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Les « Juifs des Montagnes »du Caucase- une histoire méconnue

par Vusala ALIYEVA 

Un héritage historique et religieux empli de fierté

 Moins qualifiés que les Juifs ashkénazes (européens) des grandes villes de Russie, les Juifs des montagnes du Caucase se situent au bas de l’échelle sociale en Israël et sont assez marginalisés. A leur arrivée en Israël, ils connaissent le même destin que les Juifs marocains. Depuis 1980 jusqu’à nos jours, Israël a accueilli près d’un million de personnes originaires de l’ex-URSS et les Juifs anciennement soviétiques forment à l’heure actuelle près de 20% de la population en Israël. Les Juifs des montagnes comptent plus de 100 000 personnes en Israel où ils vivent donc encore relativement en marge dans la société et subissent les clichés véhiculés à leur encontre, ou tout simplement la méconnaissance dont ils sont victimes.

Ils ont conservé leur identité « des montagnes »

Iranophones, ils habitent dans le Caucase oriental – au Daghestan en Russie et en Azerbaïdjan – et se distinguent des Juifs ashkénazes demeurant en Europe. Ces juifs sont descendus des montagnes vers les plaines côtières entre le XVIII et le XIXe siècle mais ont conservé leur dénomination « Juif des montagnes ». Ils se distinguent des Juifs dits « européens » (ashkénazes), qui se sont installés dans les grandes villes du Caucase du Nord (en Russie) et d’Azerbaïdjan (essentiellement à Bakou). Ils sont originaires de villages, parfois même de bourgades et de petites villes, du monde semi-rural. Si certains Juifs des montagnes ont pu s’installer à Bakou, ils ne deviennent pas pour autant des ashkénazes car ils conservent leur identité « des montagnes », tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur communauté.

Lorsque j’ai interviewé Maxime Mardoukhaev, un réalisateur de films demeurant à Paris, la toute première fois pour un media azerbaïdjanais, il s’est présenté ainsi: «Ma mère est la petite fille de Constantin Stanislavsky, comédien et metteur en scène russe, et est l’arrière petite fille de l’écrivain russe Lev Tolstoy. Mon père est un Juif des montagnes. Il est né à Bakou, en Azerbaïdjan.»

La mère arrière petite fille de Tolstoï,le petit frère,le grand’père,la grand’mère, Maxime, le père.

A ce moment-là, ce qui m’importait était d’avoir l’arrière petit-fils d’un écrivain mondialement connu en face de moi: la progéniture de Lev Tolstoy se tenait devant moi! Cependant, lors de notre interview, il a mentionné à plusieurs reprises ses racines paternelles, suivie de souvenirs narrés à la fois d’un ton amusant, à la fois plaisant. : Il aurait était impensable que ma princesse de mère rencontre mon paysan de père ! Papa plaisantait toujours en disant : « Heureusement que je suis passé par là apporter un peu de sang neuf. »

 Qui sont les Juifs des montagnes?

L’origine des Juifs des montagnes reste mystérieuse : selon la légende, ils pourraient être les descendants de la tribu perdue d’Israël ; selon d’autres sources, ils seraient les héritiers des juifs ayant fui l’Iran au XVIIe siècle ou encore, tout simplement, des locaux convertis au judaïsme. Selon certaines sources encore, les juifs des montagnes seraient les descendants des tribus exilées du Royaume d’Israël par le roi assyrien Shalmaneser V au VIIIème siècle avant JC. Selon d’autres toujours, fuyant les persécutions en Perse, les juifs des montagnes se seraient installés dans la région du Caucase et ont été peu à peu coupés de leurs racines persanes au cours des siècles.

