Site icon Eurolatio

LA FRANCE AVANCE, L’ALLEMAGNE FREINE, MERKEL TREBUCHE

Par Eloïse Lehmann

 « L’Europe que nous connaissons est trop faible, trop lente, trop inefficace, mais l’Europe seule peut nous donner une capacité d’action dans le monde, face aux grands défis contemporains. ».Emmanuel Macron, discours de La Sorbonne le 26 septembre 2017.

Cette citation illustre parfaitement la bivalence du positionnement du Président Français : l’Union Européenne est nécessaire car elle est une force considérable pour le futur….Mais afin qu’elle le devienne, il est obligatoire de la réformer, en passant notamment par la réforme de la zone Euro. En effet les conséquences du Brexit poussent aux changements et demandent une implication de tous les pays afin de trouver les meilleures solutions.Une  opportunité?

La zone euro

 La zone euro, aussi appelée eurozone, représente les pays ayant adopté l’euro comme monnaie. Au nombre de dix-neuf, ils représentent plus de 340 millions d’habitants en 2017 et un PIB cumulé de 11 886 milliards d’euros. Afin d’en faire partie, il est obligatoire de respecter les critères de convergence de Maastricht[1] même si, on peut le dire, la plupart des pays ne les respectent pas en totalité, France en tête. L’année 2017 aura cependant été l’année du changement pour cette dernière, car nous sommes enfin sous la barre des 3% de déficit public réclamés. La grande question reste : pourquoi maintenant ?

 [1] Cinq critères sont à respecter : un déficit public annuel inférieur à 3% du PIB, une dette publique ne dépassant pas 60% du PIB, une inflation maîtrisée, une capacité d’emprunt, la stabilité du change et la stabilité des finances publiques

Quels changements voulus par la France?

Le Président de la République française tient à crédibiliser son discours et ses intentions envers la zone euro : il est difficile de vouloir la réformer, alors qu’on ne respecte même pas les critères d’adhésion. Ainsi, le but était de faciliter le soutien de l’Allemagne envers les propositions françaises. Macron propose par exemple la création d’un Fonds Monétaire Européen, remplaçant le Mécanisme Européen de Stabilité actuel uniquement présent pour les crises, afin qu’il devienne permanent et aide le développement des pays européens en difficulté. Il voudrait aussi la création d’un budget européen, afin d’avoir une gestion commune plus efficace que l’actuelle et de booster la croissance, en mettant aussi en place un Parlement et un Ministre Européen des Finances. Le but global est de faire une « Europe qui protège », afin de faire barrage aux eurosceptiques pendant les prochaines européennes qui auront lieu en 2019.

 Et la position de l’Eurozone dans tout cela ?

L’Allemagne et la France visent officiellement un front uni sur une réforme d’ici juin. Bien que le programme du nouveau gouvernement allemand s’intitule « Un nouvel élan pour l’Europe », des divergences sont publiquement évoquées. L’Allemagne craint une mutualisation des dettes dans l’eurozone. C’est compréhensible : les Allemands ont toujours été les plus gros contributeurs au budget européen et même en contributeur net. Si après la Seconde Guerre mondiale cela était justifiable par leur envie de se « racheter » après les terribles méfaits du nazisme (ils n’avaient pas été les seuls impliqués), aujourd’hui cela n’est plus le cas : les nouvelles générations n’ont pas de souvenirs de la guerre et ce besoin de pardon est donc moins présent.

Elle refuse également la présence d’une  liste transnationale aux prochaines élections européennes.( 2019) Parallèlement, les pays du nord sont défavorables à cette réforme, car pour eux le plus important reste le marché commun et non la création d’une union bancaire .De plus au sud, l’Espagne est occupée à régler les problèmes avec la Catalogne et l’Italie se retrouve avec une alliance entre deux partis eurosceptiques (même s’ils ont mis de l’eau dans leur vin).

Déjà des divergences, des paradoxes.

Macron a reçu le Prix international Charlemagne d’Aix-la-Chapelle 2018, récompensant chaque année une personnalité engagée en faveur de l’unification européenne. Il l’a reçu pour ses réformes ambitieuses et ses contributions multiples à l’avancée du projet Européen, propositions que personne ne souhaite réellement appliquer à l’échelle européenne, pour l’heure. Paradoxal.

Merkel a dit que la France et l’Allemagne « trouvaient toujours des solutions communes ». Certes, mais un compromis se base tout de même sur des positions divergentes, laissant transparaitre une vision de l’eurozone différente comme plus généralement dans l’UE. Les compromis font partie intégrante de la construction européenne : ils ont permis d’avancer même après les élargissements successifs, obligent la discussion et l’entraide entre tous les États membres.

Lors de son discours au Parlement Européen le 17 avril 2018, le président Macron a réaffirmé ses ambitions, montrant qu’il ne lâcherait rien. Il a cependant fait machine arrière sur la formation d’une représentation parlementaire et d’un Ministre Européen des Finances, malgré une phrase explicite illustrant son attachement à cette proposition « On a sans doute besoin d’une représentation parlementaire car on aura besoin d’un contrôle démocratique ». Cette proposition n’est même plus discutée à Bruxelles d’un point de vue technique.

Et Merkel, dans tout cela, lauréate aussi du prix Charlemagne ?

 La question reste de savoir si Merkel peut imposer quoi que ce soit au sujet de l’Europe. Briguant son 4ème mandat après des négociations difficiles pour former un nouveau gouvernement, son pouvoir d’influence s’est affaibli. De plus, elle propose d’ores et déjà, des alternatives, telle que la présence, en plus des ministres des finances, des ministres de l’économie aux réunions de l’euro-groupe. La nomination d’Olaf Scholz, un social-démocrate, au poste de ministre allemand des finances à la place du conservateur Wolfgang Schaüble, laissait penser que des changements de position étaient possibles. Mais cela reste à penser et n’est pas vérifié. Les efforts pour réduire le déficit public français devaient aussi faciliter l’entente franco-allemande. Mais cela reste compliqué également.

Il sera intéressant de voir quelle forme le projet commun prendra en juin, quelles seront les propositions gardées et les compromis trouvés. Si, bien entendu, le but n’est pas de savoir qui a réussi à s’imposer sur tel ou tel sujet, la finalité globale du projet sera importante à analyser, afin de voir quelle idée du futur européen sera soutenue par le couple franco-allemand, moteur des changements au sein de l’Union Européenne.

Eloïse Lehmann

Quitter la version mobile