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Noël, la fête de tous les enfants… si seulement c’était vrai!

Par Gervaise Thirion

« Le père Noël va-t-il arriver jusqu’à nous, ne sera-t-il pas arrêté au checkpoint ? » Cette préoccupation d’un orphelin tchétchène nous interpelle. Elle est extraite du livre « Déflagrations, dessins d’enfants, guerres d’adultes » inspiré par la belle et bouleversante exposition qui est présentée à la médiathèque André Malraux de Strasbourg jusqu’au 16 décembre.

Photo Yannick Calvez

La capitale de noël sous haute surveillance.

Avec l’effervescence qui règne à Strasbourg autour du marché de Noël, nos chers bambins peuvent être rassurés, le père Noël sera encore au rendez-vous cette année. La présence d’hommes armés, postés à chaque entrée de la cité ou sillonnant la ville, ne trouble pas trop la fête même s’ils agacent parfois.  On peut se sentir en sécurité dans l’oppidum surprotégé, comme au temps des légions romaines.

A quelques pas du centre-ville, à la médiathèque, les silhouettes à képi, mitraillettes au poing, qui sont représentées sur certains tableaux de l’exposition « Déflagrations » semblent beaucoup plus menaçantes. Même si le trait est plus ou moins habile, les enfants qui les ont reproduites réussissent parfaitement à nous communiquer l’horreur qu’ils ont vécue. A défaut de pouvoir raconter ou d’être écoutés, ils ont dessiné « Tous les récits des soignants et des humanitaires le disent : en zone de guerre comme ailleurs, les enfants se saisissent des crayons qu’on leur tend » On a du mal à se détacher de ces images. Déflagrations, visuelle, sonore, émotionnelle, corporelle… l’exposition porte bien son titre.

Source: AVSI, World Vision, Gusco, Save The Children Danemark, UNICEF

La guerre des adultes vue à hauteur d’enfants. un projet opiniâtre.

Zérane S. Girardeau, productrice et commissaire de l’exposition, est la fondatrice de « Zérane. Confluence artistique » association dédiée à la création d’expositions engagées sur des enjeux sociétaux, éthiques, historiques… Ce sont les images de la guerre interminable en Syrie qui ont déclenché ce projet de recueillir ces dessins d’enfants.

Entraînant avec elle une équipe d’historiens, de psychologues, de praticiens du droit international, de correspondants de guerre…et avec l’aide de l’artiste Enki Bilal et de l’historienne Manon Pignot, elle a réussi à collecter plus de  200 dessins en provenance de musées, bibliothèques, ONG, associations.

« le livre et l’exposition sont une traversée des temps et des continents au milieu de dessins réalisés par des enfants témoins, victimes, parfois acteurs des guerres conflits et crimes de masse de 1914 à aujourd’hui… Ce livre est un hommage à l’acte de dessiner des enfants. » (Z.S Girardeau)

Un siècle de dessins d’enfants dans les guerres, conflits et crimes de masses. Un document précieux

Les dessins d’enfants dans les violences de masse sont une trace fragile. « il n’existe pas de « syndicats d’enfants » ni de « parti des enfants » dont les archives seraient sagement conservées dans quelque dépôt » (Manon Pignot, historienne de l’enfance). La recherche a été lente et laborieuse. Le corpus final est impressionnant.

L’exposition présente les témoignages graphiques des traumas subis par les enfants. Ces « voix de papier » sont regroupées selon une vingtaine de thématiques (corps, deuil, massacres, séparation, viols…) et retracent un siècle de conflits dans une trentaine de pays (Syrie, Guatemala, Vietnam,  Rwanda, Espagne, Soudan…).

Françoise Héritier, marraine de l’exposition, a écrit la préface du livre en juillet, peu de temps avant sa mort : »Qui dit dessin d’enfant imagine immédiatement des cordes à sauter, des ballons, des voitures miniatures, des jeux collectifs ou alors ces images familiales où chaque membre est sagement aligné avec des tailles très différentes pour le père, la mère et les enfants… Des formes et des couleursCe qui me frappe le plus peut-être dans un dessin comme celui-ci, que je vois presque comme prototypique de tous les autres, c’est le silence assourdissant...On peut se demander comment il est possible de vivre avec en tête le souvenir de pareils épisodes. »

Source: Waging Peace

« Le silence est total sur la page. Mais la réalité obscène a dû être faite de fureur et de vacarme. Et c’est la force de ces dessins de nous faire entendre… »

Un bel « objet-livre »

« Ces enfants ne dessinent pas pour faire « bien » mais pour faire » lien » (Serge Baqué de retour d’une mission au Rwanda après le génocide des Tutsis).

Chloé Pathé, créatrice de la toute jeune maison d’édition Anamosa, s’est engagée à son tour pour « fabriquer » le catalogue qui, par sa mise en pages et malgré la gravité du sujet,  transforme le propos en ouvrage d’art.

Source: Patrick Chauvel

A ces « dessins-passerelles », des écrivains, artistes, intellectuels ont répondu par des textes, des dessins, des peintures… Autant de mises en lumière, d’échos et de reconnaissances données à des « traces » par delà les temps et les territoires.

Chez les Sauks, une tribu amérindienne, anamosa signifie « Tu marches avec moi ».  marcher ensemble…

Strasbourg, seule ville à accueillir l’exposition ?

Il ne reste plus que quelques jours pour visiter cette exposition émouvante. Pas de temps à perdre…  La ville de Strasbourg est, pour l’instant, le seul lieu à présenter « Déflagrations, dessins d’enfants, guerres d’adultes » Pourquoi est-t-il si difficile de trouver d’autres espaces qui acceptent de lui faire une place. Trop dérangeante ? Ou sommes-nous devenus tellement indifférents ?

 » Nous autres civilisations, disait Paul Valéry, savons maintenant que nous sommes mortelles. » A la lumière de l’expérience totalitaire et des progrès de la science, on pourrait ajouter: « Nous savons maintenant que nous sommes meurtrières » ou « que nous pouvons être suicidaires ». La question du 21ème siècle pourrait bien ne pas être différente de celle du 20ème siècle : civilisation ou barbarie? » Pierre Hassner, la violence et la paix, le seuil, 2000.  A méditer.

Source : Solinfo

Selon son dernier message,  Zérane est un peu plus confiante. « Strasbourg est le tout début du chemin. Rien n’est encore fixé pour la suite, mais quelques institutions commencent à formuler leur intérêt. J’espère que le chemin français se fera aussi européen » On le souhaite vraiment . Cette exposition devrait être reconnue d’utilité publique.

Heureusement, il y a le livre, source artistique et documentaire importante. « Déflagrations » est en vente en librairie depuis le mois d’octobre.  C’est bientôt Noël, le temps des cadeaux.

Cette expo doit circuler, en France où elle est née, en Europe où elle peut être comprise et sur la Planète, surtout là où elle doit être « révélatrice » en rappelant des valeurs fondamentales essentielles avec ces dessins pour seul discours.

Gervaise Thirion

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