Biologie

Irlande. L’IVG légalisée mais encore du chemin à parcourir

Par Eloïse Lehmann, stagiaire

Une réforme constitutionnelle longtemps espérée

Le 25 mai 2018, L’Irlande a décidé par référendum de modifier sa Constitution.

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Le huitième amendement (dérisoire concession autorisant l’avortement en cas de risque substantiel pour la vie de la mère) n’avait jamais fait l’unanimité et le Conseil des ministres du 29 janvier 2018 a décidé d’en soumettre le changement au vote du peuple.

Par cette décision, il permet à l’Oireachtas (Parlement bicaméral) de légiférer sur l’interruption volontaire de grossesse en toute régularité juridique.

En effet, l’amendement en question stipulait que l’enfant avait un droit de vie égal à celui de la mère, aussi était-il impossible d’avorter quelles que soient les circonstances. En 1992, deux référendums avaient été organisés pour autoriser les voyages à l’étranger pour recourir à l’avortement et d’avoir accès à une information sur l’avortement plus généralement. En 2013 la loi précitée ci-dessus est adoptée : elle ne permet qu’environ vingt-cinq avortements par an.

Le viol ou l’inceste par exemple ne sont donc pas des raisons suffisantes,.

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Essentiel: le référendum a permis de changer cet amendement par cette phrase : « Les dispositions concernant les règles de l’interruption volontaire de grossesse pourront être prises par la loi ».

Les premières pistes tendent vers un avortement possible quelles qu’en soit les raisons jusqu’à douze semaines de grossesse ; vingt-quatre semaines en cas de risques graves pour la mère et au-delà, uniquement en cas de malformation du fœtus. (jusqu’au dernier moment de la grossesse comme en France?). Sur 3,5 millions d’électeurs potentiels 62% ont participé au scrutin, et ont voté à 66% pour le oui .

Selon le « Guardian », des milliers d’expatriés sont rentrés pour voter, grâce notamment aux campagnes menées sur les réseaux sociaux avec par exemple « #hometovote » sur Twitter et des collectes de fonds afin d’aider au financement de leurs déplacements.

Les  lois futures: un accouchement difficile 

Dans le passé l’ONU avait déjà remis en cause la législation précédente considérée comme une violation du Pacte Relatif aux Droits civils et Politiques, en infligeant aux femmes un traitement cruel, inhumain et dégradant. De plus, ce n’est pas parce que l’avortement est interdit qu’il n’existe pas : de nombreuses femmes voire très nombreuses,( les chiffres soient faussés car souvent on ne dispose que de fausses adresses) allaient au Royaume-Uni pour avorter et revenaient parfois avec une boite contenant les cendres du foetus , embryon d’un enfant qu’ils avaient décidé de ne pas avoir à cause de malformations graves.

À peine traumatisant, pour des familles ou des femmes qui devront ensuite se reconstruire seules et sans aide, avec en plus le regard suspicieux de la société sur eux!

Des mesures coercitives.

Le Mental Health Act, permettant d’interner une personne de force si elle présente des troubles engendrant un risque pour elle ou pour les autres, a été utilisé contre une fille voulant avorter : on lui avait croire qu’elle était amenée aux urgences alors qu’on la dirigeait vers l’hôpital psychiatrique.

En 1992, le X case (Cas X) a aussi participé à changer les mentalités sur la légitimité de cetamendement : une jeune fille de 14 ans, enceinte suite à un viol, souhaitait aller avorter à l’étranger. Ses parents préviennent alors les autorités afin de pouvoir utiliser l’ADN du foetus pour tenter de retrouver le violeur. Le procureur général invoque alors la Constitution pour stopper la procédure, en demandant une ordonnance de la Cour Suprême pour empêcher le déplacement.

En 2012, Savita Halappanavar meurt d’une septicémie après une fausse couche alors que l’avortement avait été refusé car »un battement de coeur du foetus avait été entendu ».C’est la tragédie de trop qui a lancé la campagne « Repeal the 8th » (abrogez le 8ème).En effet si la solution était de partir à l’étranger, que font les femmes ou les jeunes filles qui n’ont pas les moyens de partir ni ceux de subvenir aux besoins de enfant à venir?

Aux sources de cet amendement ?

Dans les années 70, des mouvements de légalisation de l’avortement sont présents partout  dans le monde. En 1973 aux États-Unis, 1975 en France. Cela effraye les conservateurs et la plupart des religieux irlandais qui se regroupent sous le slogan « Pro-Life » (« pro-vie » en français) et lancent la campagne « Pro-Life Amendment Campaign ». Cette dernière consiste surtout en lobbying, demandant un référendum pour adopter ce qui deviendra le 8ème amendement. Ce dernier est organisé en 1983, dans un contexte d’instabilité politique, avec trois grandes élections générales en dix-huit mois. 67% des participants votent pour. Le 7 octobre, l’amendement dans la Constitution est mis en place. Ainsi, un référendum a été organisé afin d’interdire quelque chose qui l’était déjà depuis la création de l’État en 1911 !

Plus grave, c’était dèslors  inscrit dans la Constitution , ce qui rend le changement et les évolutions impossibles sauf par une réforme constitutionnelle, uniquement possible via le référendum. Ce qui vient d’être acquis

Le résultat montre que l’Église perd en influence politique. Très discrète pendant la campagne, son pouvoir s’est affaibli suite aux nombreux scandales religieux .La pédophilie n’est qu’un exemple, tout comme la fosse commune regroupant les squelettes d’environ 800 bébés dans la ville de Tuam, utilisée de 1925 à 1961.

D’après le recensement de 2016 et une étude du Central Statistics Office nommée « Census 2016 Summary Results », 78,3% des habitants se déclarent catholiques.

Lors du dernier référendum, et dans certains bureaux de vote, la Bible permettait de donner son état civil par un serment lorsque l’on ne pouvait pas le décliner grâce à des documents officiels. Cela en a énervé plus d’un, notamment pour ce vote qui allait à l’encontre des principes religieux.

Et maintenant….

Suite à sa large victoire, le Premier Ministre (à l’origine opposé à ce scrutin) Leo Varadkar,envisage d’avoir recours à des législatives anticipées. Cela lui permettait d’obtenir une majorité dont il ne bénéficie pas actuellement.

Peut-on espérer  que la Pologne, Chypre, Malte et Andorre élargissent aussi leur législation sur l’avortement, qui n’est autorisé pour le moment que à la suite d’ un viol, pour une malformation du foetus ou en cas de risque pour la mère ? En tout cas, il faudra suivre la législation qui découlera de ce vote en Irlande, voir si les regards malveillants de la société s’émoussent pour disparaitre peu à peu et si les accompagnements sont à la hauteur des attentes.

Eloïse Lehmann

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