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« De quoi l’Alsace est-elle le nom? » On s’interroge sur son avenir…

Par Alain Howiller

En publiant « De quoi Sarkozy est-il le nom » le philosophe , romancier et dramaturge Alain Bourdieu espérait bien un succès en librairie et de fait il a vendu, en octobre 2007,date de sortie de l’ouvrage, 3.000 exemplaires en 4 jours, près de 30.000 exemplaires par la suite. Mais il ne pensait certainement pas que son  titre « De quoi…. » retiendrait  l’attention au point de se retrouver, nouvelle formule à la mode pour tous ceux qui écrivent et discourent, qui en assaisonnent leurs écrits  et discours à travers médias et conférences. Au moment où s’engagent à nouveau des réflexions sur l’avenir institutionnel de l’Alsace au sein de la région Grand Est – le gouvernement a été  clair là desssus-, je n’hésite pas à utiliser , à mon tour, la formulation devenue familière grâce à   Bourdieu: « De quoi l’Alsace est-elle le nom? »

Des sondages troublants

Selon les résultats d’un sondage  réalisé par l’IFOP pour le compte de trois organisations et mouvements(1) 83% des consultés se déclaraient favorables à la mise en en place d’une nouvelle entité politique institutionnelle alsacienne,34% manifestaient de l’incompréhension à l’égard de la fusion au sein du Grand Est tandis que 29% marquaient de la colère et 25 % se déclaraient indifférents.

Des données qui soulignent que la fusion au sein du Grand  Est continue de poser problème pour les Alsaciens au grand dam de leurs partenaires au sein du  Grand Est. Ces derniers commencent  à trouver des relents désagréables à la remise en cause par les Alsaciens et la plupart de leurs leaders politiques de la cohabitation et de l’intégration  au sein de la structure régionale de dix départements  qui n’avaient jusque là peu de  contacts entre eux!

Un « Grand Est » pour un référendum perdu ?

Pourtant des structures équilibrées ont été mises en place par la Région ; d’ambitieux programmes (notamment économique) ont été lancés ; les associations , notamment sportives se sont adaptées comme les compagnies dites « consulaires (Chambres de Commerce et d’Industrie, d’Agriculture, de l’Artisanat) ; les entreprises n’ont pas rejeté la réforme.

Mais les élus , les collectivités leurs mandants électeurs n’y ont pas réellement adhéré réclamant que l’Alsace retrouve une image, une structure institutionnelle qui lui permette de s’exprimer « sui generis » au sein d’un  Grand Est fédérateur. D’aucuns réclament un nouveau referendum  sur la future structure. Force est de constater que le referendum de 2013 lancé par l’ancien  Président du Conseil Régional d’Alsace, Philippe Richert soumettant aux votes un  projet de fusion des deux départements alsaciens a été perdu de peu (2) parce que la participation a été trop faible pour valider le résultat  et que les responsables politiques ne se sont « guère mouillés la chemise » pour faire adopter le projet à un an d’élections municipales difficiles!

Philippe Richert , l’organisateur du référendum raté ,reprendra sa copie et finira par  devenir président du Conseil Régional du Grand Est! Autre opposant notoire au Grand Est, Jean Rottner, alors Maire de Mulhouse, deviendra lui aussi Président du Grand Est aprés avoir, en 2014, lancé  une pétition (55.000 signataires) pour le maintien de l’Alsace et avoir déclaré : « Une région allant de la région parisienne au Rhin, c’est inconséquent , incohérent et inefficace. » Pour conclure son « évolution » vers la Grande Région, il a publié, récemment, un communiqué dénonçant le « Grand Est- Bashing : « Oui le territoire est grand, oui les distances sont importantes, oui, nous travaillons et nous nous déplaçons »

 

Pour  apporter une touche supplémentaire permettant de mieux comprendre les enjeux, la situation colmarienne est révélatrice: le maire de  Colmar et son entourage ont été des opposants actifs, la cible étant les menaces que la fusion  risquait de faire peser  sur le rôle de la ville. On en appelait au retour de la Décapole, union de villes alsaciennes créée (selon les partisans  de cette thèse) au XVIIème. siècle contre Strasbourg ; on évoquait la perte de la Préfecture, de la Cour d’appel menacée comme le fut le Conseil Souverain  d’Alsace, juridiction et « parlement régional » créé par Louis XIV et supprimé  à la Révolution. Pourtant « Le Conseil aurait eu , sans contredit plus d’importance , de force et de renommée s’il avait été placé à Strasbourg » écrira  un historien(3).

