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Mer Caspienne: émergence d’une nouvelle zone stratégique

Par Vusala Aliyeva

Doit-on s’attendre à des péripéties après le consensus sur la mer Caspienne ( du 12/08/2018)

 

Les bouleversements géopolitiques intervenus au cours du XXe siècle obligent la géographie à redessiner le monde. Le découpage planétaire auquel nous nous sommes habitués, auquel l’Europe a contribué largement depuis des siècles, devient de moins en moins pertinent  laissant sa place à l’Asie ou à l’Eurasie qui surgit, conséquence de l’issue de la lutte entre deux puissances, guerre froide américano-soviétique et de la transformation du Tiers Monde. L’émergence de nouveaux pays industrialisés est surtout devenue un phénomène asiatique.

 CASPIENNE, un peu de géopolitique

Avec une superficie de près de 400 000 kilomètres carrés, la mer Caspienne est la plus grande étendue d’eau continentale du monde. La Caspienne, outre qu’elle occupe une position stratégique, recèle des hydrocarbures en quantité et le meilleur caviar du monde. Elle recèle, selon les estimations, près de 50 milliards de barils de pétrole et 300 mille milliards de mètres cubes de gaz.

À la suite de la conquête russe du Caucase et de l’Asie centrale, la Caspienne s’est transformée au XIXe siècle en une mer russo-persane. Implanté en Inde, le Royaume-Uni a tenté à la fois de s’imposer et d’empêcher la progression russe vers les mers chaudes. Le « Grand Jeu » désignait les luttes d’influence entre les empires russe et britannique pour contrôler les Indes ainsi que l’Asie centrale.

La base juridique du statut de la mer Caspienne était définie par le traité soviéto-iranien de 1921 et le deuxième traité de 1940 confirmait cet accord en définissant la Caspienne comme « une mer soviétique et iranienne ». L’éclatement de l’URSS avec l’apparition de trois nouveaux Etats riverains l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan, a bouleversé la donne dans cette région.

 

Caucase et Asie Centrale: « indispensables partenaire »?

Après plus de 25 ans d’hésitation, on a enfin un statut pour la mer Caspienne qui permet d’avoir une harmonisation à la fois sociale, en terme de droits de douane et fiscale. De plus, le commerce est libre entre les deux rives de la mer Caspienne.

Selon le Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, Emmanuel Dupuy « C’est une heureuse façon de montrer que l’ensemble des pays riverains partagent cette richesse de manière équilibrée ».

Il est cependant possible de distinguer deux types de réussites pour chacun des pays : d’un côté il y a ceux qui en tireront un véritable bénéfice économique et de l’autre ceux pour qui l’accord politique et diplomatique prime sur l’économie.

« Si nous examinons cet accord à partir du principe de la division des fonds marins en secteurs, le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan sont des pays qui en tirent le plus d’avantages, car leurs secteurs sont plus riches en pétrole et en gaz » estime Stanislav Pritchin, le chef du groupe d’analyse du centre de recherche sur l’Asie centrale et le Caucase de l’Académie des sciences de Russie.[1]

De son côté le vice-ministre des Affaires Etrangères de l’Azerbaïdjan, Khalaf Khalafov estime que l’Azerbaïdjan a joué un rôle important dans la signature de l’accord historique sur le statut de la mer Caspienne, le 12 aout de cette année, grâce à sa capacité à établir des relations bilatérales et multilatérales avec d’autres États riverains de la mer Caspienne, fondé sur la confiance mutuelle, la dialogue et l’amitié. « Le projet conceptuel de l’accord sur le statut juridique de la mer Caspienne, a été élaboré et présenté à d’autres parties par l’Azerbaïdjan. Ce facteur a joué un rôle exceptionnel dans la définition de l’objet des négociations , à l’époque. En outre, la base des principes fondamentaux de l’accord a été élaborée en 2010, le 18 Novembre à Bakou au cours du Troisième Sommet des Etats riverains de la mer Caspienne ».