Ainsi, aux VIIème et VIIIème siècles, leur nombre augmente dans le Caucase du Nord et sur le territoire de l’actuelle République d’Azerbaïdjan car ils fuient la menace arabe, au sud. Au XVème siècle, les juifs des montagnes acquièrent réellement leur dénomination actuelle en fuyant la côte et les collines, territoires où la guerre, pour les montagnes, entre Perses et Ottomans faisait rage. Elle connaitra ensuite un certain répit et sera même adoubée grâce au khan de Quba, Fath-Ali Khan, qui leur accordera droits et obligations. L’arrivée des Russes au XVIIIème siècle leur permet d’entrer en contact avec les juifs de Russie et de rompre leur isolement.

J’ai sollicité l’arrière petit fils de Lev Tolstoy pour la deuxième fois, mais cette fois-ci, au sujet de ses origines juives. Maxime Mardoukhaev nous raconte: « Il y avait 13 familles de juifs. Quand Moïse a ouvert la Mer Rouge, 12 sont passées, mais la 13ème a pris un autre chemin car elle a senti un danger. Elle s’est cachée dans les montagnes, chez les Perses. Ces gens n’étaient pas des guerriers et ne possédaient pas d’armes, c’était des commerçants et des artisans. A l’époque, il était très dur de survivre dans le Caucase, région habitée par 36 origines ethniques différentes. Les azerbaïdjanais nous ont protégé. Nous sommes reconnaissants à vie envers le khan de Quba, Fath-Ali Khan qui nous a accordé refuge. »

Un îlot juif dans un océan musulman

-photos  exclusives de Nermine Qouliyeva ; on voit le pont.

Surnommée la « Jérusalem du Caucase », Quba reste aujourd’hui encore la principale localité d’origine des Juifs des montagnes en Azerbaïdjan. Appelé « Krasnaya Sloboda » , qui signifie « Village Rouge », est la seule ville – certes il s’agit d’une ville dans la ville – hors d’Israël, entièrement peuplée de Juifs. Ici, les mosquées sont remplacées par des synagogues, les habitants se saluent en disant « shalom » et non pas « salam». Bien que la population soit presque exclusivement juive,  n’oublions pas qu’ils vivent dans un pays où la séparation de l’Église (dans le cas présent il vaudrait mieux parler de la mosquée) et de l’État est rigoureusement appliquée.

 Bel immeuble  de Krasnaya Sloboda

Les deux villes, Guba où habitent les musulmans et Krasnaya Sloboda, la ville des juifs des montagnes sont séparées par un long pont piéton qui enjambe la rivière Qudialchay. Les anciens des deux communautés se retrouvent dans le jardin « Nizami » pour jouer au jeu qui s’appelle  « narde » et boire du thé; symboles de l’harmonie entre les deux villes, entre les musulmans et les juifs.

De nos jours, le fait de voir la ville de « Krasnaya Sloboda » réduite à moins de 5000 personnes peut emplir de tristesse, voire même de ‘inquiétude.

Un sentiment aigu de conscience nationale dicté par un destin compliqué

À l’époque soviétique, la fermeture des lieux de culte et la persécution systématique des croyants poussèrent le sentiment religieux à se retrancher dans l’espace privé. Pendant la période soviétique, victimes de répressions, beaucoup d’entre eux ont changé d’appartenance ethnique en affirmant être « tat » (peuple iranophone vivant en Azerbaïdjan et dans le sud de la Russie). Du temps de l’Union soviétique, les juifs cachaient à leurs enfants leur appartenance ethnique afin que ceux-ci n’aient pas de problèmes durant leurs études ou lors de l’inscription à l’université. Ils modifiaient leurs documents, mais restaient fidèles à leur mode de vie et résistaient, à tout prix, à l’assimilation. À partir de la fin du XIXe siècle, le processus de dépeuplement prit de l’envergure au fur et à mesure des exodes ruraux suivis de déportations quasi totales en Crimée ou en Sibérie orientale par le pouvoir soviétique et, dans le dernier quart du xxe siècle, de départs massifs vers Israël. Avec la transition du début des années 1980 puis avec sa brutale intensification, le processus d’émigration des juifs caucasiens en Israël se renversa.

