Conseil de l'Europe

Les Droits de l’Homme sont-ils solubles dans la Politique ?

Ironie de l’Histoire ? Madame Simone Veil s’est éteinte le jour où s’achevaient les séances de la session d’été de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE à Strasbourg).  Comme un rappel à l’ordre, cette triste nouvelle vient opportunément remettre en mémoire le parcours et les convictions de cette européenne convaincue.

Le combat ardent et exemplaire que la grande Dame a mené pour le rapprochement entre les peuples fait étrangement écho à la situation préoccupante que connait l’Europe actuellement. Il renforce l’idée de mettre l’éclairage sur ceux et celles qui œuvrent pour retrouver et consolider une Europe humaniste et solidaire.

Les « migrations ». Le défi majeur que doivent relever les états européens.

C’était le thème central des quatre rapports émanant de la « commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées » et l’APCE a dû y consacrer une journée entière. Quatre approches différentes du sujet ont été examinées, discutées, amendées, approuvées. Leurs rapporteurs ont été salués et complimentés pour leur travail.

A présent, même si la tâche n’était pas facile, le plus dur reste à faire : convaincre les gouvernements, par l’intermédiaire de leurs parlements, d’appliquer les résolutions et les recommandations proposées ici.

Des flux migratoires sans précédent ! Que l’Europe doit gérer… Pas un jour sans que, dans les médias, articles ou chroniques nous rapportent inlassablement le feuilleton des évènements, des tragédies qui se déroulent depuis déjà trop longtemps.

Les gouvernements européens se sont révélés incapables de donner une réponse d’entraide commune et digne.

Rebondir sur un constat d’échec pour construire une Europe sociale

Un petit rappel historique s’impose.

Quarante sept états ont adhéré aux principes de solidarité et de protection des droits individuels de « La Convention européenne des Droits de l’Homme« , condition « sine qua non » pour faire partie du Conseil de l’Europe (CoE). Inspirée de la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948″ la convention est réputée pour être le modèle le plus perfectionné d’une garantie effective de ces droits. Son préambule précise que les états signataires sont « inébranlablement attachés aux valeurs morales et spirituelles qui sont le patrimoine commun de leurs peuples… ».

Doit-on aussi rappeler que ces textes ont été rédigés après les atrocités de la seconde guerre mondiale afin d’empêcher toute catastrophe humanitaire à venir ? Simone Veil s’en souvenait, elle.

En matière législative, on citera également la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés, son protocole de 1967, et la Convention internationale des Droits de l’Enfant. Ces textes ne demandent qu’à être appliqués pour que, ce qu’on nomme bizarrement, la « crise » migratoire  soit enfin résolue.

Le Secrétaire Général du CoE, M. Jagland, est intervenu pour pointer la responsabilité (pourquoi ne pas dire la culpabilité ?) des gouvernements et lancer une alerte sur l’urgence à agir dans le cadre législatif existant. Au regard des textes, tous les êtres humains, migrants ou autochtones, doivent bénéficier des mêmes droits fondamentaux.

Et pourtant… Que de failles !

« Une réponse humanitaire et politique globale à la crise des migrations et des réfugiés en Europe » ? (titre du 1er rapport)

Ce qui devrait aller de soi pose encore question. On est en droit de se demander pourquoi nous en sommes là en 2017  et ce qui réunit les 47 états membres du Conseil de l’Europe (CoE), quand on évalue « les répercussions sur les droits de l’Homme de la réponse européenne aux migrations de transit en Méditerranée« .(2ème rapport)

Les enquêtes menées dans différents pays du CoE (Grèce, Italie, Hongrie, Turquie…) révèlent de très grandes divergences dans les domaines de l’accueil des réfugiés et des politiques nationales d’intégration. M. Marques (Portugal) dénonce, dans son rapport, le fait que « La crise est davantage une question politique de gestion des migrations que de manques de ressources ou de capacités ».

Quand certains ferment leurs frontières ou érigent des murs, d’autres mettent au point des stratégies d’accueil qui se révèlent beaucoup plus efficaces.

Sur ce point, M. Kaminis, maire d’Athènes et ancien « ombudsman » (défenseur des Droits) est venu apporter des preuves édifiantes. Athènes est l’une des villes qui ont accueilli, ces dernières années, le plus grand nombre de réfugiés et de migrants. Passant en revue toutes les initiatives qui ont été prises par sa ville pour améliorer le sort des réfugiés il a montré que « les gouvernements locaux et les autorités locales peuvent jouer un rôle essentiel pour protéger les droits de l’Homme ». Athènes l’an dernier, et Strasbourg hier, ont rejoint le réseau des villes solidaires en Europe, après Madrid, Amsterdam, Barcelone…

L’adoption de l’Accord UE-Turquie le 18 mars 2016 a permis une amélioration sensible de la situation en diminuant considérablement les traversées et les décès en Méditerranée. Tout le monde en convient. Mais « Il reste beaucoup à faire… L’Europe doit, tout d’abord, veiller à ce que ses décisions en matière de partage du fardeau, de relocalisation, soient respectées » (M. Varvitsiotis, rapporteur). L’Italie, entre autres, est toujours à la peine alors que certains pays refusent de prendre leur part.

