Cannes (5) : Gloire à Téchiné et à d’autres en attente…

La « séance » la plus émouvante de cette quinzaine aura été, à coup sûr, celle de l’hommage à André Téchiné :

Thierry Frémeaux introduit une vidéo reprenant certains des extraits les plus forts de la filmographie.

Salve d’applaudissements  à tout rompre dans une salle où se trouvaient certains des plus grands artistes qui ont  accompagné le réalisateur durant toute sa carrière. De Catherine Deneuve à Juliette Binoche, d’Emmanuelle Béart à Lambert Wilson et on n’en oublie forcément…

Catherine Deneuve, Sandrine Kiberlain, Juliette Binoche et Lambert Wilson

Et enfin, avant-première mondiale sa dernière œuvre, Nos années folles avec deux acteurs vedettes du film, Pierre Deladonchamps et Céline Salette qui forment ici, à l’évidence, le plus beau couple de cinéma que nous ayons pu voir au cours de cette sélection mais aussi… le plus tragique.

Celui de Paul et Louise Grappe, deux personnages authentiques dont la véritable histoire a inspiré ce film.

Tous deux s’aiment d’un amour tendre, passionné et charnel (eh oui), jusqu’au jour où Paul doit partir sur le front de la première guerre mondiale. Lorsqu’il décide de déserter pour retrouver celle qu’il aime, il est contraint de se cacher, évidemment… jusqu’à ce que Louise ait l’idée de le déguiser en femme. Paul devient Suzanne. D’abord réticent, il semble y prendre peu à peu un plaisir ambigu jusqu’à ce que la guerre se termine, qu’il soit lui-même amnistié et que Louise tombe enceinte, le contraignant à reprendre sa vie d’avant. Mais ce retour à la normalité ne va pas tarder à réveiller ses démons…

Réflexion subtile sur l’évolution des mœurs et des genres au cœur d’un monde qui se meurt tandis qu’un nouveau peine à naître, le tout englobé dans un romanesque avec ce qu’il faut de passion et de tension. Du grand Téchiné. Simple et complexe à la fois mais toujours fort. Très fort.

Haneke ou/et Lanthimos ; Lanthimos et/ou Haneke ou ni/ni ?

On arrive maintenant aux deux grands crus annoncés de cette Sélection mais que beaucoup redoutaient tant ils s’annonçaient comme les plus sombres et cruels parmi tous les autres, en l’occurrence, Mise à mort du cerf sacré de Yorgos Lanthimos puis Happy End du déjà double palmé, Michael Haneke. Et ça n’a pas raté, ces films ont bien divisé la Croisette. Pour notre part, il n’en est rien. En effet, si leurs sujets hautement sensibles nous faisaient redouter des œuvres à la noirceur proche de l’insoutenable, le sens aigu, profond et sincère de leur mise en scène a suffi à nous séduire.

Dans le premier, un chirurgien de renom (Colin Farell) entretient une relation complice avec le fils d’un de ses patients dont il a malencontreusement causé la mort suite à une opération ratée. Il ignore que le jeune orphelin de père ne va pas tarder à opérer sa terrible vengeance, en annonçant à son protecteur qu’une malédiction va bientôt frapper sa femme et ses deux enfants. En effet, tous, promet-il, mourront très prochainement dans d’atroces souffrances sauf s’il accepte de sacrifier lui-même un des membres de sa famille. Mythe, légende ou métaphore, on choisira.

Une authentique tragédie grecque, inspirée peut-être d’Euripide (Médée), filmée avec élégance, dans de vastes décors, opulents, baignant dans une musique presque liturgique et dotée d’un sens du suspens incisif qui fait peu à peu monter l’angoisse jusqu’à son paroxysme… GLAÇANT, par l’épilogue surtout.

