Guillaume Canet, sa vie, son œuvre, son amour ? ROCK’N ROLL…

Une interview extraordinaire d’un personnage hors norme, fabuleusement intéressant.

Nous vous offrons quelques pages délicieuses et parfois rugueuses d’un homme encore jeune mais déjà très averti.

Notre correspondant cinéma, Nicolas Colle (Médiapart, Eurojournaliste, Le Cinéphile Anonyme…) n’a pu se limiter tant il était fasciné. D’où un texte long mais JAMAIS ennuyeux. Voici…

NC : Tout d’abord, j’aimerais vous dire que je suis très heureux que vous ayez à nouveau réalisé un film car j’ai cru comprendre que suite à l’échec cuisant de votre expérience américaine avec Blood Ties, vous aviez décidé d’arrêter la mise en scène et de prendre du recul avec le milieu du cinéma. Comment vous avez remis les pieds à l’étrier, sans allusion avec votre passion pour l’équitation (rires) ?

Guillaume Canet : (Rires) C’est vrai qu’après la sortie de Blood Ties, je me suis demandé si j’avais vraiment envie de continuer à réaliser des films parce que je ne comprenais pas du tout la réaction si excessive des critiques comme du public qui n’a pas du tout répondu présent alors que je ne voyais pas ce que je pouvais faire de mieux. Je pense simplement que j’étais trop sec car j’avais trop travaillé et que j’avais trop donné sans recevoir en retour. Et comme je n’avais pas du tout envie de devenir aigri ou en colère, je me suis dis que j’allais m’arrêter pendant un moment et que je verrais bien si j’allais avoir envie de revenir ou pas. Du coup, pendant un an j’ai fais complètement autre chose, j’ai repris l’équitation, j’ai pris du temps pour moi, pour ma famille, pour mon fils… Ça a été un peu difficile au début car je culpabilisais de ne pas travailler, je craignais qu’on m’oublie mais finalement, au bout d’un mois, je me suis senti très heureux d’évoluer auprès de gens avec lesquels j’avais grandi dans le milieu du cheval, des gens simples avec la tête sur les épaules et c’est ça qui m’a nourri à nouveau et qui m’a permis de revenir avec cette légèreté et surtout, avec cette insouciance qui m’étaient nécessaires pour donner à Rock’N Roll, un ton et une énergie de premier film.

J’y suis donc allé à fond sans me poser aucune question car j’avais été très heureux durant cette période de recul au point que je m’étais dis que si je devais arrêter de faire des films un jour ou l’autre, j’en serais sûrement un peu malheureux mais ça ne serait pas une fin en soi car je pourrais être tout aussi heureux en faisant autre chose. Je ne me suis donc pas du tout inquiété, contrairement à certaines personnes de mon entourage qui craignaient que j’abîme mon image en réalisant un film aussi barré. Au contraire, je me suis d’autant plus facilement lâché.

D’où cette idée de tourner un film aussi auto-dérisoire autour de votre image ?

GC : Le sujet m’a été inspiré par une interview que j’ai faite avec une jeune journaliste qui m’a clairement dit qu’aujourd’hui, je n’étais plus très rock du fait que j’avais une vie de famille et que cela avait entrainé ma chute dans la liste des acteurs les plus sexy. Je suis alors entré dans une sorte de justification assez minable, comme dans le film d’ailleurs, en disant que j’étais quand même rock’n’roll car je jouais de la guitare électrique depuis longtemps et là je me suis aperçu, en voyant son sourire narquois, que je m’enfonçais encore plus. Je suis sorti de là en me disant que c’était un sujet extraordinaire dont j’ai aussitôt parlé à mes deux co-scénaristes, Rodolphe Lauga et Philippe Lefebvre. J’était d’autant plus excité que j’avais envie de parler du rôle que joue l’image dans notre société, comment elle peut nous enfermer et comment les gens peuvent nous voir, nous fantasmer, surtout avec toutes les conneries que je peux entendre sur Marion et moi, comme le fait qu’elle habiterait à Los Angeles ou que Brad Pitt serait le père de mon prochain enfant…

On comprend assez vite que le problème de votre personnage n’est pas tant qu’il puisse avoir une image rock ou non, mais qu’il est confronté à quelque chose qui nous concerne tous : la vieillesse…

GC : Au départ, il pense que c’est son style de vie qui est en cause et non pas son physique mais c’est en se confrontant à l’icône du Rock, Johnny Hallyday, qu’il comprend qu’aujourd’hui, ça n’a plus d’importance d’être rock puisqu’on vit dans un monde où fumer n’est pas bon pour la santé, où saccager une chambre d’hôtel est complètement ringard et que les rockeurs mangent bio et font du sport. C’est là qu’il prend conscience que son problème, c’est qu’il vieillit et qu’une nouvelle génération de comédiens et de metteurs en scène arrive. C’est quelque chose d’universel et c’est vraiment par ce biais là que je voulais réaliser ce film qui ne devait pas seulement être un film sur les coulisses du cinéma. Je voulais parler du jeunisme et de comment on peut être confronté, dans n’importe quel milieu professionnel, à la nouvelle génération qui pousse derrière vous et qui vous amène à redoubler d’efforts pour prouver que vous n’êtes pas un « has been » et que vous êtes toujours compétent dans votre domaine.

