrivée, j’ai envie de faire deux ou trois folies pour montrer à quel point la vie est trop courte pour qu’elle soit petite.

Propos recueillis par Nicolas Colle

 

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