Par Vusala Aliyeva, journaliste azerbaidajanaise, docteur en sciences sociales( Sorbonne)
Dans un pays musulman et laïc. Qui l’eût cru ? Qui le sait?
Un recours rapide à la philosophie ( sociologie politique)
Parité, égalité, liberté… sont des mots courants mais qui revêtent un sens profond en tant qu’objets de mouvements sociaux, de lutte acharnée, de résistance sociale… En effet, les discriminations à l’égard des femmes, que cela soit dans la sphère privée ou la sphère publique constituent un phénomène quasi universel dans le monde bien que les formes diffèrent selon les pays. Ainsi, dans le monde contemporain, l’idée qu’une femme ne jouisse pas d’un droit de vote du fait de son genre apparait, le plus souvent, dans les représentations collectives, comme aberrante car jugée discriminante notamment dans les sociétés européennes. Pourtant, ce droit qui nous semble fondamental et bien-fondé résulte d’une plus ou moins longue lutte, selon les pays, parfois très virulente, parfois jugée inadéquate… Aujourd’hui encore, dans certaines sociétés, cette lutte n’est toujours pas terminée ou l’est de manière récente. A titre d’exemple, on peut citer l’Arabie Saoudite où les femmes ne disposent toujours pas de ce droit de vote. Quoi qu’il en soit, force est de constater que même si le droit de vote est largement répandu à travers le monde, les femmes sont encore trop souvent évincées de l’échiquier politique et ce, quelque soit le régime politique en vigueur. L’Etat azerbaïdjanais s’illustre en la matière dans la mesure où il fait partie des premiers pays à octroyer ce droit à ses citoyennes, au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Un pays pionner en matière de droit de vote des femmes.
Cette superbe statue de la » femme libérée » enlevant son voile se dresse sur une grande place de Bakou.
Le 28 mai 1918, dès la proclamation de la première République démocratique azerbaïdjanaise, l’Etat a instauré le droit de vote pour les femmes, devançant ainsi la France sur ce point car il a fallu y attendre 1944 pour l’institution de ce droit. A l’époque, pour mettre en place un cadre juridique viable, le pays s’était fortement inspiré des institutions occidentales. Le Parlement national avait été créé, des droits pour les libertés individuelles avaient été garantis, mais surtout, le droit de vote pour les femmes a été institué. Ce qui n’allait pas de soi étant donné qu’il s’agit d’un pays musulman. L’absorption par l’URSS en1920 n’y a rien changé.
(Les soviétiques avaient instauré le vote des femmes dès 1917 NDLR)
L’Azerbaïdjan, un pays épargné par le virus du fondamentalisme musulman
L’Azerbaïdjan fait preuve d’originalité en étant à la fois état musulman et état laïc, un pays hybride, à la fois occidental et oriental. En effet, si sa population est essentiellement de confession musulmane, son mode de gouvernement est laïc et séculier. Ce qui en fait un pays très attaché au caractère laïc de l’Etat et à la tolérance religieuse , à l’inverse d’autres pays, car l’Etat et la religion sont strictement séparés. Les communautés musulmanes, chrétiennes et juives, y cohabitent pacifiquement.
S’agissant de la composition de sa population, celle-ci est une véritable mosaïque de peuples . Si elle est en grande partie composée d’Azéris, les groupes minoritaires sont très nombreux. A coté des Azéris, on compte les Lezguiens, les Russes, les Ukrainiens, les Géorgiens, les Arméniens, les Talishs, les Avars, les Turcs, les Tatars, les Tsakhours, les Kurdes, les Tats, les Oudines, les Khinalugh, les Ingiloys, les Haputs, les Dzheks, les Kirgizs, les Bascals et… les Juifs.
Un pays, objet de beaucoup de fantasme et de convoitise ?
Pétrole et caviar …on comprend…..
L’Azerbaïdjan, comme nous venons de le souligner, est un pays avec une population hétéroclite mais pacifique. Ces contrastes participent en outre à sa mise en valeur économique, géostratégique et culturelle.
On surnomme également ce pays qui se situe entre l’Europe et l’Asie « la terre de feu » car il dispose d’une histoire riche datant de milliers d’années et qu’il existe un feu naturel, qui l’illumine en surgissant mystérieusement de la terre. Alexandre Dumas l’avait compris en parlant « des feux de mer ». Ainsi le premier puits de pétrole au monde fut creusé près de Bakou, en 1848, soit dix ans plus tôt qu’aux États-Unis. Ce qui explique aussi que l’Azerbaidjan fasse l’objet de convoitise de la part de ses voisins qui aimeraient le tailler en pièces pour en acquérir des parties.
La rôle des médias dans l’émancipation des femmes en Azerbaïdjan
La presse azerbaïdjanaise à la fin du XIX et début du XX siècle, avait une tâche extrêmement difficile, notamment celle d’inciter les femmes à participer à la vie publique. Les intellectuels éminents de l’Azerbaïdjan ont essayé d’influer sur la pensé publique en leur expliquant leurs droits et responsabilités; les journalistes et les publicistes ont suggéré que “si les femmes ne sont pas libres en tant qu’individus, leurs problèmes resteront non résolus”.
Şərqi-Rus”, “Həyat”, “Səda”, “İrşad”, “Tərəqqi”, “Kaspi”, “Füyuzat”, “Molla Nəsrəddin”, “Dirilik”, “Zənbur”, “Tuti”, “Babayi-Əmir” sont les journaux et les magazines de l’époque qui ont régulièrement publié des articles concernant les problèmes des femmes.
