Détours par Forbach. L’ombre de Philippot ?

Le film de Régis Sauder «  Retour à Forbach » a trouvé dans la presse nationale des laudateurs étranges au milieu d’un grand nombre de sceptiques qui connaissent les lieux, le sous-sol, le sol et les gens, femmes et hommes.

Ce n’est pas tant la qualité esthétique du documentaire parfois fort séduisante qui suscite de larges réticences que la vision déformée d’une région qui n’a rien de ces villes mortes précieusement sauvegardées qu’on visite encore le long de la route 66 aux Etats-Unis, villes -fantômes ( Ghost town). Il y a en effet un musée de la mine !

Un titre inadapté, ambigu.

Qu’après 30 ans d’absence, après une fuite vers des cieux plus cléments, l’auteur, cinéaste, s’étonne de ne pas revoir «  l’horreur » qu’il s’était promis de quitter à la suite d’une bagarre dans un gymnase. Enfant, le goût du sang dans la bouche, il projette d’aller vivre ailleurs….comme beaucoup d’autres. Il le fera plus tard, quittant le coquet pavillon de ses parents ( le père était instituteur) dans un quartier fort convenable, tout près du centre entre lycée technique, CES, école de musique, non loin de l’école primaire en bordure d’une cité originale ( le Wiesberg) encensée ou honnie mais qui ne passe pas inaperçue dès sa création. Le grand architecte Emile Aillaud en est le concepteur.

En région de mono-industrie.

Dans le Bassin Houiller de Lorraine, la plupart des emplois non directement liés à l’entreprise HBL sont surtout des emplois induits et souvent florissants. Une solidarité de fait s’installe dans l’opulence et les effets d’une défaite seront forcément partagés en cas de sinistre.

Forbach était, avant la manne charbonnière, une coquette cité, avec quelques manufactures prospères dont il reste des traces, même un hôpital. Ces établissements étaient d’ailleurs dus souvent à des initiatives d’industriels allemands installés après l’annexion de 1870. On dit annexion de ce côté de la frontière située à un jet de pierre. De l’autre côté, on parle de retour dans le vaste giron d’une Allemagne alors récemment unifiée autour de la langue germanique, avec des formes dialectales. Ici le « francique », lothringer ditsch, était d’ailleurs la langue des autochtones. C’était même celle des mineurs de diverses origines, appelés par vagues successives pour extraire l’or noir local, ceci même pour la dernière arrivée des Maghrébins venus pourtant de l’empire francophone qui parlaient le « Platt ». « Glück auf » ( bonne remontée) était le salut des «  kumpels » (camarades) harmonieusement hétéroclites.

Même la vie culturelle était prolifique, animée par de multiples associations et surtout l’ACBHL( devinez).

Le sport était un des grands loisirs ( l’équipe de football de Forbach a été quelques années en ligue 2 pro). On n’ était pas malheureux.

 Des atouts pourtant.

Alors, dans ce tableau mortifère, nuisible à l’avenir de la ville et partant de la région déjà suffisamment sinistrée, où sont les bons points ?

Les stades, les salles de spectacle, la piscine, les hôpitaux, les lycées et collèges, une librairie indépendante et résistante, le TGV, les autoroutes… et les gens ? Où sont-ils, en réplique de cette truculente restauratrice du café du marché, de cette directrice d’école ardemment investie, de cet employé d’origine maghrébine dont l’épouse se voile librement sans son intervention, de ces gamines et gamins « universels »… qui ne sont pas gagnés par une morosité qui est d’ailleurs beaucoup moins répandue que ce que donne à penser le documentaire ?

Bravo néanmoins pour la performance de l’artiste qui, sous prétexte de montrer le désarroi et la douleur où il s’est plongé, revit, dans un cadre sinistré, son enfance disparue ! Qui ne connaît cette douce nostalgie ?

Enfin, quel rapport avec les élections et la percée du FN ( Florian Philippot) aux municipales de 2014 ? Régis Sauder semble en discerner un, puisqu’il est revenu pour voir et donner à voir.

Nous lui emboitons le pas par opportunisme sans bien comprendre, un peu comme lui.

Analyse très ponctuelle des résultats du 23 avril 2017

Résultats du Premier Tour de l’Élection Présidentielle 2017
Forbach
Marine Le Pen 29,65%
Jean-Luc Mélenchon 21,69%
Emmanuel Macron 17,87%
François Fillon 15,83%
Benoit Hamon 5,89%
Behren les Forbach
Jean-Luc Mélenchon 42,87%
Marine Le Pen 25,52%
Emmanuel Macron 11,59%
François Fillon 7,08%
Benoit Hamon 5,23%

Ceux qui ont connu la période dominée par un personnage politique inoubliable, l’indéboulonnable sénateur-maire Jean-Eric Bousch, gaulliste de la première heure véritable baron local pendant près de quarante ans, ceux –là, adhérents ou réfractaires, ont pu profiter d’une expansion et d’une modernisation remarquables. Son successeur Charles Stirnweiss, un modéré plutôt de centre-droit n’a pas démérité, pas plus qu’aujourd’hui le député-maire Kalinowski (PS).Cela se passe plus haut, là où leur action se heurte à un mur en dépit des réformes territoriales.

