Trois raisons et dangers de la sortie de la zone euro : une décision politique, une cessation de paiement ou Target 2 ?

Voici une réflexion de Henri Mathian, un observateur passionné comme en témoignent les lectures qu’il nous propose. Nous savons tous que l’économie n’est pas une science exacte. C’est pourquoi elle requiert de la circonspection.

Antoine Spohr, Rédacteur en chef.

 

De ces scénarios, quel est le plus proche et le plus probable ?

Au cours de ces élections nous avons entendu beaucoup parler d’une sortie de la zone euro. S’il est intéressant de tenter d’en comprendre le mécanisme et les conséquences, il est fondamental de les mettre en perspective.

1 – Une décision politique :

L’actuel Traité sur le fonctionnement de l’Union (TUE) exprime la volonté de créer une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe et affirme que l’entrée dans l’euro est un acte irrévocable et sans retour. La seule possibilité est d’activer l’article 50 du TUE, comme vient de le faire le Royaume-Uni, de dénoncer et de renégocier l’ensemble des accords qui lient la France à l’UE. En revanche, aucun article ne traite de la sortie de la zone euro qui est même interdite par le TUE. En effet, au moment du déclenchement, il est impératif, pour éviter la fuite des capitaux, de mettre en place un contrôle des changes. Or, ce contrôle est contraire à l’article 56 qui stipule que :  »… toutes les restrictions aux mouvements de capitaux … sont interdites ». La sortie de l’euro n’est possible que par la sortie de l’UE. En conclusion, si le risque politique est indéniable, il est cependant limité car la sortie est compliquée ! Même pour les Britanniques qui ne sont pas dans l’euro.

Alors comment résoudre nos différences de compétitivité dans une zone euro pérennisée ? Soit par des dévaluations internes, en fait des ajustements douloureux qui touchent au modèle social, des baisses de prix et de salaires imposées aux populations ( Chypre, Grèce, Espagne, Portugal, Italie ), Soit par une politique de transfert refusée par l’Allemagne qui n’en a ni la volonté, ni les moyens. En effet pour permettre aux « provinces » grecque, espagnole, italienne et française de s’intégrer dans une Europe Fédérale, dotée d’un euro fort, il leur faudrait entre 400 et 600 milliards par an … mais qui viendraient d’où ???

Donc, sans réformes structurelles profondes, sans volonté d’une gouvernance économique adaptée à chaque Etat, d’une Union politique et fiscale avec transferts et mutualisation des dettes, les écarts vont continuer à se creuser avec, pour conséquence, deux autres dangers, beaucoup plus graves, me semble-t-il.

2 – Une cessation de paiement :

Un rapport confidentiel du FMI de janvier 2017 juge que la dette grecque est « explosive » et l’allègement promis par l’Eurozone peu « crédible ». Il ne peut, dans ces conditions, contribuer financièrement au plan de sauvetage de 86 milliards. Ce que contestent les Allemands qui demandent la mise en œuvre de nouvelles mesures d’austérité à un pays exsangue, dont le PIB est tombé de 245 à 180 milliards avec une dette de 340 ! Mais qui va oser faire sortir la Grèce ! Même situation pour l’Italie jugée à haut risque par Joseph STIGLITZ, qui évoque sa possible sortie de l’euro du fait d’un secteur bancaire instable et vulnérable. La sortie d’un seul pays mettrait un terme à l’actuelle zone monétaire. Du moins certains le croient-ils.

