Les nouvelles routes de la soie: immense projet de « réorganisation » de la planète.

Par Tristan Tottet

Mythe ou légende des siècles ?

Les Routes de la Soie font référence à un imaginaire collectif qui relie l’Occident à l’Orient en passant par l’Asie centrale.

C’est celui insufflé par les récits des voyageurs, marchands ou explorateurs, de Fa Xian au Ve siècle à Marco Polo aux XIII-XIVe siècles, du berbère Ibn Battuta au XIVe siècle aux missions des jésuites dès le XVIe siècle.( Rappel: la soie, source de légendes multiples est une invention chinoise longtemps exclusivité gardée secrète.)

Capture d_écran 2018-10-19 à 14.54.14

Au IIe siècle avant Jésus-Christ, l’empire chinois doit faire face à des peuples nomades venant des steppes de Sibérie. Pour contrer cette menace et faire face à cet ennemi, les empereurs chinois ont fait alliance à l’ouest avec le royaume gréco-bactrien- (1). C’est ainsi que les premières Routes de la soie ont vu le jour, afin d’assurer la sécurité territoriale chinoise et du territoire gréco-bactrien.

Pour les Européens, il est difficile de localiser le centre de l’Asie centrale. L’espace eurasien se caractérise comme un espace complexe et longtemps refermé sur lui-même car dominé par des empires.

Cette hétérogénéité de l’Asie centrale est fondamentale pour la compréhension des enjeux actuels. Cette partie du continent eurasiatique se trouve être le carrefour des Routes de la soie, ainsi qu’une zone de convoitise et de sphères d’influence.

Capture d_écran 2018-10-18 à 11.45.18Les ruines de Merv au Turkménistan, jadis point de jonction des caravanes

Sur le seul plan culturel, ces vastes mouvements d’ouverture et de fermeture, volontaires ou imposés, font partie de la longue histoire du continent eurasien, avec comme têtes de pont l’Europe d’un côté et la Chine de l’autre. Cette interaction entre les peuples a permis une diffusion religieuse, le zoroastrisme dans la région persique ou le bouddhisme en Chine. C’est aussi un vecteur culturel, la diffusion de l’art gréco-bouddhique du Gandhara(2), avec l’expansion des techniques chinoises de l’acier ou bien encore la diffusion du papier vers l’Europe.

Le XVe siècle est marqué par la disparition des premières Routes de la soie. En une période réduite, cet effacement s’explique en même temps, par le repli sur soi chinois après les expéditions maritimes de Zheng He au XVe siècle et par la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb en 1492.

Pendant cinq siècles, l’expression de Routes de la soie disparaît. Elle ne réapparaît qu’en 1979, dans le contexte des réformes économiques en Chine engagées par Deng Xiaoping et en Europe avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.

 Les caractéristiques des Nouvelles Routes de la Soie .

La fin de la Guerre Froide permet un désenclavement de l’Asie centrale. En 2013, Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, arrive au pouvoir et lance une initiative connue sous l’appellation » les Nouvelles Routes de la soie ». Le projet se base sur la définition originelle : faire du commerce de marchandises de l’Asie vers l’Europe avec comme centre nodal l’Asie centrale à travers un réseau complexe de lignes de chemin de fer et de routes navales.

Capture d_écran 2018-10-18 à 11.28.34

Après la crise financière qui a secoué le monde avant et au début des années 2010, les États-Unis restent la première puissance mondiale, mais la Chine, seconde puissance économique mondiale et première détentrice des bons du Trésor américains gagne de plus en plus d’influence.

Ce nouveau statut lui permet  d’affirmer sa puissance financière et de lancer des investissements massifs en Asie centrale, zone traditionnellement considérée par les grandes puissances comme un Heartland.

Les Nouvelles Routes de la soie se développent autour d’une ceinture terrestre et maritime qui doit relier la Chine à l’Union Européenne.

Capture d_écran 2018-10-13 à 18.19.05

Concrètement, elles s’organisent avec une série d’investissements dans des projets ferroviaires, autoroutiers, portuaires ou énergétiques, avec à la clef, la création de parcs industriels ou de zones franches en Asie, en Europe centrale et au Moyen-Orient, qui s’élèvent à plus de 1 000 milliards de dollars.

La Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme (CNDR), le ministère chinois des affaires étrangères et le ministère chinois du commerce, ont publié en mars 2015 en France le document Vision et Actions. Il souligne la vision précise de Beijing dans le développement des Nouvelles Routes de la soie. Toutefois, elle est encore à l’état de projet même si celui-ci semble s’accélérer. D’après les prévisions officielles chinoises, le projet est au milieu de la phase 2.

