Vie des Associations et Institutions Eurpéennes

Réfugiés. A Ferrette (Haut-Rhin), la solidarité n’est pas un délit.

Le Prix de la Tolérance Marcel Rudloff 2018 a été attribué à François Cohendet pour son action courageuse et dévouée dans l’accueil des migrants. Une « sortie de l’ombre » pour ce maire de Ferrette, petit village du Sundgau alsacien près de la frontière suisse. François Cohendet succède ainsi à Pietro Bartolo, « l’ange des migrants » de Lampedusa, le lauréat remis l’an dernier à Strasbourg. La récurrence du thème est lourde de signification.

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Congratulations Photo eurolatio (GT)

Cette année la cérémonie de remise du prix était, exceptionnellement, délocalisée. L’association « Les amis de Marcel Rudloff* * et ses invités ont quitté temporairement Strasbourg vendredi 16 mars pour Colmar où Brigitte Klinkert, présidente du Conseil Départemental du Haut-Rhin les accueillait dans ses locaux. C’était pour elle l’occasion de rendre hommage à Marcel Rudloff, l’un de ses mentors et à un maire de son département.

« L’esprit de tolérance et le respect de l’autre » de Marcel Rudloff. On ne le rappellera jamais assez.

 Depuis plus de vingt ans, l’association « les Amis de Marcel Rudloff » s’est donné pour mission d’entretenir la mémoire de cet humaniste : chaque année un prix éponyme , dit le « Prix de la Tolérance », vient mettre en lumière un « lauréat ayant manifesté par son action, son comportement, ses déclarations et prises de position ou tout autre agissement, des qualités exceptionnelles d’ouverture d’esprit, de sens des responsabilités, de refus de tout sectarisme, de respect des autres, de dialogue, de bienveillance et de tolérance ».  On applaudit et peu de gens oseraient afficher un quelconque désaccord. Francis Hirn, président de l’association, déplore cependant que « les cheveux des membres grisonnent quand ils en ont encore…  » avant de lancer un appel à adhésions pour que l’idée soit maintenue. Sera-t-il entendu? Ailleurs que dans l’entre-soi…Et les jeunes… ?

« Il suffit d’écouter ceux que nous rencontrons sur notre route, en les regardant dans les yeux. Ils aident à éclairer l’essentiel des destinées humaines à partir de leur propre expérience. » disait Marcel Rudloff dans « Souvenirs pour demain » Entretiens avec Alain Howiller« . Propos de « bisounours » démodé à notre époque devenue tellement nombriliste ?

Quand, en février 2016, François Cohendet a rencontré deux jeunes soudanais en tenue d’été sous la neige à Ferrette, il ignorait qu’il plaçait ses pas dans ceux de Marcel Rudloff pour appliquer à la lettre son message humaniste. Il devait les aider, le « processus était en route« …

Un modèle à retenir.

 Louis Oster, président du jury et ancien bâtonnier de Strasbourg, ne pouvait  être présent pour prononcer la « laudatio » en l’honneur de François Cohendet. Geneviève, l’une des filles de Marcel Rudloff, en a donc lu le texte retraçant le parcours hors norme du récipiendaire pour justifier l’attribution du prix de la tolérance :

« Marcel Rudloff vous aurait très probablement reconnu comme quelqu’un partageant la même vision noble et généreuse qui était la sienne« 

François Cohendet

  Le maire. Photo eurolatio ( GT)

De l’arrivée des premiers migrants à Ferrette jusqu’à aujourd’hui, environ deux années ont été consacrées à procurer les besoins fondamentaux d’une vie normale et autonome. L’aide du sous-préfet avait permis l’hébergement dans les bâtiments vacants d’un escadron de gendarmerie mobile, déplacé. Les vêtements, la vaisselle, les équipements d’hygiène et d’entretien ménager ont été fournis par la population locale. L’aide alimentaire est assurée par Caritas ou les Restos du cœur. Toute l’équipe pédagogique de l’école de Ferrette s’est impliquée pour intégrer les enfants ( 15 à 25) dans leur structure et les initier à la langue et à la culture françaises. Tant d’efforts, de temps, d’énergie mobilisés par quelques-uns pour aider les plus souffrants dans l’indifférence générale quand il ne s’agit pas d’hostilité.  Rien ne permet de croire à des visées électoralistes. Peut-être même l’effet pourrait être contraire, comme ailleurs en Europe. Air du temps !