3 – Target 2 :

L’évolution du solde de la balance des paiements de l’Allemagne avec les autres États membres de la zone euro devient proprement alarmante. Sorte de tuyauterie reliant les 19 Etats membres, Target 2 a remplacé le marché des changes qui permettait de réajuster la valeur des monnaies avant l’arrivée de l’euro. Dans Target 2, l’excédent de la balance des paiements de l’Allemagne avec l’Italie est de 380 milliards, avec l’Espagne de 250, avec la Grèce de 110, avec la France de 90 et le rythme de croissance de ces excédents s’accélère : faute d’être suffisamment compétitifs, les Pays du sud continuent inexorablement à se vider de leur substance au profit de la Banque centrale allemande qui engrange aujourd’hui plus de 850 milliards de créances douteuses ( 27 % du PIB ) … avec le risque de dégrader définitivement la solidité du bilan de la Bundesbank qui offre à des clients insolvables des facilités de paiement gagées sur des titres sans valeur ! Et tout plan de relance de la consommation, toute politique de la demande *, dans ces Pays fragilisés, ajoutent des montagnes de créances douteuses qui partent vers l’Allemagne !!!

Or, pour les Allemands, le maintien de la valeur de la monnaie est un tabou politique, économique et moral. Lorsque l’euro était à 1,45 $ pour un euro, les excédents commerciaux allemands ne dépassaient pas 3 % du PIB, avec un euro à 1,05$, ils grimpent à 8 %, ce qui n’est pas supportable, car cet énorme excédent côté allemand génère des déficits côtés grec, italien, espagnol, portugais et français !!! L’Allemagne a structurellement besoin d’un euro fort, alors que la France et les Pays du Sud ont besoin d’un euro faible. Telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, la zone euro n’est pas viable. Et le piège de l’euro est en train de se refermer sur l’Allemagne qui ne peut supporter 1 000 milliards de créances douteuses venant de Pays fragiles, peu compétitifs et parfois exsangues.

Seule solution, une politique de l’offre soutenue par des investissements, tout en sachant que si cette politique est simultanément menée par plusieurs Pays fragilisés … elle s’annule !!!

Henri Mathian.

 

Quelques ouvrages, pour une meilleure compréhension du sujet :

‘‘Comprendre le débat européen’’ Petit guide à l’usage des citoyens qui ne croient plus à l’Europe par Michel Dévoluy Professeur émérite à l’Université de Strasbourg. Titulaire d’une chaire Jean-Monnet d’économie européenne, il codirige l’Observatoire des politiques économiques en Europe. Ce livre est une sonnette d’alarme et un acte citoyen. Il explique pourquoi l’Europe va dans le mur, mais il refuse le fatalisme des replis nationaux. Il défend l’idée qu’une zone euro repensée et solidaire a la capacité de répondre aux enjeux mondiaux et d’édifier un espace économique, politique et social apaisé.

‘‘L’Euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe’’ par Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie et Professeur à Columbia. Pour toute une génération d’Européens, il semble impensable de remettre en cause l’existence de l’euro,  créé non comme une fin en soi, mais comme un moyen de parvenir à une plus grande prospérité et une plus grande solidarité politique.

‘‘Faut-il sortir de l’euro ?’’ par Jacques Sapir – Faut-il modifier profondément les règles de la zone euro ? Faut-il faire évoluer l’Euro d’une monnaie unique vers une monnaie commune ? Ou faut-il  tout simplement sortir de l’Euro ?

 

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3 réponses »

  1. De ces 3 dangers, Target 2 est peut-être le plus probable. D’autant qu’en France, sur les 5 dernières années, la dette a augmenté de 28 %, ( de 1 717 milliards en mars 2012 à 2 197 milliards en mars 2017 ), le PIB global de 5 % ( de 2 091 à 2 205 ), le PIB marchand de 2 % ( de 925 à 948 ), et le chômage global de 40 % ( catégories A, B, C de 4 130 000 à 5 817 000 ), et cela dans un contexte de taux négatifs !

    Conclusion : Il nous faut impérativement améliorer notre compétitivité et l’efficacité de la dépense publique qui contribue au 2/3 à l’augmentation du PIB. Tout cela passe par des réformes structurelles douloureuses qui nécessitent d’être comprises et acceptées, avec une cohésion nationale forte, un Parlement solide si nous voulons rester crédibles, donner vie au couple franco-allemand et rester dans la zone euro.

    • Merci pour ces précieuses précisions chiffrées. Henri Mathian, l’auteur les donne lui même après un studieux travail de recherche personnel.

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