Une autre problématique, très souvent évoquée, reste préoccupante. Le nombre des mineurs non accompagnés ne fait qu’augmenter. Ils sont des dizaines de milliers, abandonnés, sans protection. Leur situation est tristement favorable à la traite des humains, aux réseaux pédopornographiques, islamiques… Il y a urgence à s’inquiéter de leur sort et à les prendre en charge.

L’autre bout de la lorgnette

« La race humaine est une race de migrants… Le haut commissariat des nations Unies(HCR) estime à plus de 65 millions le nombre de réfugiés et de personnes déplacées… par nécessité, pour fuir la guerre, la pauvreté…, par curiosité… 250 millions de personnes migrent pour trouver une vie meilleure… Les migrations climatiques ne sont pas un risque pour l’avenir, elles se produisent déjà : Plus de 20 millions de personnes, chaque année depuis 2008… » Le ministre suédois de la Justice et des migrations M. Johansson n’était pas venu pour donner des leçons mais pour montrer l’exemple de son pays qui a « apporté sa protection à 146 000 Syriens… le plus grand effort humanitaire dans l’histoire du pays…sans emprunter une seule couronne…au contraire nous avons connu un excédent budgétaire… »

Plutôt que d’imaginer des mesures de rejet, illusoires et contre-productives, il serait préférable de s’inspirer des expériences efficaces d’accueil et d’intégration et des exemples de bonnes pratiques. Elémentaire ! non ?

La migration. Une menace ? Ou une opportunité à saisir ?

Le phénomène migratoire est inévitable et il n’est pas près de s’arrêter « Au final, nombreux sont les migrants et les réfugiés qui vont rester ici. Il est dans l’intérêt de notre société qu’ils soient intégrés. »( Mme Huovinen, Finlande)

L‘intégration ! Le mot est lâché et il fera bondir ceux et celles qui sont hostiles à la venue d’étrangers sur leur sol. Si, dans un premier temps, les politiques veillaient à condamner tout discours de haine et faisaient preuve d’un minimum de pédagogie, on aurait déjà fait un pas. C’est le moins qu’on puisse exiger de ceux qui ont si peu fait jusqu’à présent sauf laisser diffuser les idées fausses véhiculées par certains partis populistes et racistes selon lesquelles les migrants sont une menace pour les populations locales et les régimes de sécurité sociale. (Thèses contredites par les rapports de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques).

Les députés du CoE sont allés enquêter sur le terrain, en Allemagne, au Portugal, en Norvège, en Finlande, en République Tchèque…. La liste est longue des initiatives qui ont été prises en matière d’hébergement, de scolarisation, de prise en charge sanitaire, sociale, psychologique, de formation professionnelle… et qui fonctionnent, impliquant les autorités locales, la société civile et les réfugiés eux-mêmes.

L’immigration actuelle n’a rien à voir avec celle d’hier. La plupart des migrants sont de jeunes diplômés issus des moyenne et petite bourgeoisies des pays du Sud sur fond de mondialisation désormais incontournable.

L’Europe, qui vit un « hiver démographique » ferait bien d’en tenir compte. Il existe une véritable pénurie de main-d’œuvre dans un certain nombre de secteurs économiques. Le Luxembourg et la Suisse ont bien compris le profit qu’ils pouvaient tirer d’une approche gagnant-gagnant du phénomène migratoire.

Crise migratoire ? Non! crise de solidarité !

Les députés européens ne font que répercuter les cris d’alarme déjà lancés par les ONG et la société civile qui se retrouvent, sur le terrain, au contact des migrants et ne comprennent pas comment des nations riches peuvent se révéler aussi inhumaines. Beaucoup se sentent abandonnés, quand ils ne sont pas accusés de créer un « appel d’air ».

Pour quelles obscures raisons, certains gouvernements sont-ils aussi sourds et aveugles ?

imagesUn hommage national a été rendu à Simone Veil. Des discours très émouvants ont été prononcés par ses fils et par le président de la République française. Grâce aux témoignages de tous ceux qui l’ont côtoyée, on a redécouvert ce grand personnage, qui de façon humble mais déterminée, a toujours lutté pour l’Europe de la Paix, de la réconciliation et de la solidarité.

L’humanité était au cœur de tous ses combats. « Aux grandes femmes, également, la patrie reconnaissante ». Elle a été reconnue digne d’entrer au Panthéon.

Combien doivent se sentir petits et honteux !

Gervaise Thirion.

2 réponses »

Laisser un commentaire