Au début du XXe siècle, l’accès limité à l’éducation était l’un des principaux problèmes auxquels étaient confrontées les femmes azerbaïdjanaises. Haji Zeynalabdin Tagiyev a fondé l’école des filles de Bakou en octobre 1901. Le journal “Kaspi” a publié un article intitulé « L’éducation des femmes parmi les musulmans » par Ahmad bey Agayev sur cet événement remarquable où il écrivait « l’éducation, la science, le renseignement sont des armes qui manquent aux femmes et nous devons fournir ces armes”. Le jour de la grande ouverture de l’école – 7 Octobre 1901, l’appui a cette initiative a été salué par Cheikh ul-Islam Akhundov et publié dans “Kaspi” en citant les propos du prophète Mohamed :“l’apprentissage est obligatoire pour les femmes autant que pour les hommes » soulignant ainsi que la religion ne restreint pas les droits des femmes.
Les efforts des éminents intellectuels de ce pays ne sont pas passés inaperçus
Des femmes en Azerbaïdjan ont réussi très rapidement à faire partie de la vie publique. En ce sens, un journal des femmes, intitulé “İşıq”, qui avait l’objectif d’aborder les problèmes des femmes et les rendre publics, a vu le jour. Le journal “İşıq” a mobilisé tous les citoyens afin de protéger les droits des femmes et d’y sensibiliser la population. Les auteurs du journal “İşıq” ont également participé à la création de l’égalité des droits électoraux (Halima Akhundova), des associations féminines (Munevver Alikhanova) et des organisations féminines patriotiques (Hayatkhanim Chaygyragli).
A la fin du XIX – début du XX siècle, les femmes émancipées ont institué, dans ce nouveau contexte, de nouvelles relations de genre. Elles ont apporté un soutien inestimable à la fondation des différents groupes des femmes actives grâce à l’organisation d’événements de charité, d’écoles pour les femmes, de club des femme etc. Surtout, ce sont les femmes des classes supérieurs qui ont, en premier, initié la lutte au nom des droits des femmes. Elles se sont vite rendues compte que pour jouir des droits égaux au sein de leur famille ou dans la société, elles doivent s’instruire et assurer leur indépendance économique.
Azizbekova, S.Efendiyeva, M.Bayramalibekova, R. Azimzade qui ont obtenu leur diplôme dans des Universités étrangères et par là, ont cherché à aller au-delà du cadre de la sensibilisation et de la charité en essayant de développer une activité politique. De ce fait, l’Azerbaïdjan a été le premier pays du monde musulman à lutter pour les droits des femmes au début du XXe siècle. Ce mouvement social était dirigé par les femmes qui avaient une éducation laïque dans les pays européens. Aghabaji Rzayeva était la première femme ayant reçu une éducation musicale professionnelle en Azerbaïdjan et en Orient, Shafiga Akhundova était la première chanteuse d’opéra en Orient.
A Bakou, la nuit: Orient ou Occident ?
Participation des femmes aux élections des commissions alimentaires régionales, première étape.
En 1917, Behbud Agha Shahtakhtinskiy avait adressé une lettre officielle au Comité Exécutif des Organisations publics des musulmanes de Bakou, suggérant la participation des femmes musulmanes aux élections des commissions alimentaires régionales. D’après le journal “Kaspi”, lors de la réunion de l’Organisation de la charité des femmes musulmans, madame Peri Topchubashova avait solennellement déclaré que les femmes allaient participer aux prochaines élections des commissions alimentaires et que ils ont besoin de 50 employées féminines pour assurer le bon déroulement des élections. De nombreuses personnes se sont montrées sceptiques quant à la participation des femmes aux élections. Cependant, le jour du scrutin, les mosquées étaient pleines des femmes voilées, qui se sont présentées aux élections. Selon les estimations, 11 000 femmes ont voté dans quatre bureaux de votes. Des femmes nommées par l’Organisation de la charité des musulmans de Bakou expliquaient aux électrices les règles de vote. Cela a marqué le début de la participation des femmes à la vie politique de la République Démocratique d’Azerbaïdjan.
Aujourd’hui le code du travail azerbaïdjanais s’est doté d’une série d’articles renforçant la protection des droits des femmes
Depuis une vingtaine d’année, la République caucasienne a entamé un véritable processus de modernisation et s’est fixé comme objectif le respect des valeurs du Conseil de l’Europe, qu’elle a intégrées en 2001. Au cours des 22 dernières années, l’Azerbaïdjan a adopté 72 lois concernant les femmes et a signé 87 conventions internationales.[1] Le Parlement a adopté en 2006 une loi sur l’égalité des genres, en insistant sur l’aspect égalité des chances lors des recrutements, des promotions et des salaires. Le Parlement a également adopté la loi interdisant la violence conjugale. Le code du travail azerbaïdjanais renforce la protection des mères qui travaillent, en rendant plus flexibles les horaires et en prévoyant des congés spécifiques.
Les femmes en Azerbaïdjan sont de plus en plus nombreuses à avoir un emploi., notamment dans le secteur privé, où elles sont mieux représentées, dans des secteurs comme les RH, la communication ou encore les services. Le nombre des femmes qui obtiennent leur permis de conduire “transport en public” est en constante augmentation, dans ce pays musulman laïc.
Vusala ALIYEVA, journaliste. Notre collaboratrice devant le COE, à Strasbourg.
[1] Discours du député du parlement azerbaïdjanais Hadi Rajabli lors d’un Conference consacré à l’égalité hommes/ femmes et à la santé des femmes organisé par Euronest Assemblé Parlementaire
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