La remarque de Jeffrey Kleintop, Chief Global Investment Strategist chez le courtier américain Charles Schwab, a frappé les esprits : les marchés financiers se sont remis en trois mois de la crise du plafond de la dette fédérale américaine en 2011, en trois jours du Brexit et, en seulement trois heures, de la victoire de Donald Trump.
« Hard Brexit » !
Cependant, contrairement aux prévisions de nombreux commentateurs, Theresa May n’est plus « Theresa Maybe », et pour l’instant dans le discours, on voit peu de différences entre le Donald Trump candidat, le President-elect et le Président s’adressant aux « hommes et femmes oubliés de notre pays » lors de son investiture le 20 janvier.
Trois jours auparavant, la Première ministre britannique — à qui on reprochait de ne pas avoir de plan au sujet du Brexit — a prononcé à la Lancaster House, à Londres, un discours confirmant un hard Brexit : le pays quittera le marché unique et l’union douanière européenne. Le Royaume-Uni renégociera ses propres accords commerciaux avec les autres pays et avec l’Union européenne — mais il y aura des résistances, tant les Européens en veulent aux Britanniques d’avoir pris le risque d’un référendum sur la sortie de l’UE. Mrs May a mis en garde les Européens contre les voix qui s’élèvent pour un « accord punitif, afin de sanctionner la Grande-Bretagne, et de décourager les autres pays tentés par le même chemin. Ce serait un acte assimilable à une calamiteuse automutilation pour les pays d’Europe. »
En un mot, le Royaume-Uni est prêt à l’épreuve de force. Interrogé sur la possibilité pour le pays de devenir un paradis fiscal aux portes de l’Union européenne, le Chancelier de l’Échiquier –équivalent du ministre des finances-, Philip Hammond, a ainsi déclaré au journal dominical allemand Welt am Sonntag qu’il espérait « personnellement pouvoir rester dans le courant de la pensée économique et sociale européenne, mais que [s’ils étaient] obligés d’être quelque chose de différent, [il faudrait] devenir quelque chose de différent ».
Indifférence voire hostilité du président US ?
Donald Trump, quant à lui, s’est déjà déclaré prêt à un nouvel accord de libre-échange « conclu très vite » entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Le porte-parole de la Première ministre s’est réjoui de « l’enthousiasme et de l’énergie » de Mr. Trump, mais a rappelé qu’un tel accord ne pourrait voir le jour avant le processus de deux ans imposé par l’article 50 du traité de Maastricht.
Dans son premier grand entretien accordé à deux quotidiens européens, le Times britannique et le Bild allemand, Donald Trump est apparu plus que jamais comme le premier Président des États-Unis depuis les années 1950 à exprimer son indifférence, voire son hostilité envers l’UE : « Pour les États-Unis, cela n’a aucune importance, cela m’est parfaitement égal que les Européens soient unis ou non. » Mais il ne se contente pas d’exclure l’Europe de ses priorités : en-dehors des États-Unis, aucun pays ne trouve grâce à ses yeux. Son discours inaugural a eu le mérite d’être clair : « Nous allons suivre deux règles simples : acheter américain et embaucher américain. »
Les commentateurs prévoyaient que l’homme le plus puissant du monde allait se « présidentialiser » — comprendre : renoncer à son discours isolationniste et protectionniste –, mais il ne renonce à rien. Le cœur de son programme y est bien : une grande réforme fiscale supprimant l’impôt sur le revenu pour les Américains gagnant moins de 25 000 dollars par an (50 000 dollars pour les couples) ; baisse du plus fort taux d’imposition de 39,6% à 25%, et de l’impôt sur les sociétés, de 35% à 15% — Theresa May approuverait. Le Président joue l’Amérique des petits contre l’Amérique des gros : il menace Ford de taxer à 35% ses voitures assemblées au Mexique, et souhaite forcer Apple à relocaliser sa production. Enfin, il se dit prêt à une guerre commerciale avec la Chine, en imposant des droits de douane allant jusqu’à 45% sur les biens importés.
Le duo aura-t-il les moyens ?