LA RUSSIE, VAINQUEUR « POLITIQUE »

Les présidents Aliyev ( Azerbaïdajan), l’Iranien  Rohani, Berdimuhamedov (Turkménistan), Poutine  (Russie),Nazabaief ( Kazkhstan)

Le Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, Emmanuel Dupuy estime que la Russie a renforcé son image en tant que figure diplomatique internationale capable de concessions pour résoudre des problèmes existant depuis plusieurs décennies.

Le Kremlin a fait des concessions à ses voisins et souhaite avant tout montrer qu’il est initiateur de stabilité dans cette région. Une image qui lui faisait défaut depuis les crises géorgienne (2008), ukrainienne (2014) et syrienne (2011-2018). De plus, face à Pékin qui étend son influence en Asie centrale via les « Nouvelles routes de la soie », Moscou assume avec cet accord un leadership régional.

L’IRAN, GRAND PERDANT DE L’ACCORD ?

Autrefois, la Caspienne était un lac intérieur appartenant à la puissance perse. Plusieurs défaites militaires au XIXème siècle contre l’empire russe, ont fait perdre à l’Iran cette domination sur la plus grande mer fermée du globe. Cette situation s’empire aujourd’hui. En effet, Téhéran récupère la plus petite zone de la Caspienne.

Pourtant, tout n’est pas perdu. Cet accord intervient dans une période de fortes tensions suivie des sanctions américaines. Le gouvernement iranien a besoin de renforcer ses relations régionales. C’est le résultat obtenu au sommet du 12 août. Cet accord a été l’occasion pour l’Iran de négocier de futurs projets communs avec l’Azerbaïdjan. Alors que l’Iran a par le passé montré certaines « autorités impérialistes » vis à vis de cette région de la Caspienne, le gouvernement de Téhéran accepte aujourd’hui une concession dont on ne le croyait pas capable.

L’émergence de la nouvelle zone stratégique et l’Europe

 

En plus de réglementer les richesses de la Caspienne, la convention prévoit également « le respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale … ainsi que le « non-recours à la force ou menaces de force » sur ses eaux. Il est admis désormais qu’aucune puissance étrangère ne pourra avoir de base ou de vaisseau militaire sur la mer Caspienne. Cela signifie qu’aucun navire américain ou de l’Otan ou autre ne viendront perturber le contrôle de la sécurité de la mer Caspienne. Lors de la cérémonie de la signature de l’accord, le Président russe Vladimir Poutine a plaidé pour une plus grande coopération militaire entre les pays de la mer Caspienne afin d’«assurer la paix» dans la région. «La mer Caspienne n’appartient qu’aux pays de la Caspienne», a immédiatement salué le président iranien Hassan Rouhani.

S’il est possible de se réjouir de l’entente régionale entre les cinq pays riverains de la mer Caspienne, il n’est pas sûr que cet accord favorise les intérêts des États européens et le développement d’une influence européenne dans cette partie du monde. (*NDLR )

Selon Emmanuel Dupuy « Le statut de la mer Capsienne est un exemple symbolique d’une vraie vision intégrée sub-régional qui consiste à dire qu’au moment où l’organisation internationale de Shanghai s’élargie, l’Iran est, quasiment, en train de devenir le neuvième membre de l’organisation. Au moment où « la Nouvelle Route de la soie » englobe ou enchâsse toute la projection de la puissance de la Chine, il confirme l’intérêt de la Russie d’avoir elle-même, une vision eurasienne ».

On voit bien qu’une nouvelle zone d’intérêt stratégique, au niveau planétaire, est en train d’émerger. Cette nouvelle configuration engendre une convergence d’intérêt diplomatique entre l’Iran – la Russie et entre la Turquie – la Russie. Cela est observable, également, au travers du consensus Astana. La nouvelle lecture des relations internationales induit que ces dernières se jouent moins autour du lac Atlantique, et davantage sur le continent Asiatique.

 

*L’organisation internationale de Shanghai : 3,2 milliards d’habitants,( Chine, Inde, Russie, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Ouzbékistan et lPakistan ; 37,5 millions de km², 37 200 milliards de dollars de PIB (PPA), 5,6 millions de militaires….(ndlr)

 

Une prime, pour la beauté.

Vusala Aliyeva

 

[1] Agence de presse azerbaïdjanaise « Report »

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