Dans le second, Haneke analyse avec son style toujours aussi précis et froid, les relations complexes d’une famille bourgeoise du Nord de la France. Le patriarche, (Jean-Louis Trintignant,) usé par la vie, souhaite en finir avec tout ça. Sa fille ainée (Isabelle Huppert) se démène pour sauver l’entreprise familiale et remettre son fils, détaché de tous, et de tout, dans le droit chemin. Fils ainé (Mathieu Kassovitz), agité de la braguette, se voit contraint de récupérer la garde de sa fille de 13 ans, qu’il connaît à peine, après que sa mère se fut suicidée.

Un constat sans concession de notre société occidentale, gangrénée de l’intérieur, écrasée par l’influence des réseaux sociaux, enfermée dans sa représentation permanente, ramenant les relations humaines à un état quasi sclérosé. Subtilité et cynisme vont de pair dans ce qui pourrait s’apparenter ici à une comédie noire.

Et Doillon en outsider ?

Ne reste plus qu’à revenir sur un film actuellement à l’affiche, Rodin, qui marque le retour de Jaques Doillon à la compétition ainsi que celui de Vincent Lindon, totalement investi et méconnaissable dans le rôle-titre, deux ans après son prix d’interprétation pour La Loi du Marché.

Mais Cannes, c’est aussi les premières fois et les révélations. Et si aujourd’hui, les talents de la toujours fraiche et délicieuse Izïa Higelin ne font plus de doute, c’était bien de sa première montée des marches dont il s’agissait au moment d’accompagner ce film dans lequel elle interprète Camille Claudel, avec toute la fougue qu’on lui connaît.

S’il est ici beaucoup question d’amour, celui qui unit le maître sculpteur à son élève prometteuse mais aussi à son épouse effacée, il est surtout question d’art. Rarement un film aura mis autant en relief le processus de création artistique et questionné si justement la complexité insaisissable qui permet à une œuvre d’entrer dans l’histoire et d’atteindre une universalité intemporelle.

Et puisqu’il s’agit d’un film sur deux artistes sculpteurs interprétés par deux artistes interprètes, c’est sur ce sujet que nous avons questionné Vincent Lindon et Izïa Higelin au cours de la conférence de presse afin de comprendre s’ils avaient pu avoir des résonances avec leur vie personnelle et leur façon de concevoir leur métier en interprétant leurs personnages.

Vincent Lindon : « Je pense que ma phrase préférée dans le film et qui résonne le plus en moi c’est : « la beauté on le trouve que dans le travail, sans lui on est foutu ». Il n’y que ça qui m’intéresse au monde. Un homme et une femme ne se définissent que par leur travail même s’il peut prendre plusieurs noms comme corvée, passion ou vocation mais c’est la chose qui m’intéresse le plus car moi, sans travail je suis foutu. Mais le travail ce n’est pas seulement travailler, c’est aussi se réjouir de ne rien foutre mais de se dire qu’on va bientôt travailler. C’est ce qui me fascine chez Rodin, son obsession du travail jusqu’à ce que son œuvre lui convienne et dès lors, il faut que ça convienne aux autres et si ce n’est pas le cas, ça lui importe peu puisque ça lui va à lui ».

Izia Higelin : « Pour ma part, je me retrouve dans la frustration de Camille à cause de son manque de reconnaissance même si ce n’est pas ce que je vis mais je peux le comprendre. Je pense qu’il y a rien de pire pour un artiste d’avoir le sentiment de ne pas être reconnu à sa juste valeur surtout à une époque où les femmes n’étaient pas assez représentées et alors qu’elle était à la fois très moderne et indépendante. J’ai beaucoup d’empathie pour elle par rapport à ça alors que moi, j’ai la chance de pouvoir faire ce dont j’ai envie dans mes deux carrières. Ce qui me permet de faire des bons choix de films ou de la musique quand je sens que j’ai besoin d’en faire.

La fin approche. Bientôt le Palmarès. Ici, Loveless et 120 Battements par minute font office de favoris pour la Palme d’Or.

Nicolas Colle.

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