Les coutumes caucasiennes des juifs montagnards

Les juifs montagnards ont conservé pratiquement intactes leurs traditions. Notamment parce qu’ils étaient très soudés et avaient un mode de vie assez fermé. Les communautés n’ont jamais approuvé les mariages mixtes.

Selon la progéniture de Lev Tolstoy, l’amour fait des miracles selon Maxime: « Mon père était promis a une jeune fille, sa cousine, mais il a pris la liberté d’épouser ma mère qui habitait à Paris et à Moscou. Mon père était le seul membre de la famille à avoir osé briser la lignée. Sa famille aurait pu le renier. Maintenant c’est possible mais avant c’était impossible. D’ailleurs c’est pour ça que je l’adore. »

Comme dans le Caucase, l’hospitalité, surtout envers les étrangers, jouent un rôle très important chez les Juhuros. Ce sont des gens chaleureux, sympathiques et intelligents, qui portent leur identité et leur héritage historique et religieux avec fierté.

Maxime nous fait des confidences : « J’ai toujours eu une seule grand-mère qui s’appelait Salka, on l’appelait Sima. Elle a eu huit enfants. J’adorais venir chez mes grands-parents, car ils étaient très accueillants et chaleureux. Ma grand-mère était ample et ronde comme toutes les femmes qui ont eu des enfants, avec une partie en dessous de son bras qui pendait, c’était son corps, sa chair. Je lui donnais toujours mes joues pour qu’elle m’embrasse. Elle cuisinait bien… La mère de ma mère, la petite fille de l’écrivain russe Lev Tolstoy habitait à Paris. Un jour, ma mère décida de rejoindre sa mère, à Paris. Je ne voulais pas quitter notre maison. Pourquoi partir, où partir? Ce fut un drame pour moi. Le voyage dura deux jours et demi. Dans le train, ma mère nous dit à moi et mon petit frère de bien nous tenir car elle allait nous présenter notre grand-mère. Je ne l’avais jamais vue. Cependant, on parlait assez souvent d’elle à la maison. A l’arrivée du train, sur le quai, ma mère chercha sa mère du regard, caressa la vitre pour lui dire « maman je suis là »…Elle m’a présenté à une dame, elle était belle, magnifique même, mais elle ne pouvait pas être ma grand-mère. Elle était grande, mince, avec un chignon sur la tête et portait des chaussures à talon. Elle portait aussi des diamants. Elle parlait en russe mais différemment de nous: c’était la langue de Tolstoy. J’ai commencé à l’aimer aussi. »

 

Pratiques culturelles caucasienne importées en Israël

Ils sont, actuellement plus de 200 000 dans le Monde. Les juifs des montagnes en Israël maîtrisent très fréquemment le russe, en intégralité lorsqu’ils sont originaires du Daghestan. Ceux originaires d’Azerbaïdjan maîtrisent quant à eux l’azéri et le russe. Les jeunes gens arrivés en Israël dans leur enfance possèdent une très bonne maîtrise de l’hébreu. Mais l’hébreu est rarement la langue utilisée au sein des foyers.

Les foyers captent pour la plupart les chaînes de télévision azerbaïdjanaises et les événements en Azerbaïdjan sont suivis avec intérêt. Certaines pratiques culturelles ont même été importées en Israël. Il y a un groupe de music en azérie et un restaurant azerbaïdjanais tenu par un juif des montagnes originaires de Bakou à Akko.

« Je retourne en Azerbaïdjan avec la joie au coeur, comme le cheval de Karabakh qui galope vers les montagnes, comme les abeilles lorsqu’elles sont attirées par leur ruche. Chaque fois que j’y retourne, je vais au cimetière, qui se trouve sur les hauteurs de Bakou où reposent mes grands-parents. C’est comme un petit bout de chez moi, qui mesure 20 mètre carré et qui m’a été accordé par Dieu. Un endroit d’où, je sais que je ne serai jamais chassé.», nous confie Maxime Mardoukhaev, la gorge serrée mais avec fierté.

Vusala Aliyeva

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