L’abandon tout relatif ressenti comme l’amertume, la protestation sourde et parfois aveugle sont explicables. Pour autant, ils ne devraient pas conduire à une rébellion stérile, irréfléchie, dans un recours à un Front National sans aucune solution concrète, fût-elle orchestrée par un énarque talentueux comme Florian Philippot. C’est ce que croit avoir compris notre cinéaste documentariste.

On, c’est à dire le gouvernement éclairé par des experts indépendants et mondialement informés ( !), a décidé que « le charbon c’est fini » et que, conscient des mutations que cet abandon allait provoquer, il fallait songer à la «reconversion »».

Oui, alors mille et une idées ont germé, ont été débattues et auraient pu fleurir comme les arbres au printemps dans le film…Mais en terre jacobine, c’est à Paris qu’on décide, en dépit du travail sérieux des provinciaux. Des zones industrielles ont été équipées, la prospection à la recherche d’entreprises généreusement organisée, des «  touches » prometteuses trouvées comme Ford, Gutbrod, Motostandard, Plasticalf et autres… La dernière entreprise s’est d’ailleurs installée pour employer une main d’œuvre féminine. Au secours des maris devenus chômeurs ou préretraités ?

Ford est allé à Bordeaux…où JJ- SS ( Servan Schreiber) bien que député de Lorraine était candidat aux législatives. Enfin aucun secours de redéploiement industriel de Charbonnages de France, entreprise nationale dont les HBL font partie. Les mineurs seront cependant indemnisés ou mis en retraite ou pré-retraite et conserveront leurs avantages. Il en reste quelques centaines aujourd’hui et surtout des veuves, l’espérance de vie de ces «  gueules noires » étant largement inférieure à la moyenne. On sait malheureusement pourquoi.

Alors à qui la faute ? Contre qui se dresser ? Sur qui se défouler ?

Faute de bouc émissaire facile à identifier pour déverser son chagrin, sa déception, sa hargne c’est en «  étant contre », dans la vindicte, donc avec ceux qui sont contre… Rien de tel que l’appui du Front National qui s’en prend aux immigrés, aux «  étrangers », ouvriers irréprochables, indispensables dont un grand nombre est devenu Français. Ils ont eu plus de mal à quitter la région pour se recaser ailleurs. En restant, ils étaient au moins assurés du logement, du chauffage et d’une pension décente. Et après ? Leurs enfants voire petits-enfants ? C’est là que réside l’angoisse de l’avenir qui pousse certains dans la contestation frontiste comme d’autres, plus sectaires, qui ne cachent pas leur racisme. Tristes postures dans une région où la tolérance s’était peu à peu renforcée sans gommer les différences.

Le tableau des résultats du premier tour, ci-dessus, permet de comparer les votes des Forbachois et ceux de leurs voisins de Behren, une des plus grandes cités ouvrières du bassin. Le deuxième tour livrera peut-être une explication plus aisée car on peine, pour le moment à trouver des analyses sérieuses et étayées et pas trop convenues ou ressassées. L’arrière pays rural (le Hinterland) n’est pas loin de surprendre de la même manière.

Ajoutons que comme pour toutes les frontières du Grand Est, l’Allemagne, le Luxembourg ou la Suisse emploient un grand nombre de travailleurs dits frontaliers.

Et demain, si on se racrapotait sur nous mêmes en franchouillards bornés ?

Pour sûr, il faut réagir car la revitalisation est possible : les équipements sont là, la situation géographique s’y prête, la main d’œuvre est là, jeune astucieuse, prête à être formée pour un job innovant et durable. Il faut y croire car l’heure est grave.

Antoine Spohr.

1 réponse »

  1. Réagir oui ! d’ailleurs certains le font qui ne sont pas montrés dans ce documentaire. Cette histoire me semble un peu trop « perso » . Pourquoi avoir quitté le bassin houiller il y a 30 ans quand tout se passait encore bien ? A ma connaissance, ce n’était pas la misère …. J’en suis témoin
    Quel intérêt à apporter de l’eau au moulin des « déclinistes » de tout poil ? Si ce n’est faire le jeu du FN…
    Il y avait mieux à tirer de ce « retour au pays » … Une véritable enquête de terrain ! pour encourager les initiatives positives, elles existent ! et en finir avec cette image misérabiliste qui fait pleurer les germanopratins. Ils adorent ça ! Marre de chialer ou de fuir ! Agir ou aider à agir !

Répondre à gervaise ThirionAnnuler la réponse.