Une logistique pas si compliquée que ça, à condition de …

François Cohendet a su fédérer autour de lui tout un réseau de bonnes volontés : les conseillers municipaux et l’équipe de la mairie, les habitants de Ferrette et environs, l’association « Voisins d’ailleurs »**, son épouse et ses proches, et même Monsieur le curé Marc Schmitt… Ce sont eux qu’il cite en premier dans son discours de remerciements.

Vendredi dernier, on a pu rencontrer un personnage modeste et serein, un homme qui croit profondément en des valeurs et s’applique tout simplement à accorder ses actes avec sa pensée. Ce n’est pas si fréquent !

A présent, le  centre d’accueil, mis en place, héberge environ 80 personnes soit plus de 10 % de la population (Ferrette compte moins de 700 habitants). Cela donne à réfléchir.

Difficile de donner des chiffres exacts pour la France. Tout dépend de quoi on parle : 10 000 réfugiés d’ici 2019 ? plus de 100 000 demandeurs d’asile en 2017… Quoi qu’il en soit, nul besoin d’être un grand mathématicien pour arriver à un pourcentage maximum de 0,15 %. On est loin de l’invasion tant redoutée. Les bénévoles de Ferrette accueillent au quotidien des humains, pas des chiffres.

Malgré le déferlement de propos hostiles, voire haineux, qu’il a du affronter (on s’en doute bien !) François Cohendet reste optimiste : »L’arrivée à Ferrette d’une population multiraciale se passe relativement bien. Nous tenons à ce que ce soit un non-évènement »

Raïfa

F. Hirn, E. Schulthess, Raïffa. Photo eurolatio (GT)

Raïffa, une jeune syrienne, était venue avec son  beau sourire et sans besoin d’interprète témoigner de l’accueil chaleureux qu’elle a reçu à Ferrette. Chimiste de formation, actuellement mulhousienne, elle compte intégrer un master l’an prochain.

Ambiance chaleureuse, émouvante et festive et multiculturelle.

Dans le hall ensoleillé du Conseil Départemental, la remise de prix s’est déroulée selon un protocole désormais bien rôdé et ponctué d’intermèdes musicaux de qualité en accord avec l’esprit du moment. L’ensemble Papyros’N a offert de belles interprétations de chants juifs, albanais, hongrois, orientaux. Le quatuor est l’une des émanations de Ballade***, une association alsacienne culturelle et engagée qui cherche à créer des liens entre les populations à travers des actions pédagogiques et artistiques centrées sur le patrimoine musical traditionnel européen. La musique comme langage universel

Le lauréat emportait un chèque de 2500 euros et un trophée créé par le peintre et sculpteur Freddy Ruhlmann (1941-2004) artiste alsacien auquel Francis Hirn a voulu également rendre hommage.

trophée F. Rhlmann

Trophée F. Ruhlmann

« Dans un univers troublé et souvent violent le chaos rend la tolérance difficile, parfois surhumaine, et c’est là, pourtant qu’elle est la plus indispensable » (F. Ruhlmann)

F.Cohendet concluait son intervention par ces mots « Que cette mise à l’honneur d’une petite commune rurale ainsi que de tous ceux qui œuvrent pour accueillir des demandeurs d’asile serve d’exemple et que les valeurs profondes d’entraide, de solidarité et de tolérance guident notre société. » Encore un doux rêveur ?

En tout cas, un prix pour l’exemple. Et aussi un encouragement pour les autres petits « coins » de France confrontés à la même situation.

Gervaise Thirion

*www.marcel-rudloff-tolerance.com

**vdaferrette.wixsite.com/voisins-d-ailleurs

***papyrosn.com

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