Pour sa première incursion dans le cinéma, Nicolas Bedos signe un film d’une ambition de vrai cinéaste. Il nous invite à suivre la vie d’un couple d’artistes auteurs bohèmes parisiens, sur plus de 40 ans. L’ex chroniqueur de Ruquier est accompagné, à l’écran comme à l’écriture du scénario, par sa compagne, Doria Tillier, ex Miss Météo du Grand Journal. Tous deux signent là un film à l’humour délicieusement noir mais doublé d’une sensibilité qu’on ne leur connaissait pas jusqu’à lors.
Rencontre avec deux personnages plus complexes et attachants que ce qu’ils n’ont jamais pu dégager à la télé. Entre confidences, doutes et regrets.
Vous êtes apparemment tous deux très complices, à la ville comme à l’écran. Aviez vous des références communes pour accoucher d’un tel projet ?
Doria Tillier : En fait, plus que des références cinématographiques communes, nous avons surtout un goût commun. Ce qui fait que nous étions toujours en accord sur toutes les décisions artistiques, que ce soit pour la couleur d’un fauteuil, un élément de décor ou le fait d’ajouter ou supprimer un mot dans une réplique.
Nicolas Bedos : C’est pour cette raison qu’on a été en contact pendant toute la fabrication du film. On a bien sûr écrit ensemble mais j’avais vraiment besoin du retour de Doria sur tout le reste car son avis me rassure et qu’il va souvent dans le sens du mien. Il y a des jours où on en riait car on s’apercevait qu’on avait envoyé, sans se concerter, le même texto, en même temps, à la même personne et sur le même sujet (rires). Quant à nos références communes, ce serait plutôt autour du cinéma indépendant américain. Par exemple, récemment, on a adoré des films comme La La Land et Jackie où il y a un souffle incroyable. On a essayé de rivaliser avec la structure très généreuse et très vive de ces films là, avec beaucoup de décors et beaucoup de musique. Tout notre défi a été de travailler pour être à la hauteur de notre ambition alors qu’on avait un budget très modeste (5,6 millions d’euros). Quant à nos films de chevet, c’est vrai qu’on aime à la fois les comédies romantiques, le cinéma de Martin Scorsese, Paul Thomas Anderson ou David O. Russell. On a vraiment eu un coup de cœur pour ce type et son film Happiness Therapy, qui se situe vraiment entre le cinéma d’auteur et le cinéma grand public.
DT : Et qui mêle habilement la comédie et le drame, l’humour et l’émotion. Je me souviens aussi que lorsque l’on a écrit le scénario, on est allé voir un film à sketch espagnol, Les Nouveaux Sauvages, et on s’était dit qu’on voulait approcher ce ton là.
NB : En fait, on adore les grands sentiments. On partait du principe que si on avait la chance de nous offrir le film de nos rêves, il fallait en profiter pour faire un film qui représente tout ce qu’on aime, avec le plus de sentiments puissants et qu’on puisse à la fois rire, pleurer, nous détester, nous adorer…
C’est une histoire d’amour ample, romanesque, assez épique. On y suit un couple qui parvient à rester uni malgré les difficultés, les douleurs et les peines… Auriez vous la clé du secret d’une telle réussite ?
NB : On n’a jamais voulu tenir un discours mais on a fait une proposition d’un couple qui réussi à s’aimer longtemps car les deux n’oublient jamais de se surprendre. Mon personnage, Victor, quand il a des faiblesses, des problèmes de jalousie ou d’impuissance, il en fait des scènes de spectacles, il le revendique, il le hurle, il s’en amuse. Et puis, n’oublions pas qu’il écrit des romans et pour cela, il faut que la vie puisse faire des chapitres. Personnellement, je suis un peu comme ça, je fais des brouillons dans ma vie, même si ne je prends pas de notes tout le temps comme Christine Angot qui apparemment, en prend quand elle fait l’amour. Mais si ma vie a de la gueule, ça va me donner plus facilement des idées pour écrire. C’est ce qui peut aussi expliquer leur théâtralité et leur besoin de se mettre en scène.
Et en plus de vous amuser avec cet aspect très fantaisiste de leur personnalité, vous vous en donnez à cœur joie en les dotant d’un humour particulièrement noir… Notamment avec leur enfant autiste qu’ils malmènent férocement…
DT : C’est simplement qu’on aime rire avec des thèmes qui n’ont rien d’évidents. C’est tout de suite plus original, plus intéressant et plus palpitant d’essayer de faire rire avec des sujets gênants ou tabous.
NB : En fait, l’origine de ce film, ce sont des improvisations que l’on a pu faire, Doria et moi, sur des cauchemars de notre avenir. On voulait donc rire de ça pour mieux exorciser notre angoisse. Et c’est ce qui se passe avec ce genre de situations qui sont terribles dans la vie d’un couple mais on essaye d’en extraire le suc le plus rigolo. Le fait qu’ils aient un enfant autiste relève de l’observation que j’ai pu faire de certains couples très intellos qui veulent que leurs enfants fassent de grandes études et réussissent parce qu’eux mêmes ont réussi et que les murs de leur maison sont bardés de diplômes. Mais parfois, les enfants sont tellement écrasés par cette pression, qu’une espèce de punition divine frappe les parents. Ils rêvent de mettre au monde Mozart ou Nabokov et ils se retrouvent avec…
DT : Hanouna… (FOU RIRE GÉNÉRAL)
NB : C’est bien, tu feras les buzz à ma place parce que moi, je suis en vacances.