On peut cependant se demander : Donald et Theresa auront-ils les moyens d’appliquer leurs petits cours d’économie et quels en seront les conséquences ? Certains comparent Mrs May à Margaret Thatcher, mais ils oublient que le marché unique était l’une des réalisations qui faisaient la fierté de la Dame de fer. Les récifs sont nombreux sur l’océan des marchés financiers. Le passporting, qui accorde aux entreprises financières présentes au sein d’un État de l’Union européenne de servir automatiquement les clients dans les vingt-sept autres, sans avoir à s’installer dans chacun de ces pays, est profondément mis en péril pour le Royaume-Uni. Déjà, deux grandes banques, HSBC et UBS, ont confirmé leurs plans pour relocaliser mille emplois hors de Londres. Theresa May ne pourra que tenter de limiter la casse d’un Brexit dont elle ne voulait pas.
Il faut croire que pour jouer cavalier seul, il vaut mieux être les États-Unis, toujours première puissance économique du monde avec leur marché intérieur de 325 millions d’habitants, leur PIB de 18,6 trillions de dollars et leur monnaie-monde, que le Royaume-Uni, cinquième puissance économique avec ses 65 millions d’habitants et ses 2,65 trillions de dollars de PIB. Pour 2018, le Fonds monétaire international (FMI) a baissé les prévisions de croissance de l’économie britannique de 1.7% en octobre dernier à 1.4% aujourd’hui. Au contraire, Donald Trump peut sourire : Maurice Obstfeld, le Chief Economist du FMI, pronostique que la proposition de réduction d’impôts de Mr. Trump et ses projets d’investissements publics — « Nous construirons de nouvelles routes, autoroutes, ponts, aéroports, tunnels et voies ferrées à travers notre merveilleux pays » a-t-il réaffirmé dans son discours d’investiture — devraient permettre d’augmenter encore la croissance américaine. Le FMI a fait passer ses prévisions pour 2018 de 2,1% à 2,5% (et pour cette année de 2,2% à 2,3%).
Président omnipotent ?
Mr. Trump a les mains libres pour mettre en œuvre son programme : les Républicains contrôlent la Chambre de représentants, le Sénat, et seront bientôt majoritaires à la Cour Suprême ; ils ont aussi la plupart des gouverneurs et des législatures dans les différents États. Le nouveau Président aura le pouvoir, comme il l’a promis, de « démanteler » le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, la loi de 2010 sur la régulation financière. Steven Mnuchin, ancien Executive Vice President et Chief Information Officer chez Goldman Sachs, choisi par Mr. Trump comme secrétaire du Trésor, a déclaré que la loi était « trop compliquée et réduisait les prêts ». Il a identifié la règle Volcker, qui vise à limiter certains investissements spéculatifs des banques qui ne se font pas au bénéfice de leurs clients, comme une source particulière de complexité inutile. Un vent de dérégulation devrait souffler sur la finance américaine : le nouveau Président a même choisi le corporate raider Carl Icahn, l’un des modèles de Gordon Gekko, incarné par Michael Douglas dans le film Wall Street, pour le conseiller en matière de régulation financière. Mais loin des caricatures, Carl Icahn a affirmé durant plusieurs entretiens que l’abrogation pure et simple de la loi Dodd-Frank n’était pas la « bonne réponse » et ajouté ne pas être dogmatiquement « anti-régulations […] je suis opposé à la stupidité de certaines de ces régulations ».
Le FMI précise dans ses prévisions de croissance que les risques d’erreur à la baisse ou à la hausse sont plus forts que ces dernières années. L’avenir économique et financier semble incertain, tant les peuples occidentaux sont devenus imprévisibles. Donald Trump et Theresa May ont été choisis à la suite d’événements que peu de gens avaient pronostiqués. Et si l’on en croit le célèbre historien américain Allan Lichtman, qui depuis 1984 a toujours prévu correctement le nom de ceux qui sont devenus Présidents des États-Unis, dont Donald Trump, ce dernier est condamné à être démis de ses fonctions suite à une procédure d’impeachment avant la fin de son mandat. Alors qui croire ?
Louis Celot, emlyon business school
Nous avons eu la fierté de vous offrir ici un article remarquable de Louis Celot, un étudiant dont le devenir semble sereinement assuré. Permettez à l’ancien professeur d’y avoir vu un savoir-faire étonnant au service d’une clarté exemplaire. Une synthèse fort utile.
A.Spohr.
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