Pour mémoire, la phase 1, de 2013 à 2016, a été l’émergence d’une classe moyenne chinoise. La phase 2 correspond à la mise en œuvre des Routes de la soie et a débuté en 2016. Cette phase doit se terminer en 2021. Ensuite pour 2035, la République populaire Chine doit avoir fini sa phase de modernisation pour qu’à la célébration de son centenaire en 2049 elle soit une nation puissante, riche et ancrée au sein du reste du continent eurasien. Le résultat doit être, sauf imprévu, un marché intégré de 4,5 milliards de personnes utilisant pour la plupart leurs monnaies locales pour les échanges bilatéraux et multilatéraux.

Les conséquences des Nouvelles Routes de la Soie pour l’Eurasie ?

Actuellement, l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie regroupe 65 pays qui représentent 60% de la population et environ le tiers du PIB mondial.

Pour être à la hauteur des prétentions du projet, Beijing s’est aussi lancé dans la création d’une grande banque d’investissement : la Banque de développement de Chine. A elle seule, elle dispose d’une réserve de plus de 800 milliards d’euros d’investissements qui peuvent financer jusqu’à 900 projets. Les autres bailleurs de fonds du projet sont au nombre de trois : la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, la Nouvelle Banque de développement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine Afrique du Sud) et le Fonds de la Route de la soie.

Par cette explosion des projets, le géant chinois cherche aussi à rendre plus sûr son approvisionnement en matières premières en maîtrisant l’acheminement de ses produits vers ses principaux marchés, particulièrement l’Europe, et en mettant en place un système monétaire régional dominé par la monnaie chinoise, le yuan.

Les Nouvelles Routes de la Soie entrent dans une volonté d’intégration transcontinentale en faveur de Beijing. Les corridors de développement et d’intégration doivent prospérer. Ces corridors passent normalement par l’Asie centrale et la Russie. Cette route terrestre est complétée par une route maritime. Celle-ci doit relier une trentaine de ports au départ de la mer de Chine en passant par le Golfe du Bengale, la côte orientale de l’Afrique et le canal de Suez pour arriver en Méditerranée.

Le principal corridor économique correspond à un axe Chine, Asie centrale et Europe occidentale. Il part de la région autonome ouïgoure ( peuple turcophone et sunnite) au Xinjiang, et relie le réseau ferroviaire d’Asie centrale, jusqu’à la Péninsule arabique et au littoral méditerranéen. Il traverse cinq pays d’Asie centrale : le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan, un pays du Moyen-Orient, l’Iran ainsi que la Turquie.

Des infrastructures complètes

Toutefois, le projet chinois développe d’autres axes comme par exemple celui de la péninsule indienne. Cela se traduit par la création d’un corridor qui raccorde la région Xinjiang en Chine au port en eau profonde de Gwadar au Pakistan.

En plus du projet ferroviaire sont englobés également plusieurs projets de développement d’infrastructures, tels que des gazoducs, oléoducs et un réseau de télécommunications.

Capture d_écran 2018-10-13 à 18.24.00

Theory de  sir Mackinder (1861_1947)

L’initiative chinoise s’intègre au sein d’un espace transnational, s’inscrivant dans la volonté de création d’un espace commun. Pour comprendre l’importance géopolitique de l’espace eurasiatique, il faut revenir à la théorie du Heartland de Mackinder. Ce dernier en 1904, a soumis un article à la Royal Geographical Society intitulé The Geographical Pivot of History, dans lequel il formule cette fameuse théorie, qu’il résume plus tard par une anaphore :

« Qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle l’Heartland, qui contrôle l’Heartland contrôle l’Île Monde, qui contrôle l’Île Monde contrôle le Monde. »

Au XXIe siècle, cette théorie trouve un écho dans la relation sino-russe.

C’est pourquoi en 2015, la déclaration commune de Xi Jinping et du président russe Vladimir Poutine est importante. A cette occasion, le président russe a exprimé sa volonté de coordonner l’Union économique eurasiatique dont la Russie est le chef de file, avec la ceinture économique chinoise. Il a noté que la Russie détient 6% des parts de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, ce qui la place à la troisième place des investisseurs.

Cette bonne entente entre la Russie et la Chine se constate encore aujourd’hui avec la participation, de Xi Jinping au Forum économique oriental qui se tient annuellement à Vladivostok dans l’Extrême-Orient russe. Cette visite du dirigeant chinois dans le forum de prédilection de Poutine renforce le message selon lequel les deux dirigeants veulent renforcer leurs liens malgré un isolement russe en Europe.

Tristan Tottet

1-Les royaumes gréco-bactriens ont été formés par des souverains hellénistiques dans la partie de l’Asie conquise par Alexandre.

2° Gandahara : région antique du nord du Pakistan, haut-lieu de l’Art gréco-boudhique.

Le deuxième volet vous sera offert le WE prochain. La situation décrite s’élargit cette fois plus précisément à l’Europe sous le titre : La Chine et l’Union Européenne, un mariage de raison?

Catégories :Non classé

Tagué:, , , ,

1 réponse »

Laisser un commentaire