Pour la mise en scène, on peut dire que le film évolue beaucoup : on est d’abord dans une esthétique proche du documentaire, comme si vous filmiez vraiment votre propre vie puis, quand vous vous autorisez à partir complètement dans votre délire, on tend alors vers quelque chose de plus romanesque…

GC : C’est exactement comme cela qu’on voulait aborder la mise en scène : débuter dans une forme de docu-fiction avec une musique très déstructurée, très dissonante puis à mesure que l’histoire avance, la musique prend une cohérence et devient très orchestrée. C’est le même processus pour l’image puisque la manière de filmer devient plus hautement cinématographique avec des plans en steadycam, des travellings et des plans grues… On est alors dans une forme qui s’apparente plus à celle d’une fable. C’est aussi une manière de dire aux spectateurs : « Attention, là ce qu’on vous montre, ce sont des conneries, alors arrêtez de croire tout ce qu’on vous raconte !!! »

Et Marion… Une fois de plus fantastique tout en étant plus libre qu’on ne l’a jamais vue…

GC : Je voulais vraiment lui faire ce cadeau car Marion est quelqu’un de vraiment très drôle, c’est même parfois une vraie charretière, très grande gueule et très éloignée de l’image qu’elle donne sur les plateaux télé où elle n’est pas très à l’aise car maintenant, les émissions télé sont à la gloire de leurs présentateurs, de leurs chroniqueurs et quand nous y sommes invités, nous ne sommes plus que les témoins de leur connerie.

J’avais aussi envie de me moquer de ce qu’on peut dire sur notre couple, comme le fait qu’elle fasse carrière à Hollywood et que moi non. Soi disant qu’il pourrait même y avoir de la jalousie entre nous alors qu’au contraire, nous sommes très liés par l’admiration que nous avons l’un pour l’autre. Quand je la vois dans un film comme Mal de Pierres, je la trouve tellement formidable que j’ai l’impression d’être toujours plus amoureux d’elle. C’est ce qu’il y a de beau dans l’amour, comment on en vient à accepter et à admirer l’être aimé. Quand je la vois si habitée par ses personnages ou être sollicitée par de si grands metteurs en scène, je suis tellement fier et heureux pour elle.

Puisque vous en parlez, toutes ces rumeurs sur votre couple et sur votre prétendue jalousie sur sa carrière Hollywoodienne paraissent assez absurdes car j’imagine que vous ne devez pas être fasciné par le rêve américain étant donné que vous avez vécu, en plus de Blood Ties, une autre expérience assez douloureuse à Hollywood au début de votre carrière…

GC : Exactement, c’était lors du tournage de La Plage. J’ai passé près de quatre mois en maillot de bain sans avoir rien à foutre. Même si j’ai aimé la rencontre avec Danny Boyle et Léonardo Dicaprio. Il faut d’ailleurs savoir que le film était bien plus intéressant dans sa version initiale avant que la 20th Century Fox ne décide de le remonter. Après ça, on m’a aussi interdit de faire de la promo et je n’ai même pas été invité à l’avant première, ce qui m’a renforcé dans mon idée que je n’étais pas prêt à faire une carrière là bas car je suis quelqu’un de très orgueilleux, de très fier et de très grande gueule. Ça s’est d’ailleurs confirmé quand je me suis finalement retrouvé à l’avant première car Léo (Dicaprio) tenait absolument à ce que je vienne et il m’a envoyé un billet d’avion. J’ai alors revu le producteur et je lui ai dis de vive voix ce que je pensais de lui. Je dois dire qu’après cette expérience, je suis d’autant plus admiratif de Marion qui arrive à faire carrière là-bas tout en restant elle-même… et parfois même un peu trop puisque récemment, dans une émission télé qu’elle a faite juste avant Noël, il y avait des décorations partout sur le plateau de télévision et elle a dit aux présentateurs qu’elle ne supportait pas les fêtes de Noël alors que c’est quelque chose de sacré chez les américains (Rires).

Juste pour finir sur ce genre d’histoire assez personnelle et intime, je ne questionne jamais les artistes sur leur vie privée ou publique mais puisqu’il s’agit du sujet de votre film, j’aimerais savoir comment vous avez vécu toutes ces rumeurs, ces ragots et ces écrits de la presse people vis à vis de vous et de votre couple ?