Plus sérieusement, je pense que les parents culpabilisent trop et qu’ils sont persuadés d’être responsables de tout alors que parfois, il faut simplement accepter le destin qui peut être très contrariant ou surprenant en bien.
Dans ce couple que vous formez à l’écran, on comprend très vite que même si c’est lui qui écrit des livres, il ne serait absolument rien sans son épouse qui choisit de s’effacer… Un cas, hélas, encore trop fréquent…
NB : J’avais envie de rendre hommage aux femmes qui oeuvrent dans l’ombre de leur mari notamment parce que ma mère a œuvré dans l’ombre de mon père. Je me suis beaucoup intéressé aux femmes d’hommes politiques ou de grands cadres dirigeants qui n’auraient rien pu faire sans leur épouse. Moi-même, je n’aurais probablement pas fait ce film sans Doria. En fait, Mr et Mme Adelman est une extension métaphorique de nous. Il fait allusion à des personnages comme Simone de Beauvoir qui était l’épouse d’un homme encore plus estimé qu’elle à son époque, et qui a dû se battre pour revendiquer l’existence de son œuvre… qui est aujourd’hui encore plus reconnu que celle de son mari.
J’ai beau avoir une réputation de macho misogyne, quand on regarde attentivement ce que je fais, que ce soit mes pièces, mes livres ou ce film, ce sont toujours des portraits de femmes essentielles dans la vie de leur mari. Dans ma première pièce, Eva, on commençait par la disparition d’une femme et on voyait à quel point son mari ne savait plus comment vivre sans elle.
Avec votre film et quand on vous entend ici, on devine chez vous une sensibilité qui ne ressortait pas beaucoup dans vos chroniques chez Laurent Ruquier où vous pouviez même paraître assez méchant…
NB : Il y a plein de choses qu’on ne ressent pas dans mes chroniques car c’est un exercice très différent, satyrique, dans lequel il est très difficile de faire affleurer sa sensibilité. Même si ça m’a donné du plaisir et surtout, une notoriété qui m’a permis de faire ce film. Mais c’est vrai que c’est un exercice agaçant voire très irritant. J’étais comme un sniper. J’avais très envie de me faire connaître pour pouvoir justement écrire des pièces et réaliser des films. Parfois, je reconnais que je suis allé très loin et je le regrette car suite à cela, certaines personnes ne seront pas curieuses de voir ce que je peux leur proposer dans des livres, des pièces ou dans ce film car elles ont pu être irritées par cette hystérie narcissique qui a été la mienne à une époque.
Juste un mot sur les maquillages que vous portez puisque vous incarnez vos personnages sur presque 40 ans… Ça a dû être une épreuve, non ?
DT : C’était quelque chose d’absolument incontournable et qui nous faisait même un peu peur car au fur et à mesure qu’on écrivait, on se doutait qu’on allait devoir se vieillir mais on ne connaissait absolument pas les différentes techniques de maquillage. On a très vite compris que les effets numériques allaient exploser notre budget donc on s’est reporté sur quelque chose de plus artisanal, avec des prothèses. Résultat : 7 heures de maquillage par jour… C’était éreintant mais cette fatigue nous a aidé à jouer la fatigue de nos personnage âgés.
NB : Mais c’est aussi l’avantage de bosser avec Doria car c’était son premier film et qu’elle s’est vraiment donnée à fond, parfois jusqu’à l’évanouissement, alors qu’une actrice plus expérimentée n’aurait sûrement pas eu autant d’implication. Elle n’a rien lâché, ne s’est jamais plainte alors qu’elle ne dormait quasiment plus avec les 10 heures de tournage quotidiennes plus les 7 heures de maquillage plus les répétitions…
Pour conclure, que retiendrez vous de cette première aventure commune au cinéma?
DT : Pour ma part, j’ai été très stressée car c’était mon premier film. Pour m’aider à me préparer, j’ai même dû retourner dans un cours de théâtre pour me confronter aux autres et même me taper la honte… J’ai aussi bossé avec un coach et j’ai fait du sport pour éviter de trop penser à tout ça. Mais je suis ravie d’avoir découvert une autre approche que celle de la télévision où tu peux te permettre de jouer avec excès et faire de la caricature… Alors que le cinéma exige un jeu plus posé et plus intérieur…
NB : Ce qui est merveilleux avec ce projet, c’est qu’il nous a offert la possibilité d’aller loin en nous mêmes. Après tout, j’ai pu avoir des périodes assez sombres dans ma vie et je sais que Doria n’est pas seulement la fille rigolote de la météo. On a voulu jouer avec ça et ne pas chercher à s’épargner des choses difficiles. Je crois qu’il en résulte une histoire d’amour qui se veut drôle mais sans être à l’eau de rose et qui n’a pas peur d’explorer des territoires très sombres.
Beau et surprenant à tous points de vue et prometteur…
Actuellement en salles…
Nicolas Colle.
Catégories :Cinéma, Sainte Sophie Istambul