Le Premier Ministre et le « désir d’Alsace »! 

Ce qui, même dans un contexte trouble et peut être en raison même de la situation, a amené le Premier Ministre Edouard Philippe à essayer de prendre en compte le « désir d’Alsace ». Il charge le Préfet de Région, Jean Luc Marx, d’une réflexion sur le devenir institutionnel des deux départements du  Rhin et  ce dans le Cadre de la réforme territoriale, ayant créée le Grand Est! Le rapport du Préfet Marx présente diverses hypothèses dont aucune pourrait bien ne pas être retenue puisque Edouard Philippe a chargé Jacqueline Gourault, Ministre auprès du Ministre d’Etat Ministre de l’Intérieur, d’une nouvelle concertation des intéressés alsaciens et de déposer des conclusions qui  permettront au gouvernement de prendre une décision en octobre.

Le Premier Ministre a donc gagné un peu de temps et s’est donné de ce fait quelques semaines  pour prendre de la hauteur par rapport aux pressions qui, depuis les rives du Rhin, s’exercent de toute part .La concertation permettra-t-elle de trouver une synthèse entre ceux qui voudraient  un département  fusionné avec des pouvoirs spécifiques et un statut particulier (position des Présidents des Conseils départementaux du Bas Rhin  et du Haut Rhin),ceux qui voudraient une solution à la  » lyonnaise » (fusion des départements et de l’Eurométropole Strasbourg dans une nouvelle collectivité),ceux qui souhaitent un grand département aux compétences renforcées notamment dans les relations transfrontalières.

 

De quoi demain  sera-t-il fait? 

Toutes les solutions réclament une concertation et un rapprochement entre les acteurs: les représentants de l’Etat, le Président du Conseil Régional ,les présidents des départements, les responsables des collectivités, les représentants de la société civile. Jacqueline Gourault aura  connu et connaîtra encore des semaines chargées. Ce qui a échoué en 2013 réussira-t-il en 2018? La solution retenue sera-t-elle soumise à un nouveau referendum? Que deviendront les présidents et élus actuels des départements (combien seront-ils?), quels pouvoirs, quelles compétences (en  matière d’économie ou de tourisme notamment),quels moyens?

De quoi l’Alsace sera -t-elle le nom? La seule indication qu’on ait, se trouve dans la lettre que le Premier Ministre a envoyé aux parlementaires alsaciens pour leur annoncer la suite donnée au rapport du Préfet Marx: « J’envisage une option de rapprochement des deux départements dans un département unique, lequel se verrait  confier par l’Etat ,dans le cadre du pouvoir de différenciation prévu par la réforme constitutionnelle , des compétences nouvelles compte tenu de son  caractère transfrontalier ».

Compte tenu des échéances électorales (élections municipales en 2020,départementales et  régionales en 2021 ) qui impacteront départements et régions, la solution  devra être mise au point  au plus tard à l’automne 2020.Pour reprendre le titre d’une émission de télévision d’Outre Rhin: »Deal or not deal? »

Alain HOWILLER.

 

(1)Sondage commandé par Initiative citoyenne Alsacienne (ICA),Club Perspectives Alsaciennes (CPA) et Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle(CUBI) .

(2)le référendum eut lieu -on s’en souvient- le 7 Avril 2013. Il donna  une majorité(57,65%) de « oui » favorable à la fusion ,mais ne réussit pas à réunir le pourcentage requis d’électeurs pour pouvoir être validé.

(3) « Histoire du Conseil Souverain d’Alsace »par MM.PILLOT,Président de la de la Cour Impériale de Colmar et de NEYREMAND,Conseiller à la Cour.-Editeur « Paris Durand »-1860 .

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