GC : Disons que quand ça ne concerne que moi, ça ne me touche pas plus que cela mais quand c’est ma famille qui est concernée alors là, je peux avoir de gros moments de colère. Notamment une fois où je me suis aperçu que j’avais été mis sur écoute pendant toute une année car un type qui travaillait chez un opérateur avait vendu mes coordonnées à deux paparazzis qui ont pu avoir des infos sur ma vie privée. Inutile de vous dire que c’est très douloureux de voir des messages que j’échange avec ma mère, à propos du cancer de mon père, se répandre dans la presse. De même, quand le jour de la naissance de mon fils, un type escalade mon portail pour prendre des photos et nous gâche ce moment là. J’ai d’ailleurs eu des procès suite à cela car c’était dans une période où j’étais très bagarreur, même si je me suis assagi depuis. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que dans la société où on vit aujourd’hui, et d’ailleurs on en joue actuellement avec Marion sur les réseaux sociaux car c’est effectivement le sujet du film, c’est que tout le monde partage toute son intimité et s’affiche en permanence, au point que les journaux people en perdent les pédales. Prenez Johnny Hallyday par exemple, depuis qu’il balance lui même toute sa vie sur les réseaux sociaux, il n’y a plus un seul paparazzi qui lui colle au cul. Ils se retrouvent tous comme des cons car il n’y a plus aucun scoop pour eux. Nous sommes dans une ère de communication où ces méthodes de journalisme sont périmées.

Très bien ! Maintenant, si on en revenait au cinéma et plus particulièrement à votre cinéma… Je lisais récemment une interview de Marion qui disait que, selon elle, jouer la comédie était plus complexe que jouer le drame. Vous qui avez réalisé des comédies mais aussi des drames et des thrillers, où diriez vous que se trouve la plus grande complexité dans ces genres là ?

GC : La comédie est un exercice très périlleux parce qu’il y a un certain rythme à tenir et une précision très importante à avoir dans les dialogues. Francis Veber expliquait récemment qu’il faut toujours bien les épurer pour que ça aille vite, qu’on comprenne tout de suite l’idée et qu’il n’y ait pas besoin de s’encombrer de mots. Le drame est aussi quelque chose de particulier mais dans les deux cas, ce qui importe, c’est la finesse et la sobriété avec laquelle c’est fait. Personnellement, les films que j’aime sont ceux qui sont joués sincèrement, avec des situations traitées au premier degré. Dès qu’on rentre dans quelque chose de trop guignolesque, on perd en crédibilité et je n’y crois plus.

Il y a aussi autre chose que j’apprécie dans vos films, c’est qu’on y sent un amour fort pour des metteurs en scène tels que Claude Sautet et Lawrence Kasdan avec Les Petits Mouchoirs ou tel que John Cassavetes avec Blood Ties mais sans que vous ayez la prétention de vous hissez à leur niveau…

GC : Bien sûr mais d’une manière générale, dans n’importe quelle forme d’art, que ce soit la littérature, la peinture ou la photographie, tous les grands artistes se sont inspirés de gens qui les ont précédés et avec lesquels ils ont grandi et qui les ont inspirés. Alors effectivement, en aucun cas je n’essaie d’égaler ces gens là mais j’ai grandi avec eux. Vous savez, les enfants mal élevés sont ceux qui ont grandi avec des parents mal élevés. On est ce qu’on nous a appris et ce qu’on a vécu. Je fais des films qui évoquent entre autres Sautet et Cassavetes parce que j’ai grandi avec ces films là. S’il n’y avait pas eu des cassettes des films de Sautet à la maison dans mon enfance, peut être que j’aurais vu d’autres films et que j’aurais été vers une autre forme de cinéma. On grandit avec un mode de vie puis on évolue avec et enfin, on s’en inspire.

Pour conclure, j’ai lu récemment que vous aviez déclaré que Rock’N Roll était le film qui vous ressemblait le plus. Or, quand vous avez sorti Les Petits Mouchoirs en 2010, vous déclariez alors qu’il s’agissait de votre film le plus personnel ?

GC : En fait, pour Les Petits Mouchoirs, il y avait un peu de moi dans chacun des personnages et c’est en cela que je le trouvais très personnel. Pour Rock’N Roll, c’est surtout le ton du film qui me ressemble beaucoup, dans son côté très cynique, satirique et décalé. J’ai toujours eu cet esprit pourri qui consiste à vouloir tordre une situation. Par exemple, quand j’avais vingt ans, j’ai diné un soir chez les parents de ma copine de l’époque et l’ambiance était tellement guindée que j’ai d’un coup eu envie de toucher les seins de la mère de ma copine pour pouvoir faire exploser cette ambiance très coincée et voir comment allaient réagir toutes les personnes à table. Bien sûr je me suis retenu mais ça m’a tellement obsédé pendant toute la soirée que je craignais de le faire sans pouvoir me retenir (rires).

Guillaume Canet, vous êtes vraiment unique !!!

Nicolas Colle.

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