Conseil de l'Europe

Au-delà des mots, le populisme en action: « Cent vingt jours à Hénin-Beaumont », un spectacle de Claire Audhuy.

Par Geneviève Baas

Le Forum Off de Strasbourg a pour grand avantage de nous avoir mis en relation concrète avec une municipalité populiste.

Si, au Conseil de l’Europe, dans le Forum In on débat sur les mille et une définitions du populisme, ici, on voit comment ce populisme agit dans la ville d’Hénin-Beaumont, une municipalité gagnée par le Front National en 2014, et ses alentours.

 

Capture d_écran 2017-11-10 à 15.13.19Claire Audhuy, jeune auteure et artiste, a passé 4 mois, fin 2016- début 2017, en résidence d’auteure, missionnée par le ministère de l’Education, dans l’agglomération d’Hénin-Carvin. De fait, elle a surtout oeuvré dans l’une des 14 communes de cette agglomération, Hénin-Beaumont.

Elle a pu constater comment une mairie Front National s’empare sournoisement et progressivement de tous les secteurs de la ville et notamment de la culture.

Forte de sa mission, elle a mené, non sans mal, des projets citoyens avec des jeunes écoliers, collégiens, lycéens, sous forme d’ateliers, de débats, de montages photos, et d’une pièce de théâtre. De cette expérience, elle a monté un spectacle « stand-up », au cours duquel elle nous fait partager son aventure. C’est ce spectacle

qu’elle a présenté mercredi soir , à l’Aubette, devant une salle comble: 120 jours à Hénin-Beaumont.

 

De quoi s’agit-il?

Vu la rudesse du sujet- comment vivre et travailler à Hénin-Beaumont en étant d’un bord politique opposé- il fallait rendre le spectacle drôle pour garder l’attention des spectateurs, tout en relatant l’expérience vécue. Et le spectacle a répondu à l’attente. Pendant plus d’une heure, on écoute, souvent en riant, en participant à de petits jeux ou en chantant un hymne à Hénin-Beaumont- « A Hénin-Beaumont, tout le monde s’éclate »-, ce qui fut une expérience parfois douloureuse.

ClaireAudhuy prend soin de préciser qu’il s’agit d’un spectacle-documentaire et que tout ce qui y est dit, aété dit ou écrit, un jour ou l’autre , par les autorités de la ville comme par les habitants et notammentpar les jeunes.

 

Alors qu’apprend-t-on?

Chaque spectateur reçoit un trombinoscope de quelques membres de la municipalité d’Henin-Beaumont, auxquels on a ajouté la famille Le Pen et le rédacteur de « la Voix du Nord », journal local. Au dos du trombinoscope, ce qui constitue une pièce maitresse, des extraits de la charte « Ma commune sans migrants ». L’intitulé de la charte est en lui-même le socle du programme: prendre toutes les mesures possibles pour qu’aucun migrant ne s’installe à Hénin-Beaumont. Le texte a été approuvé par un vote à une large majorité (29/35) et sa lecture devrait faire blêmir tout citoyen.

Claire Audhuy nous apprend aussi que le maire est très actif sur son compte Facebook où il n’hésite pas à s’attaquer,souvent vulgairement, à ses opposants, comme Marine Tondelier, élue EE-les verts qui était pour la circonstance présente dans la salle. La municipalité a interdit les cours de danse orientale, mais gardé le hip-hop; la police est omniprésente, parce que la « première liberté, c’est la sécurité »! les références à la patrie sont permanentes et pas toujours à bon escient ; la médaille de la famille française réservée aux Français de souche.!! Et on en passe, tout dans le même registre.

Mais comment travailler dans un tel contexte?

Il a fallu s’affronter avec la municipalité, être convoquée pour se justifier parce que les activités ne correspondaient pas aux idéaux de la municipalité qui contrôle aussi la culture, voir ses affiches arrachées, entendre les habitants refuser de coller des affiches ou de participer par peur de représailles, se sentir rejetée, être de trop, avoir la tentation de partir en courant.

Aussi, pourquoi rester si longtemps?

Pour quels résultats? Claire Audhuy est une battante, elle nous montre qu’elle n’a pas froid aux yeux, qu’elle a une mission à accomplir et qu’elle le fera, même si parfois elle fait des rêves étranges, plus proches des cauchemars, qu’elle nous raconte en souriant mais qui montre son désarroi momentané, même si elle constate avec amertume quelle doit parfois s’auto-censurer et qu’elle apprend qu’une plainte serait déposée par le maire.

Mais ce travail a porté ses fruits. Ainsi, elle a travaillé avec une classe de 14 élèves du primaire, primo-arrivants, qui ont pu mieux comprendre leur parcours; elle les a , entre autre, « confrontés » à des collégiens dans un atelier où les uns devaient dessiner les autres et ce sont les collégiens qui ont pris conscience que les migrants n’étaient pas si différents d’eux, qu’il n’y avait pas lieu d’en avoir peur.

Une grande fierté: l’un des collégiens a fait « profession » de non-racisme, après cet

atelier, disant qu’il s’affronterait aux racistes au collège et dans sa famille. Elle a fait faire un arbre généalogique à des lycéens pour leur montrer que leurs racines étaient souvent ailleurs. Elle a pu organiser des débats à tous les niveaux scolaires, monter un spectacle. Autant d’expériences dont le bilan, malgré tout, n’est pas négatif. Claire Elle envisage de retourner sur le terrain.

On ne peut qu’admirer le travail de Claire Audhuy, tant dans son récit que dans sa mise en forme théâtrale. On mesure les difficultés qu’il a fallu surmonter et on la remercie, pour le spectacle, pour tout ce qu’elle nous apprend sur les méthodes frontistes, incontestablement populistes. Mais aussi,on comprend, et là on fait le lien avec ce qui s’était dit au « Forum In » le matin, que la lutte contre le

populisme passe aussi, voire surtout, par l’éducation et la culture, qu’il est urgent d’agir sur ces terrains, comme cette expérience nous le prouve.

 

Capture d_écran 2017-11-10 à 15.12.56 

Le débat, à l’initiative du « courrier international »

 

Un débat, non prévu initialement, a suivi, dirigé par Lysiane Baudu, journaliste au « Courrier international », en présence de Pascal Wallart, journaliste de « La voix du nord » à Hénin-Beaumont et de Marine Tonnelier, élue d’opposition. L’un comme l’autre nous ont expliqué combien leurtravail était difficile, mais aussi combien il était nécessaire. En particulier Marine Tondelier, qui est née, a vécu et vit encore à Hénin-Beaumont ( alors que le maire la traite de « parisienne-bobo »),

tient à sa fonction et agit avec enthousiasme, malgré les insultes fréquentes et les contraintes.

Bref, une soirée très enrichissante et indispensable dans le cadre de ce sixième Forum de la démocratie sur le populisme en questions

Geneviève Baas.

1 réponse »

Laisser un commentaire